Cycle 1996-1997 : Introduction

La modernité

Qu’est-ce que la modernité ? un mot vague, aux acceptions multiples ? une nébuleuse ?

Peut-être. Mais ce pourrait être aussi un fil conducteur dans la compréhension de notre monde d’aujourd’hui. À condition de savoir de quoi l’on parle.

Reportons-nous à l’histoire. Classiquement les historiens, quand ils abordent le XVIème siècle, y voient le début des « Temps Modernes« . La modernité, ce pourrait donc d’abord être pour nous ce grand mouvement de l’esprit que l’on vit émerger alors, à la fois par l’affirmation de l’autonomie de l’individu (l’humanisme, la Réforme) et par l’éclatement du cadre mental au travers duquel on voyait l’univers (Christophe Colomb, Copernic). Suivirent les premiers progrès de la science occidentale, qui devient efficace (Galilée, Newton) ; puis, avec le siècle des « Lumières« , l’affirmation de la prééminence de la « Raison« , la revendication de la tolérance et surtout la proclamation de l’idée de progrès, qui promettait des jours meilleurs.

Mais tout cela ne constitue, si l’on peut dire, que la première « vague » de la modernité. A partir du 19ème siècle, avec la « révolution » scientifique, technique et industrielle, vint la multiplication des hommes et des choses, aux conséquences innombrables sur notre manière de vivre. Mutation considérable, comparable sans doute, dans l’histoire de l’humanité, à ce que fut en son temps la « révolution néolithique« . Aujourd’hui l’homo « technicus« , l’homo « urbanicus » n’a plus grand chose à voir avec cet homo « rusticus« , qui était vieux de quelque dix mille ans. Et, il faut le souligner, alors que la modernité dans l’esprit, celle des « temps modernes » (au sens des historiens) ne touchait au fond qu’une minorité, la modernité technique et industrielle, la modernité dans les choses, quand elle s’accomplit, finit, elle, par concerner l’ensemble des hommes.

Si bien, semble-t-il, qu’il nous faut entendre par « modernité » l’ensemble de ces phénomènes culturels et matériels par lesquels, en quatre siècles, notre société s’est trouvée peu à peu transformée et se trouve encore aujourd’hui profondément bouleversée ; modernité dans l’esprit, puis modernité dans les choses, qui, parce qu’elle pénètre désormais tous les domaines, atteint maintenant chacun de nous.

Mais, notre siècle l’a montré, la modernité, démentant les espérances placées en elle, ne s’accomplit pas sans douleur. Aussi, aujourd’hui, la modernité est-elle partout remise en question. Certes, la modernité, au moins dans nos pays, et malgré les graves difficultés que tous peuvent connaître, semble pouvoir approcher la réalisation de plusieurs de ses idéaux : amélioration de la condition humaine, liberté, reconnaissance de la valeur égale de tout individu.

Cependant les transformations nées de la modernité, et plus particulièrement de la modernité dans les choses, de la modernité industrielle et technique, n’en finissent pas de remettre en cause les bases de la vie en société et les les fondements de l’idée même de modernité. Aujourd’hui, par exemple, font question le travail, par la place qu’il doit tenir dans la société ; le cadre de vie, par les problèmes de l’environnement et surtout ceux de la ville ; la séparation des sphères publique et privée, par la laïcisation de la majeure partie de l’activité humaine etc.

Plusieurs de ces questions font l’objet du présent cycle.

Au préalable il a été demandé à l’historien Pierre CHAUNU, membre de l’Institut, d’essayer de nous dire ce qu’est pour lui la modernité.

Puis, au cours de cette première série de conférences-débats :

– Denis PIVETEAU nous parlera du travail. La modernité industrielle en avait fait une valeur sociale majeure, facteur par excellence de l’intégration sociale. Or aujourd’hui la place du travail dans la société fait question.

– Jean-Marie DELARUE nous parlera de la ville. Au sein d’une société à dominante rurale, la ville était autrefois le lieu de la modernité. Aujourd’hui presque tout le monde vit à la ville. La ville n’est plus la même. Est-ce que la banlieue préfigure la ville du 21ème siècle ?

– Jean BAUBÉROT nous parlera de la laïcisation de la sociéte. Dans toutes les civilisations le fondement du lien social est religieux. Or notre société technicienne tend à se laïciser complètement. Comment s’opère cette laïcisation et que devient le lien social ?

Bien d’autres « problèmes de société », selon l’expression consacrée, naissent de la remise en cause par la modernité des valeurs les plus anciennes. C’est pourquoi ce cycle est poursuivi dans une deuxième série de conférences.

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