Cycle 2012-2013 : Des mythes toujours actuels ? – 3

3) La Côte d’Adam – Et Dieu créa le ciel, la terre, et la femme

de Liliane CRÉTÉ, le 12 janvier 2013

Courte étude de Genèse 1, 2, 3.

Il y a dans la Bible deux récits de création. Le premier est théologique et vertical ; le second est anthropologique et horizontal. Sorte d’hymne majestueux, le premier, raconte la création du monde en six jours; c’est le sixième jour que Dieu créa tous les animaux terrestres, et enfin l’humanité :

Elohim dit : « Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance ! Qu’ils aient autorité sur les poissons de la mer et sur les oiseaux des cieux, sur les bestiaux, sur toutes les bêtes sauvages, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre ! » Elohim créa donc l’homme à son image, à l’im Âge d’Elohim il le créa. Il les créa mâle et femelle ». Elohim les bénit et Elohim leur dit : Fructifiez et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la, ayez autorité sur les poissons de la mer et sur les oiseaux des cieux, sur tout vivant qui remue sur la terre ! » Genèse 1, 26-28 : trad. Dhormes (La Pléïade)

Le texte est clair : Elohim créa l’homme à son image ; Il les créa (ôtam) mâle et femelle ». (Gn 1,24-26. Le suffixe pluriel hébreu אֹתָם (ôtam) indique avec précision qu’il s’agit de deux êtres : l’homme et la femme ont été créés ensemble et ils ont été créés différents L’humain, mâle et femelle, dernière œuvre de Dieu, est le couronnement de la création. C’est pourquoi, satisfait de ce qu’il a fait, Elohim le septième jour, se reposa c’est-à-dire, selon l’étymologie du mot shabbat שָׁבַת),) cessa. Estimant son œuvre achevée, Dieu cessa le septième jour de créer. Et il se retira pour faire une place à l’humanité.

Alors que dans ce premier récit des origines, l’homme et la femme ont été créés ensemble par la parole fondatrice de Dieu, dans le second récit, la création de l’humanité s’est faite en deux temps et le premier homme, l’adam, est créé à partir de la terre, adamah :

Alors Iahvé Elohim forma l’homme, poussière provenant du sol, et il insuffla en ses narines une haleine de vie et l’homme devint âme vivante (Gn 2, 7).

La terre est alors un désert car Dieu n’a pas encore fait pleuvoir. C’est pourquoi il plante un jardin à l’orient, pour y placer l’homme qu’il vient de former ; pour le nourrir, il fait germer des arbres « agréable à voir et bon à manger » (Gn 2, 7-9). Au milieu du Jardin, il fait aussi pousser deux arbres très particuliers : l’arbre de Vie et l’arbre de la science du Bien et du Mal. Puis il créé les animaux dans le désordre et les a amenés devant l’Adam pour qu’il les nomme, montrant par ce simple geste la supériorité de l’homme sur l’animal ; enfin, jugeant qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul, il lui donne une « une aide qui soit semblable à lui » :

Alors Iahvé Elohim fit tomber une torpeur sur l’homme et celui- ci s’endormit. Il prit une de ses côtes et enferma de la chair à sa place. Iahvé Elohim bâtit en femme la côte qu’il avait prise de l’homme. Il l’amena vers l’homme et l’homme dit: cette fois, celle-ci est l’os de mes os et la chair de ma chair ». (Gn 2, 21-22)

Dans ce second récit des origines, on nous dit que la femme a été formée d’une côte de l’homme – en réalité, elle a été tirée du côté de l’homme : chair et os. On peut penser, et dans les cercles féministes, on ne se prive pas aujourd’hui pour le dire, qu’étant seconde, elle est plus réussie que l’homme, premier modèle nécessitant peut-être des corrections ; on peut penser aussi qu’ayant été créée à partir de la chair et de l’os de l’homme et non façonnée avec de la terre, elle lui est supérieure, comme l’adam est supérieur à l’adamah d’où il est tiré ; néanmoins, pour la Tradition, la femme est secondaire, créée uniquement pour être une « aide » à l’homme. Les auteurs chrétiens eurent tôt fait en vérité de la rendre responsable du mal existentiel. Or, on l’oublie souvent: c’est à l’homme seul, que fut donné l’ordre de ne pas manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, puisque la femme n’avait pas encore été créée lorsqu’il dit :

