Prédication du dimanche 26/04/2020

Nous revoici sur la route d’Emmaüs que nous avions déjà empruntée lors de notre sainte cène de Pâques. Ce récit raconte l’expérience vécue par 2 anciens disciples en dérive. 2 disciples qui s’éloignent de la foi et de Jérusalem, ils marchent sur un chemin de deuil, ou d’exil. Vous savez ! ces chemins où il vaut mieux parler, discuter, échanger, réinterpréter pour ne pas s’enfermer dans le désespoir. Un peu comme lorsqu’on refait le match après une défaite ou lorsqu’on essaye de comprendre ce qui n’a pas marché : quelle a été notre erreur, notre part de responsabilité ? pourquoi avons-nous suivi ce gars ? il avait pourtant l’air d’être un puissant prophète ! nous avions cru en lui ! et en sa capacité à redresser le pays et nos vies ! mais non ! Aujourd’hui, c’est certain, il a échoué et nous avec, car il a été mis sur la croix il y a 3 jours et depuis, plus rien !

 

Ce récit est celui d’un magnifique retournement de situation et je vous propose qu’on s’attarde sur quelques ingrédients de ce retournement :

 

D’abord la marche, le cheminement :

En route vers Emmaüs. Sont-ils arrivés à ce village ? Luc nous dit qu’ils s’en sont approchés mais jamais qu’ils y sont arrivés. De toute façon, ils n’y sont pas restés, ils en sont repartis aussitôt pour retourner à Jérusalem, ils n’ont même pas attendu le jour suivant. La contrainte du jour qui baisse, de la nuit qui approche n’avait manifestement plus d’importance ! Que s’est-il passé ?

Une chose est sûre, dans ce récit, on réfléchit et on prend conscience en marchant. La marche sur la route est à l’image de la vie dans laquelle on avance en évoluant plus ou moins au gré des expériences et des rencontres.

 

Le nombre, la quantité négligeable : (2e ingrédient)

Ils ont vécu cette expérience à deux, un certain Cléopas et un autre ou une autre ! A priori, ils n’étaient pas de l’entourage proche de Jésus mais ils l’avaient assez suivi pour être touchés par sa crucifixion. Ce jour-là, sur le chemin d’Emmaüs, ils étaient … deux ! et on ne sait presque rien d’eux, un seul prénom sur 2 ! On ne sait rien de leur histoire d’avant et on ne sait presque rien de celle d’après.

Ce nombre de 2, aussi infime soit-il, me dit que l’expérience d’être témoins de la résurrection se partage dans une communauté. Là où 2 ou 3 sont assemblés en mon nom… Ce jour-là, Jésus compris, ils étaient 3 !

Mais ce nombre aussi infime soit-il, va évoluer : de retour à Jérusalem, ils seront onze plus quelques autres à partager cette expérience de la résurrection. Onze plus quelques autres, quantité négligeable d’inconnus dont nous ne savons presque rien et qui pourtant nous ont transmis ce témoignage de la résurrection qui nous anime encore aujourd’hui.

 

Autre ingrédient : La façon de faire de Jésus.

Alors qu’ils marchaient, Jésus les a rejoints, sans qu’ils le reconnaissent. Il s’est approché pour faire route avec eux et comme très souvent, il a engagé l’échange par une question : « de quoi discutez-vous en marchant ? ». C’est un peu comme s’il disait « qu’est ce qui ne va pas ? qu’est ce qui ne passe pas ? qu’est-ce que vous ne dépassez pas à 2 ? ».

La question de Jésus arrête la marche. Il a manifestement touché juste, il a senti la tension, la tristesse, le trouble. Oui ! dans la vie, on peut continuer à marcher vers Emmaüs ou ailleurs, parler, discuter, débattre, refaire incessamment le match perdu, sans jamais entendre la question qui se pose à nous :

Qu’est ce qui ne va pas ? sans jamais l’entendre au point de s’arrêter, de se laisser surprendre à la fois par la pertinence, mais aussi par l’apparente naïveté de cette question qui touche juste ! Qu’est ce qui ne va pas ?

