Cycle 2008-2009 : Conclusion

L’univers en devenir

L’univers en devenir ? Assurément ; tous nos conférenciers l’ont montré. Tout change autour de nous, du cosmos aux êtres humains, en passant par notre plante et tout ce qui y vit. Il n’y a pas, il n’y a jamais eu, de permanence éternelle.

Mais nous ne nous en apercevons pas, car le tempo de ces changements dépasse infiniment le temps, si bref, de notre vie. De sorte qu’au plus loin qu’on remonte et jusqu’à une époque récente, les hommes ont toujours cru à la fixité et à l’invariabilité de l’univers : « rien de nouveau sous le soleil » disait-on. Il a fallu la perspicacité de certains grands esprits scientifiques pour déceler, derrière les apparences, l’évolution de toutes choses.

Or ce qui frappe d’abord c’est l’extrême durée de ces évolutions, surtout lorsqu’on remonte aux temps les plus lointains : 13,5 milliards d’années (135 millions de siècles !) pour l’origine de l’univers ; environ deux milliards d’années (20 millions de siècles) pour que, des premiers balbutiements de la vie sur terre, on en arrive à la cellule eucaryote, cette « usine » infiniment complexe où sont déjà en ouvre la plupart des mécanismes de la vie ; 500 millions d’années (5 millions de siècles) pour qu’ensuite se développent jusqu’à nous les êtres multi-cellulaires ; 2 millions d’années (20 000 siècles) pour que, des premiers représentants du genre homo, on en vienne à homo sapiens sapiens, c’est-à-dire nous mêmes.

Certes, les durées ainsi énumérées sont de plus en plus courtes. Mais quelles qu’elles soient, que sont, en comparaison, les quelques 10 000 ans (une centaine de siècles) écoulés depuis la « révolution » néolithique ? et que sont, encore moins, les 20 siècles de notre ère ? On le sait d’ailleurs ; si, selon une fiction fréquemment utilisée, si on représente par une année la durée de l’histoire de la terre (4,5 milliards d’années), cette image fait apparaître l’homo sapiens tout à fait in extremis, le 31 décembre, dans les dernières minutes de la dernière heure de l’année !

Cela dit, nous voudrions, en conclusion de ces six conférences sur l’univers en devenir, développer deux points :

  • D’abord rappeler que de multiples questions restent en suspens au terme des exposés de chacun de nos conférenciers. Chacun d’eux, d’ailleurs, a souligné les questions non encore résolues.
  • Ensuite – et c’est le plus important – montrer comment le fait que, dans sa totalité, notre environnement soit en évolution remet en question, et rend même souvent dépassés, des concepts qui sont pourtant à la base de certaines de nos idées théologiques et même philosophiques

Les limites des théories évolutives

Les théories de l’évolution, qu’il s’agisse de l’univers ou du vivant, seraient-elles achevées ? ne laisseraient-elles aucune question dans l’ombre ? Se poser cette question est absurde. Une théorie n’est jamais achevée ni définitive. Elle n’est valable que tant que l’on n’a pas pu prouver qu’elle était fausse ou incomplète (Karl Popper) (1). Aussi bien, nos intervenants ont-ils insisté sur les limites des théories qu’ils nous ont présentées et mentionné les nombreuses questions qui restent en suspens.

Concernant l’évolution du Cosmos, Marc Lachièze-Rey, a souligné les limites des dernières théories cosmologiques, tant au regard du futur que du passé. Vers le passé, il semble difficile de remonter à un instant « zéro » de l’univers et même de savoir s’il y a eu un instant « zéro ». L’état originel de l’univers (en densité, en température etc..) semble si monstrueux que les lois connues de la physique ne s’appliquent plus. On ne sait plus rien. On appelle cela « l’ère de plomb ». Quant au futur, il semblerait, entre autres questions, que l’expansion de l’univers s’accélère, ce qui est tout à fait inattendu et inexpliqué. D’où tout un débat sur la pertinence en cosmologie de la théorie de la Relativité. Doit-elle être dépassée ? On sait, plus généralement, que les physiciens sont à la recherche d’une « théorie du tout » qui intègrerait la Relativité avec la Mécanique quantique (théorie des cordes, gravité quantique…). Aucun résultat positif ne semble acquis à ce jour.

Nous parlant de l’évolution du globe terrestre, Anne Debroise, nous a expliqué les multiples hypothèses et déductions – à partir de difficiles observations géologiques – qui permettent de tenter une histoire de notre globe qui peut toujours être remise en question ; et nous a montré les questions toujours en suspens comme, par exemple, comprendre clairement l’évolution climatique de la terre et expliquer les changements du magnétisme terrestre.