De tout arbre du jardin tu pourras manger, mais de l’arbre de la science du bien et du mal tu n’en mangeras pas, car du jour où tu en mangerais, tu mourrais. (Gn 2, 16-17)

Cet interdit, symbolisé par le fruit défendu, marque la différence entre l’homme et Dieu et définit leur relation. Le récit montre aussi que même au Jardin, l’homme n’est pas sans loi ; Dieu lui a donné le pouvoir d’accomplir ou de transgresser. Peut-on dire que ce faisant, Dieu met à l’épreuve la liberté de l’humain ? La limite à ne pas dépasser, au Jardin d’Eden, ne se trouve pas aux confins du Jardin, mais au centre. Or, à cause de l’arbre de la science du bien et du mal planté au centre du Jardin, qui s’offre constamment à ses yeux, il sait qu’une possibilité s’ouvre à lui d’obtenir l’autonomie, d’exercer le libre-arbitre que Dieu lui a accordé. L’interdiction se transforma en invitation. Le serpent vint trouver la femme, déforma les paroles de Dieu, en en inversant les termes et l’invita à cueillir le fruit défendu :

Vous n’en mourrez pas, mais Elohim sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux se dessilleront et vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal (Gn 3, 4-5). 

La femme, de son côté, dans sa réponse au serpent, ne rapporte pas exactement, les propos de Dieu. Elohim n’a pas dit : « Vous n’en mangerez pas et n’y toucherez pas, de peur que vous ne mouriez » (Gn 3,3). Dans un mouvement déjà d’indépendance, la femme, a ajouté une petite phrase au commandement de Dieu ; ce faisant, « elle quitte sa place de créature qui entend et reçoit la parole de Dieu »[1]. Alors, on peut se demander si l’humain, en discutant avec le serpent une parole de Dieu, ne s’est pas déjà éloigné de Dieu, n’a pas déjà pris son indépendance ? Il y a sans doute plus ici que la désobéissance à un ordre divin : il y a interrogation, questionnement sur une parole de Dieu.

Nous connaissons la suite de l’histoire : la femme écoute le serpent, mange du fruit et en donne à Adam, sa moitié. Là est le « péché » là réside la « chute » de l’homme clame la Tradition chrétienne depuis bientôt deux mille ans. On peut pourtant se poser une question : et si le serpent avait été là pour pousser l’homme, non pas au mal, mais à franchir une étape afin d’avoir accès au conscient et peut-être même à la sagesse? Car il est un fait qu’après avoir mangé du fruit défendu, les yeux de l’homme et de la femme s’ouvrirent et ils virent qu’ils étaient nus. Ils eurent honte et se cachèrent derrière un buisson pour ne pas se montrer devant Dieu. Le sentiment de culpabilité dorénavant habite leur conscience. Alors Dieu les chasse du Paradis afin qu’ils assument pleinement le destin humain qu’il avait sans doute prévu en se retirant le septième jour. Sans la transgression, l’homme n’aurait pas été vraiment « humain ».

II. des Pères de l’Église aux penseurs de la fin du Moyen Âge :

L’obsession du péché

De l’histoire du Jardin d’Eden, la tradition chrétienne n’a retenu que la « Chute » et le Péché originel. Autre était pourtant la pensée des auteurs du livre de la Genèse puisque le mot hattâth (חַטָּאת), qui signifie péché, apparaît en Genèse 4,7 seulement, non sous la forme d’une faute dont tout homme hériterait, mais sous celle d’un choix éthique. À Caïn, sur le point de commettre un crime, YHWH lance un avertissement :

Pourquoi éprouves-tu de la colère et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu agis bien, ne te relèveras-tu pas ? Que si tu n’agis pas bien, le Péché est tapi à la porte : son élan est vers toi, mais, toi, domine-le !