 

Quoi ! tu ne sais pas ce qui ne va pas dans notre vie ? tu ne lis pas les journaux ? tu ne sais pas ce qu’on vit en ce moment, tu n’es pas au courant de tout ce qu’on raconte, dans les réseaux sociaux, à la télé, à la radio et partout ?  Tu es bien le seul !

Evidement on n’a pas encore reconnu celui qui nous pose cette question. Quoiqu’il en soit, Jésus par sa façon de faire a provoqué l’arrêt net de nos 2 voyageurs et aussi leur surprise, leur réaction.

 

 

 

L’expression du regret (autre ingrédient que je trouve dans ce récit), le regret d’un monde d’avant :

Une expression en « nous », à la 1ere personne du pluriel. Ce sont nos chefs, ceux qui nous dirigent, c’est eux qui ont fait n’importe quoi. Ils l’ont livré pour le faire condamner à mort et ils l’ont crucifié. Nous, on a été dépassé, on est dépassé par cette actualité qui nous submerge. Qu’est ce qui est vrai ? qu’est ce qui est faux ? qui sommes-nous pour savoir ? nous ne sommes que 2 êtres insignifiants, perdus sur cette route, sans vraiment qu’on sache pourquoi. Lui, celui qu’on a perdu, lui il était puissant ! sa parole, ses actes ! Devant Dieu et tout le peuple ! Mais il a échoué. Et nous, nous sommes perdus. Oui, il y a bien eu quelques femmes illuminées, qui disaient avoir eu une vision. Mais personne n’a revu ce prophète Jésus de Nazareth. Et nous le regrettons, nous voudrions le voir comme dans le monde d’avant : Avant la croix !

 

Maintenant l’ingrédient de l’empêchement à reconnaître, qui est aussi celui de la fermeture des yeux, du cœur et de l’intelligence :

Nos 2 disciples voyageurs sont fermés au point de ne pas voir, sentir et comprendre que celui dont il regrette la présence est à ce moment précis, 3 jours après la croix, avec eux !

« Ne fallait-il pas que le Christ souffre avant d’entrer dans sa gloire ? », ne fallait-il pas cette croix pour que nos 2 disciples comprennent jusqu’où Dieu a été pour eux ? pour que leurs yeux, leurs cœurs et leurs intelligences s’ouvrent ? Ne nous faut-il pas comprendre jusqu’où Dieu est prêt à aller pour ouvrir en nous ce qui est verrouillé ? Ne lui fallait-il pas aller jusque-là pour que nous réalisions à quel point il est proche de nous ? et depuis tellement longtemps, depuis Moïse et le temps des prophètes ?

Bien sûr, Dieu est dieu, rien ne s’impose à lui et nous ne pourrons jamais prétendre le comprendre, mais il a décidé de se révéler à nous par cette croix du Christ.

C’est parce qu’il en ressuscite qu’il vient ensuite lui-même ouvrir nos yeux, notre cœur et notre intelligence à sa présence sur notre route. C’est ainsi qu’en ressuscitant, il nous ressuscite aussi, il ouvre tout ce qui en nous était verrouillé et il nous donne un nouveau cap.

 

 

 

Dans les ingrédients de ce retournement vers la vie, je trouve aussi les Ecritures et le pain.

Commençons par les Ecritures. Je me suis fait la réflexion qu’il n’est pas facile de les lire en marchant, et il faut être très synthétique et clair pour parvenir à résumer Moïse et les prophètes (c’est-à-dire tout l’Ancien Testament) en une après-midi de marche ! Sincèrement, j’aurais vraiment voulu être là pour entendre Jésus.

Dieu n’a pas commencé à parler avec Jésus de Nazareth, il parle à l’humanité depuis toujours. Il ne cesse de se révéler à l’humanité refermée sur elle-même.