Concernant l’évolution du vivant, Jean Chaline a beaucoup insisté sur le fait que la théorie de Darwin n’est qu’un point de départ ; qu’en soi, la théorie de l’évolution est elle-même évolutive et que, ne détenant aucune vérité définitive, elle a déjà été corrigée, complétée et approfondie à la suite des nombreuses découvertes biologiques du siècle passé. Il apparaît de plus en plus que les mécanismes du développement individuel et de l’évolution des espèces sont liés ; que les explications se situent au niveau de l’embryologie ; et que l’expression des gènes obéit à des mécanismes complexes avec nombreuses interactions entre gènes et protéines.

Mais il subsiste bien des questions sans réponse : que sont les origines de la vie ? comment se sont formées les structures vivantes (cellulaires puis pluri-cellulaires) ? comment se sont constitués le code génétique et le mécanisme des gènes Hox ? comment est apparue la sexualité ? … Pour progresser, peut-être faudrait-il tenir compte de ce que les phénomènes de la vie, tels qu’on les déchiffre maintenant, se situent le plus souvent au niveau moléculaire. La prise en compte des théories physiques contemporaines pourrait être une voie à suivre, notamment en se référant à l’aspect quantique des phénomènes ou à la théorie toute nouvelle de la relativité d’échelle.

Quant à l’évolution des hominidés, telle que nous l’a décrite Didier Marchand, elle laisse subsister la même genre de questions. Quels mécanismes biologiques expliquent les grands changements morphologiques qui ont orienté l’évolution vers homo sapiens ? On constate que ces changements, aléatoires, se font, de façon très précoce, au niveau de l’embryon. Il nous faut admettre que, passés ensuite chez l’adulte, ces changements n’ont pas été néfastes pour l’espèce et lui ont même été plutôt profitables. La sélection naturelle a conservé ceux qui étaient efficaces face aux difficulté de la vie. Comme cela a été dit : le génome propose, mais l’environnement dispose.

Reste la question de l’évolution de la conscience. Sujet difficile, comme l’a fortement souligné Dominique Laplane en nous rappelant la formule de William James : la conscience, c’est quelque chose que l’on connaît très très bien, jusqu’au moment où on demande de la définir. Si l’on entend par conscience la présence à soi-même, cette intériorité subjective qui permet à chacun de dire « Je », nous sommes dans le domaine de l’incommunicable ; nous pouvons seulement inférer qu’autrui a une conscience parce que nous-mêmes vivons la nôtre. Il est alors bien difficile d’imaginer ce qu’aurait pu être l’évolution de la conscience des hominidés.

Par contre, au regard de la conscience, on peut distinguer les « contenus de conscience » (nos perceptions, nos sentiments, nos idées, nos fantasmes), lesquels se manifestent le plus souvent (mais pas toujours) par des comportements. Et l’étude de ces derniers peut alors fournir des indications sur ce que pouvaient être ces contenus de conscience, et donc sur le développement possible de la conscience qui les contenait. Ainsi interprète-t-on, par exemple, les pratiques funéraires des hommes de Néandertal. Néanmoins, il faut le reconnaître, ces interprétations laissent place à beaucoup d’hypothèses et d’incertitudes. Autant il paraît probable que, dans l’évolution du monde vivant, la conscience fut une acquisition progressive, autant il est très difficile de décrire comment elle s’est formée peu à peu.

La remise en question de concepts fondamentaux

Nous oublions souvent que plusieurs des concepts qui sont à la base de nos théologies, sinon même de nos philosophies, remontent à l’Antiquité (pour ne pas dire plus au-delà encore), c’est-à-dire à une époque où nul ne pouvait soupçonner que le monde physique, dans toute sa réalité et dans toutes ses dimensions, était en évolution.

Pas d’éternité immuable

Pour le dire brièvement, on ne saurait d’abord garder comme valable cette idée qu’au fondement ultime des êtres et des choses se trouverait un principe fixe, immuable et éternel. Une telle idée ne correspond plus à rien. La théologie du Process l’a bien compris, qui postule que Dieu est susceptible. de changements. La divinité ne peut plus être comprise comme immuable dans son éternité.

Comprendre autrement l’idée de création

C’est bien sûr le concept de création que l’évolution d’ensemble de l’univers oblige à reconsidérer totalement. Peut-on seulement conserver ce concept ? On vient de le rappeler : si la théorie du big bang se révèle certaine (la preuve par le rayonnement fossile), elle n’en est pas moins tout à fait énigmatique. Il semble impossible de remonter scientifiquement à l’instant « zéro » de l’univers. Et même, comme nous l’a dit Marc Lachièze-Rey, on se demande si cet instant « zéro »a existé ou s’il aurait été précédé par d’autres univers. Notre conférencier a rappelé l’imprudence du Pape Pie XII qui avait cru pouvoir assimiler l’idée du Big bang au Fiat Lux ! des premiers versets de la Genèse.