On voit qu’il n’est pas question de péché dans la Bible avant Genèse 4 : le meurtre d’Abel par Caïn. Aussi bien, puisque ni l’homme ni la femme n’avaient encore conscience de ce qu’était le bien et le mal lorsqu’ils mangèrent du fruit défendu, comment peut-on dire qu’ils avaient péché ? Pour Caïn, assurément, il en fut autrement : il avait le choix entre le Bien et le Mal.

Bien plus que le premier mythe de la création, le second s’imprimera dans l’inconscient collectif de l’homme d’Occident. Le poids du péché dans le christianisme est énorme, ce qui fit dire à Soeren Kirkegaard :

Il est assez curieux que l’orthodoxie chrétienne ait toujours enseigné que le paganisme était dans le péché, alors que la conscience du péché n’a été posée que par le christianisme ?[2]

Nous trouvons, dès les premiers temps du christianisme, une dénonciation de la femme : elle était secondaire par rapport à l’homme, dénuée plus ou moins de cervelle, et encline au péché. Ainsi, nous lisons I Tm 2, 12-15, épître d’un disciple de Paul destinée à un responsable de communauté :

Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de prendre de l’autorité sur l’homme mais elle doit demeurer dans le silence. Car Adam a été formé le premier, Eve ensuite ; Adam n’a pas été séduit, mais la femme, séduite, s’est rendue coupable de transgression. Elle sera néanmoins sauvée en devenant mère, si elle persévère avec modestie dans la foi, l’amour et dans la sainteté.

Plus tard, Tertullien (père latin du IIe/IIIe siècle), écrit à ses « sœurs bien aimées « dans De la toilette des femmes » :

Tu enfantes dans les douleurs et les angoisses, femme ; tu subis l’attirance de ton mari, et il est ton maître ; et tu ignores qu‘Eve, c’est toi ? Elle vit encore en ce monde, la sentence de Dieu contrer ton sexe. Vis donc, il le faut, en accusée C’est toi la porte du diable : c’est toi qui as brisé le sceau de l’Arbre […] c’est toi qui es venue à bout si aisément de l’homme, image de Dieu ».

Infiniment plus lucide, Origène (père grec du IIe/IIIe siècle vivant à Alexandrie) affirma avec force que Dieu, en tant que « Dieu d’amour », avait donné à l’homme la possibilité de choisir entre le bien et le mal[3] ; mais l’Église ne le suivit pas dans cette voie. Ce fut Augustin, non Origène, qui imposa sa pensée à l’Église et contribua à faire du Péché originel un dogme toujours d’actualité. Par la suite la femme fut considérée comme complice du diable, puisqu’elle avait par sa désobéissance aux ordres de Dieu, fait entrer Satan dans le monde.

Disons-le, Satan fit une entrée fracassante dans le christianisme. Alors qu’il n’occupait qu’une modeste place dans le Premier Testament, il fut élevé par les chrétiens au rang de Grand Ennemi Cosmique de Dieu. Toujours prêt à fondre sur l’homme faible pour l’entraîner hors du droit chemin, il devint une force omniprésente. Il fut également considéré comme l’instrument de la justice de Dieu, puisque les hommes pêcheurs constituaient la communauté des sujets du Prince des Ténèbres dans l’au-delà. Toutefois, si les penseurs du Haut Moyen Âge croyaient à l’enfer et à un Satan matérialisé, capable de prendre toutes les formes qu’il lui plaisait, ils déclarèrent indigne d’un chrétien toute croyance au pouvoir des sorciers et sorcières ; l’Église traita même de contes de bonnes femmes les vols nocturnes et affirma que la magie n’était que le reste d’un passé païen.

Tout changea avec le déclin du Moyen Âge et le climat d’insécurité et d’angoisse dans lequel l’Occident vivait depuis la Peste noire. Au XVe siècle, l’Europe succomba sous un raz-de-marée de satanisme et la sorcellerie fut désormais perçue comme un phénomène émanant du diable pour entraîner les esprits faibles en enfer. C’est également au XVe siècle que prit corps la notion de sabbat satanique, tel que nous les connaissons par les représentations qui en ont été faites

Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui est nouveau ?

