Cycle 1996-1997 : La modernité – 7

7) Modernité et individualisme hors de l’Occident

question soulevée à la suite de l’exposé de Gille LIPOVETSKY, le 23 janvier 1997

Qu’en est-il de l’individualisme et de la modernité hors de nos civilisations, en particulier chez celles de l’Orient, proche ou lointain ?

Il est certain que la modernité, telle que nous l’avons décrite, se situe dans une tradition d’origine à la fois hellénique et judéo-chrétienne, marquée successivement par les Evangiles, la Réforme et les Lumières. C’est sur ce fond que se sont affirmées les idées-force de la modernité telles qu’on vient de les récapituler dans la conclusion qui précède. L’affirmation de l’individu s’enracine pour nous dans des siècles d’histoire.

Or dans d’autres cultures ce fond n’existe pas. Ces cultures, différentes, ont abordé la modernité récemment, par son aspect scientifique, technique et industriel, c’est-à-dire par ce que nous avons appelé la « seconde modernité ». La modernité dans les faits a, chez elles, précédé la modernité dans l’esprit. Mais l’esprit de modernité peut-il pénétrer ces cultures ? La question est de savoir si le droit de chacun à forger sa propre opinion, le droit de chacun de lutter contre les arguments d’autorité, en un mot l’individualisme, a un destin universel ou si c’est un trait culturel propre à l’Occident.

Prenons l’exemple des pays musulmans, de ceux qui sont intégristes. Ils témoignent d’un rejet frontal, radical, des valeurs individualistes, c’est-à-dire du droit des individus, et des femmes en particulier, à s’autodéterminer. Cela signifie-t-il, pour autant, qu’il y a dans la culture de l’Islam quelque chose d’absolument réfractaire à l’esprit individualiste et démocratique ? Quelque chose de contraire au principe de l’autonomie du sujet ? La réponse est difficile.

Mais il y a des facteurs lourds qui, sur le temps long, favorisent forcément l’esprit de liberté. C’est le développement de la science. Les civilisations techniciennes, qui sont celles du futur, pourront-elles, sur le long terme, développer une culture techno-scientifique pour tous et, en même temps, maintenir comme une chape de plomb qui entrave radicalement la liberté de conscience ? C’est, semble-t-il, une contradiction majeure qui, dans le futur, devra nécessairement être résolue, mais qui mettra peut-être un siècle ne serait-ce qu’à être reconnue comme une contradiction. Peut-être… C’est indémontrable.

On peut penser aussi au Japon. G. Lipovetsky nous fait part d’entretiens récents qu’il a eus avec des Japonais. Au niveau sociologique, la réalité est très délicate à apprécier. Il y a, au Japon, des choses qui bougent. Le culte du travail, la fidélité à l’entreprise ne dureront peut-être pas éternellement. Le libéralisme « pur et dur », qui commence à s’installer au Japon, mettra en question l’emploi à vie. Que deviendra alors la fidélité à l’entreprise, très liée à une sorte de paternalisme ? Est-ce que ce dernier subsistera avec un libéralisme total et l’ouverture des frontières ? On peut s’interroger.

En outre les Japonais seront obligés de faire reculer le temps de travail, d’ouvrir des espaces de loisirs. On voit des aspirations nouvelles chez les jeunes. La logique de la consommation, le libéralisme, la démocratie, la liberté de la presse, la science, l’éducation, la contraception sont de puissants facteurs qui, bien que se greffant sur une tradition qui n’est pas celle de l’Occident, poussent vers l’esprit de liberté et favorisent l’autonomie du sujet.

Or on remarquera que ces facteurs sont, pour la plupart, liés à ce que nous avons appelé la « seconde » modernité, c’est-à-dire au processus même de développement scientifique et technologique, avec tous ses effets sur le niveau et le mode de vie. Mais cette « seconde modernité » ne peut elle-même, à son tour, qu’appeler l’ensemble des valeurs idéologiques sur lesquelles elle se fonde.

Avec une remarque essentielle cependant: l’esprit de modernité, l’esprit de liberté, ne se concrétisera pas nécessairement de la même manière partout. Même aux Etats-Unis, l’individualisme ne fonctionne pas exactement comme chez nous. L’individualisme peut être vigoureux et différer pourtant beaucoup d’un pays à l’autre, même dans le seul monde occidental. Raison de plus si l’on pense à d’autres civilisations. La modernité et l’individualisme, finalement, ne peuvent que revêtir des figures différentes selon les cultures.

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