En d’autres termes, la notion de commencement devient incertaine et ces incertitudes obligent à penser la création non plus comme un « acte » initial à l’origine de tout ce qui existe, mais plutôt à l’envisager comme un phénomène continu au cours duquel apparaît progressivement tout ce qui existe. C’est d’ailleurs là une conception tout à fait biblique : nombreux sont les textes qui nous disent comment se façonne la terre sous l’effet d’une action divine permanente. C’est de plus une idée reprise par la théologie du Process (nous allons y revenir). On peut aussi envisager la notion de création d’une autre manière : partir du fait que le monde physique obéit à des lois (qui se répartissent en deux grands chapitres : la Relativité et la Physique quantique). Or, même nous l’a dit le physicien Roland Omnès au cours d’un cycle précédent, l’histoire du monde physique n’est autre chose, finalement, que le développement progressif des effets de ces lois (2).

Ces deux façons d’interpréter le concept de création – création continue ou déroulement de l’effet de lois fondamentales – ne sont d’ailleurs pas contradictoires mais plutôt complémentaires. On observera au surplus – mais c’est une tout autre question – que cette manière de comprendre la formation progressive du monde physique n’implique pas l’idée d’un déterminisme absolu (3). Reste alors à savoir si l’on considère que ces lois et/ou cette création continue n’ont d’autres causes qu’elles mêmes ; ou si l’on pose, à un plan supérieur, un principe transcendant, que l’on appelle Dieu, et qui pourrait être doué de volonté et d’intention. Là aussi, c’est une tout autre question (4).

Enfin, dernière façon possible de comprendre l’idée de création, une façon tout à fait différente : celle d’un point de vue plus individuel et, si l’on peut dire, plus « existentiel », qui insiste davantage sur la notion de créature que sur celle de Créateur.
Il faut, pour cela, quitter le domaine des réalités physiques et se placer au plan de la condition humaine. On peut comprendre l’idée de création comme une affirmation essentielle relative à situation de l’homme. Selon un texte très éclairant de Bultmann (5), l’important n’est pas de comprendre Dieu comme cause physique de l’univers. L’important n’est pas qu’il y ait objectivement un Créateur ; ce n’est pas la question. L’important se situe au niveau de l’existence de chaque être humain ; il est, pour chacun, de se ressentir comme créature. En se reconnaissant comme un être « créé », l’homme affirme un au-delà de lui-même qui le dépasse. Il ne peut se considérer comme « premier » ; il ne peut se considérer comme supérieur à tout. C’est une compréhension fondamentale de ses limites.

Comprendre l’idée de fin des temps comme un mythe concernant le présent

Paradoxalement, l’évolution de toutes choses remet aussi en question le concept traditionnel de fin des temps.

La cosmologie d’abord, dans son état actuel, n’énonce rien de précis ni de certain quant à une fin possible – et très très lointaine – de l’univers. Contraction après expansion ? Pour le moment les observations font au contraire apparaître une accélération de l’expansion, à la fois inattendue et inexpliquée. En revanche, au « modeste » niveau du système solaire (qui n’est que peu de choses dans l’ensemble de l’univers), la fin de ce système, « notre système », serait prévisible et entraînerait la disparition de notre plante et de tout ce qu’elle porte, …. dans une durée que l’on situe autour de 5 milliards d’années.

Cinq milliards d’années ! Il n’y aurait évidemment aucun sens à rapprocher cette durée de l’idée traditionnelle de la fin des temps. Car cette idée de fin des temps est d’un tout autre ordre. Quand on l’examine dans son contexte tant juif qu’iranien ainsi que dans son expression chrétienne, on constate que, finalement, elle est essentiellement liée à l’espoir d’une victoire définitive du bien sur le mal et qu’elle annonce l’avènement d’un monde nouveau, purifié du mal, sans souffrance ni mort.

Or, de nos jours, comprise ainsi comme un moment du futur où le mal serait effacé, cette idée ne peut être considérée autrement que comme un mythe. En réalité, elle est une réponse d’espoir à l’angoissante et toujours actuelle question du mal. Ce mythe traduit, dans un cadre de pensée qui n’est plus le nôtre, le désir profond de l’homme d’échapper à sa finitude et à sa condition terrestre dans ce qu’elle a d’imparfait, d’inquiétant et d’angoissant.

Mais quel sens donner de nos jours à un tel mythe ? Loin de considérer qu’il représente un mode de pensée totalement dépassé, il faut se demander si, derrière ce langage mythique, ne se cache pas un message plus profond qui resterait pour nous d’actualité. Pour le dire autrement, il faut tenter de saisir la valeur « permanente » du mythe en l’exprimant dans un langage nouveau. Et, pour cela, le point essentiel, aujourd’hui, est de comprendre ce mythe non comme relatif à un temps futur imaginaire, mais comme concernant notre vie et notre action au présent.