III. une invention des Inquisiteurs

Ce qui est nouveau, c’est le lien fait entre sorcellerie et satanisme. Magie et sorcellerie apparaissent comme une constante dans les sociétés occidentales, que ce soit chez les Celtes, les Germains, les Francs, les Scandinaves. La Bretagne, le Pays de Galles, l’Ecosse et l’Irlande avaient été de tous temps des terres de sorcelleries ; les Celtes avaient même des druides magiciens et des druidesses consacrées à la divination, tandis que chez les Germains, des prophétesses étaient l’objet de vénération. Chez les Scandinaves, la mythologie était imprégnée de magie, et si l’on croyait au pouvoir d’êtres maléfiques, ils ne sauraient en rien être confondus avec Satan et ses suppôts.

La pénétration du christianisme changea le regard que les anciens peuples portaient à la magie et à la sorcellerie car Satan était un tout autre adversaire qu’un Loki scandinave. L’Église allait en effet faire sien et même développer le concept de Satan, l’ange déchu qui s’était révolté contre Dieu. Créé libre, Satan, le plus beau des anges, était devenu par sa seule force une créature mauvaise qui avait entraîné dans sa chute quantité d’autres anges. Sur ce point, Tertullien, Origène et Augustin étaient d’accord : à Dieu est opposé Satan, aux bon anges, les démons ; au Ciel, l’Enfer. Deux mondes antithétiques. Naturellement, Satan était associé au Mal dans la création et donc, pour Augustin, au Péché originel. De là à faire des femmes ses alliées, il n’y avait qu’un pas que certains penseurs chrétiens franchirent. Ce qui nous conduit bien évidemment à l’action des Inquisiteurs, auxquels avaient été confiés la recherche et l’extirpation de l’hérésie depuis la création des tribunaux d’Inquisition en 1199. Ils avaient été très actifs durant la répression contre les cathares, sous l’impulsion d’un certain Dominique de Guzman. Le pape Innocent IV ayant par ailleurs autorisé l’usage de la torture en 1252, par la bulle Ad Exstirpanda, pour provoquer des « aveux spontanés » il leur était facile d’obtenir des confessions, même les plus extravagantes on vit l’efficacité de la torture durant le procès des Templiers. Il est indéniable qu’il existe une corrélation distincte entre torture et confession. Là où sévit l’Inquisition, on trouva quantité des cercles de sorcières complotant contre Dieu, le Christ et son Église. La sorcellerie en tant que culte organisé à Satan, ne fut pas une découverte, il faut bien le comprendre, mais une invention des Inquisiteurs.

Les inquisiteurs se persuadèrent en effet que la sorcellerie était une hérésie, le plus grand de tous les péchés, parce qu’elle impliquait un rejet de Dieu et une adhésion à Satan et donc, même lorsque sorciers et sorcières ne faisaient aucun mal à autrui, il fallait les mettre à mort en tant qu’ennemis de Dieu.

À partir des années 1420-1430, Ils commencèrent à élaborer une démonologie pour mieux répondre au danger, tandis que des prédicateurs agrémentaient leurs sermons de récits terrifiants sur le rôle et la place que Satan occupait Ici-bas et dans l’Au-delà. Le thème de l’Enfer peuplé de démons infligeant aux damnés les plus affreux supplices – thème révélateur du malaise de l’homme – alimenta les prédications et la littérature du Temps. Par la volonté de l’Église, jeteuses de sort et ensorceleurs se fondirent en une secte d’adorateur du Diable avec ses rites et ses lois. La chasse aux sorcières fut une conséquence tragique de la panique qui saisit les Inquisiteurs. Non contents de lier hérésie et sorcellerie, ils cautionnèrent de leur autorité les terreurs populaires et les images démoniaques imprimées dans les esprits, et, finalement, donnèrent le coup d’envoi pour la tristement célèbre chasse aux sorcières qui toucha l’Occident aux XVe et XVIe siècles.