Les écritures en témoignent. Que celui qui a des oreilles pour les entendre les entendent aurait dit Jésus.

Je me dis qu’en ce moment nous sommes plusieurs à avoir soudainement du temps et de la disponibilité pour les lire, les écouter et en recevoir des explications.

 

Et puis le pain, car c’est au moment où Jésus a rompu et partagé le pain qu’ils l’ont reconnu. Un simple geste qui agit autant que toute une après-midi d’étude et de commentaire des écritures. Un geste silencieux qui parle avec une telle force ! Cependant, je ne crois pas qu’il faille opposer l’étude des Ecritures au geste du pain partagé. En réalité, ils se complètent, car ils sont indissociables. Le geste du partage du pain vient éclairer concrètement et pratiquement l’interprétation des Ecritures, il nous parle de ce qui meurt et donne la vie en mourant.

C’est bien plus qu’un geste sacramentel représentant un rite qu’on fait de temps en temps le dimanche. C’est un geste concret de partage qui appelle à d’autres gestes concrets de partage. Je note que Jésus partage aussi du temps, il reste avec eux, alors qu’il voulait poursuivre sa route. Il reste disponible. Et du coup, je me demande : aujourd’hui moi, qu’ai-je à partager ? suis-je disponible lorsque le jour baisse ? et lorsque j’en viens à ces questions, mes yeux ne sont-ils pas en train de s’ouvrir et de me donner à voir ce que je n’avais jamais vu jusque-là ? ce que je peux partager ! alors mon cœur brûle !

 

 

 

Après les Ecritures et le pain, l’invisibilité de Jésus au moment même où les yeux des disciples s’ouvrent et le reconnaissent :

Si Jésus devient invisible, n’est-ce pas pour qu’à mon tour, je partage les Ecritures et le pain ? n’est-ce pas pour que j’occupe toute ma place de disciple ? ne me laisse t’il pas toute cette place ? Contrairement à ce que dit la traduction que nous avons lue, Jésus ne disparaît pas, mais il devient invisible. Il est toujours là, mais son image ne capte plus l’attention afin que nous nous réalisions à notre tour en tant que disciple, afin que nous devenions à son image…

Je suis frappé, dans ce récit par la réaction des 2 disciples lorsqu’il devient invisible : on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient à nouveau déçus, abattus, revenus à leur deuil initial, mais au lieu de cela, ils comprennent ensemble à quel point leurs cœur chauffaient avec lui. Et ils chauffaient non pas pendant le partage du pain, mais bien dès l’explication des Ecritures.

Paradoxalement, c’est quand ils le voient qu’il devient invisible et c’est quand il devient ainsi invisible qu’ils se mettent à vraiment comprendre sa présence, j’allais dire « à le voir vraiment ! ». Non pas seulement comme un prophète puissant qui fait des miracles, mais comme Dieu présent dans leurs vies.

 

Le cœur qui brule, est le dernier ingrédient de ce récit :

C’est ce cœur en feu qui explique la précipitation du demi-tour dans la nuit pour retrouver les autres disciples et témoigner en urgence de ce qui s’est ouvert en eux. Et là, quelle surprise ! s’ils pensaient être les seuls à avoir vécu la présence du Christ, eh bien non ! Simon aussi l’a vécu et l’histoire n’est pas finie ! ils étaient 2, ils sont maintenant 11 plus quelques autres, plus Christ ressuscité avec eux, et nous aussi qui ouvrons nos yeux, nos cœurs et nos intelligences à sa présence dans nos vies.

Même confinés seuls ou à quelques-uns, écoutons la question que nous pose Jésus, laissons notre regret du monde d’avant se transformer, ne cherchons pas à voir comme avant, reprenons la route dans une nouvelle direction avec notre cœur qui brule : qu’avons-nous maintenant à rompre, à partager et à donner ?

Amen

 

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