Ce qui revient à dire que, face à la présence du mal, il ne suffit pas d’en imaginer la fin dans un futur mythique, mais il convient de répondre hic et nunc, ici et maintenant, à l’appel que nous ressentons, du fait même de notre finitude, à lutter toujours contre le mal. Le mythe peut alors devenir le fondement spirituel d’une espérance et motiver notre persévérance dans l’action quotidienne. Lutter toujours, et sans cesse recommencer, pour un objectif qui, en lui-même, se dérobera toujours parce qu’il se situe au-delà du temps, mais qui, pour la même raison, est toujours devant nous.

« Création », « Fin des temps » et théologie du Process

Cette manière de comprendre l’idée de fin des temps – comme aussi ces diverses façons de comprendre l’idée de création – nous rapproche à l’évidence des grands thèmes de la théologie du Process, tels que Raphaël Picon nous les a exposés.

Rappelons que, pour les théologiens du Process, Dieu est comme la puissance qui agit sur un réel toujours en transformation, comme la puissance qui pousse ce réel vers une forme toujours « meilleure ». Pour autant, Dieu n’est pas tout-puissant. Entraîné lui-même dans cet incessant mouvement de transformation du réel, il doit composer avec ce qui est, avec tout ce qui existe déjà, comme avec tout ce qui advient. Face au réel, il rencontre des résistances, il subit des échecs. Aussi a-t-il besoin des hommes. C’est par eux qu’il ouvre dans le monde, en les incitant sans cesse, et malgré les échecs, à rendre le monde moins déchiré, moins torturé, plus harmonieux.

On peut donc dire qu’en tentant d’intégrer les données de la science contemporaine, la théologie du Process a pris en compte ce fait fondamental que l’univers, dans sa totalité, est en devenir. Elle permet ainsi, sans doute, de donner un sens « actuel », valable pour le présent, à des mythes qui avaient été formulés en un un temps où l’idée même d’évolution n’effleurait même pas l’esprit humain.

Ajoutons que nous sommes aussi très proches d’un texte fondamental du Deutéronome : « je mets devant toi la vie et le bien, la mort et le mal. tu choisiras la vie (et le bien) afin que tu vives » (Deut. 30,15-19). Or ce choix est à faire au présent, hic et nunc, ici et maintenant, comme nous l’affirment clairement les lignes qui précédent ce texte, à savoir : « Car ce commandement que je te commande aujourd’hui, il n’est pas impossible pour toi et il n’est pas inaccessible ; il n’est pas dans les cieux pour qu’on dise : « Qui montera aux cieux pour nous, le prendra pour nous et nous le fera entendre, afin que nous le pratiquions ? » Et il n’est pas au-delà de la mer pour qu’on dise : « Qui passera pour nous au-delà de la mer, le prendra pour nous et nous le fera entendre, afin que nous le pratiquions ? » car tout près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton coeur, pour la pratiquer » (Deut. 30,11-14)

Ce texte, assurément, s’applique autant aux commandements évangéliques qu’à la Loi de Moïse. Il nous dit que ces commandements ne concernent ni un monde céleste ni un monde imaginaire et lointain « au-delà de la mer« , mais qu’ils sont « au dedans de nous » et valables hic et nunc ; qu’ils concernent notre présent.

On reconnaîtra bien sûr ici aussi des thèmes très voisins de ceux de la Théologie du Process qui, précisément, a tenté d’intégrer dans la pensée religieuse et théologique les nouvelles données issues des sciences contemporaines.


NB : plusieurs des thèmes évoqués ci-dessus ont été développés de façon un peu plus étendue dans la conclusion de la brochure Études et Recherche relative à l’interprétation des textes sacrés.

      (1) Souvent une nouvelle théorie n’élimine pas une théorie plus ancienne mais l’intègre, comme cas particulier, dans un système plus vaste.
        2) Cf. la conférence de Roland Omnès dans la brochure Etudes & Recherche « 

Au-delà – de la mort, du temps, du réel

       » : Il semble que les lois contiennent toute la création en puissance, dans son déroulement depuis l’instant supposé original.
      3) La mécanique quantique indique qu’il subsiste dans l’univers des degrés de liberté.
        4) Voir sur ce point, dans la revue

Évangile et Liberté

         d’octobre 2004 (n° 182) l’article de John Shelby Spong : 

Au delà du théisme, vers de nouvelles images de Dieu

        5) Rudolf Bultmann –

Jésus

      (1926 et 1951) – Trad. française « Le Seuil » Paris 1968, p 232).

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