Je dis bien chasse aux sorcières. Car, si l’on admettait la présence de sorciers, les véritables suppôts de Satan étaient les femmes. Alors que les sorcières avaient été vues dans le passé comme des guérisseuses, voire des pourvoyeuses de filtres d’amour, on les accusait maintenant de pratiquer la magie noire et d’être les alliées du Prince du Mensonge avec lequel elles pratiquaient des jeux lubriques. Dans l’esprit de nos démonologues – ecclésiastiques frustrés– la femme était un être dominée par le sexe, qui trouvait dans le Diable le partenaire idéal. C’est pourquoi celui-ci est représenté comme un bouc, comme un serpent (référence biblique), ou comme un loup – celui-ci servirait alors de monture à la sorcière pour se rendre au sabbat. Il peut être un chat. Lorsqu’il prend une forme humaine, il a toujours des cornes, des griffes, une queue, des poils. Recherchant toujours l’accouplement, les démons seraient soit des incubes (c’est-à-dire des démons mâles) soit, plus rarement, des succubes (démons femelles qui s’unissent charnellement à l’homme pendant la nuit).

La fin du Moyen Âge est une période tragique pour l’Europe, qui explique cette peur irraisonnée de soi-disant forces du mal rassemblées contre la Chrétienté. L’Europe subissait une crise morale et spirituelle majeure. Depuis la Grande Peste, elle avait été le théâtre d’une longue série d’évènements violents et traumatisants. Le Grand Schisme entre autres, horrifia tant la chrétienté que dans les dernières années du XIVe siècle la rumeur courait que depuis lors, aucune âme n’avait pu rejoindre le Ciel. Dans ce contexte tragique, les chrétiens sont torturés par la peur et les scrupules de conscience qui aboutiront à des névroses chez les êtres aux personnalités obsessionnelles ou psychotiques. La hantise de la femme, associée à Satan, allait justifier tous les fantasmes et tous les fanatismes dans l’Église. 

Dans la première moitié du XVe siècle, les Dominicains rédigèrent des ouvrages de démonologie qui acquirent rapidement la notoriété. Le Formicarius, écrit à Bâle entre 1435 et 1437 par le dominicain allemand Johannes Nider, est sans doute le premier ouvrage dans lequel il est clairement question d’une secte de « jeteurs de sort » des deux sexes opérant dans une zone située entre Berne et Lausanne, dont les membres jetaient des mauvais sorts, se rassemblaient la nuit pour commettre des sacrilèges, renier le Christ, le baptême et l’Église, prêter hommage au Diable, et dévorer des enfants. Nider, en quelque sorte, créa l’image du sabbat des sorcières, en se fondant sur des récits arrachés par la torture. Mais s’il mentionne la présence du chat, sensé incarné le Diable, il ne parle pas de « vols magiques » ni d’orgies sexuelles, lors de ces réunions.

Ce sera fait cinquante an plus tard, par deux autres dominicains allemands, dans un sinistre ouvrage appelé le Malleus Maleficarum, ou Marteau des Sorcières. Leurs auteurs, Henrich Krämer, dit Institoris et Johan Sprenger allaient utiliser le mythe de la femme créée à partir du côté de l’homme, pour démontrer que la femme, à cause de sa constitution particulière, était, bien plus que l’homme, maléfique, lubrique, et incline à oeuvrer avec les forces du mal. Précisons qu’Henrich Kramer, est à l’origine de la première vague de persécutions, qui eut lieu à Ravensbrug en 1484. C’est après cela, « fort » de son expérience, qu’il rédigea le Malleus.

Si l’on résume, la position des Inquisiteurs, la sorcellerie est l’œuvre principalement des femmes, qui passent un pacte avec le démon pour détruire l’humanité avec son aide ; elles sont organisées en sectes hérétiques, participent régulièrement à des réunions nocturnes appelées sabbats, auxquelles elles se rendent en volant dans les airs grâce au démon, et là, elles commettent des actes sexuels débridés avec lui. Il semble évident que les sorcières ont hérité des stéréotypes inquisitoriaux formulés lors de la persécution des mouvements hérétiques médiévaux, et plus tard des Chevaliers du Temple, accusés eux aussi de messes noires infâmes et de pactes avec le diable. Nous devons à ce sujet pointer du doigt la peur et la haine des juifs qui percent dans la conception que les chrétiens de ce temps avaient de la sorcellerie : avoir nommé sabbats les réunions nocturnes des diables et de leurs suppôts, les sorcières, en est l’exemple. De la superbe notion de « retrait de Dieu » le septième jour de la Création, pour faire place à l’homme, – ce qu’est le sabbat – ils conçurent des orgies diaboliques et maléfices.

Entrons maintenant dans les détails du Maleus Malificarum, et nous allons voir comment à la fin du 15e siècle, deux dominicains ont pu détourner de son contexte le mythe de la femme tirée de la « côte d’Adam ».

IV. Le marteau des Sorcières « mode d’emploi » 

Première partie

Selon Institoris et Sprenger, trois éléments sont nécessaires, pour qu’il y ait sorcellerie : il faut une sorcière maléfique, l’aide du Diable, et la permission de Dieu. Et ils vont s’efforcer de le prouver en montrant le danger représenté par ceux qui nient la réalité de la sorcellerie, en empêchant les poursuites ; en décrivant les différentes formes de sorcelleries et leurs remèdes ; enfin en fournissant aux juges « la méthode de jugement et de punition requise pour l’extermination desdites sorcières, selon la teneur de la bulle et les dispositions des saints canon ». Le thème central n’est plus seulement la sorcellerie et ses dangers, il est celui de la sorcière : qui est-elle, que fait-elle ? Comment la trouver ? Comment la combattre ? Bien sûr, le Malleus Maleficarum s’inspire du Formicarius de Johannes Nider. Mais là où il y avait questionnement, interrogation, les auteurs du Malleus affirment. Avec eux l’Inquisition ouvre un nouveau chapitre de son histoire, le plus long et le plus sanglant sans doute.

Partant du principe que le pouvoir du Diable est le plus fort là où la sexualité humaine est concernée, la femme est immédiatement montrée du doigt. Si le Malleus ici et là mentionne les sorciers, ils restent une quantité négligeable à côté des sorcières Lorsque les auteurs posent le problème, les réponses sont déjà dans les questions :

« Pourquoi la superstition maléfique est-elle plus répandue chez la femme, qualifiée de « sexe faible » ? Pourquoi ce sont surtout les femmes qui copulent avec les démons ? (Question VI)

Et ils appellent bien entendu la Bible à leur secours : en Ecclésiastique 25, (c’est à dire dans le Livre du Siracide) il est écrit en effet à propos de la malignité des femmes : 

« Il n’est pire venin que le venin d’un serpent ni colère pire qu’une colère de femme… j’aimerais mieux habiter avec un lion ou un dragon que d’habiter avec une femme mauvaise ».

Mais si le Siracide prend soin de rappeler que la femme a fait entrer le péché dans le monde et que c’est à cause d’elle que les hommes meurent », il n’a pas assez de mots élogieux pour décrire la bonne épouse. Ce dont nos Inquisiteurs ne tiendront pas compte. Ils font aussi appel à l’exégèse de Jean Chrysostome sur une soi-disant parole de Matthieu selon lequel, conclusion fâcheuse, « Il n’est pas s Âge de se marier » (Mt 19).

« La femme n’est rien d’autre qu’une ennemie de l’amitié, un châtiment inéluctable, un mal nécessaire, une tentation naturelle, une calamité désirable, un péril domestique, un fléau délectable, un mal de la nature peinte en couleurs claires ».

Ils appellent aussi à la rescousse Ciceron, qui avait insisté sur les vices de la femme, bien plus nombreux que ceux des hommes. Et encore Sénèque :

« Une femme qui pleure est un mensonge : deux genres de larmes dans les yeux de femmes en même temps, les unes pour la douleur, les autres pour la ruse. Une femme qui pense seule pense à mal » 

Et nos deux inquisiteurs continuent : elles sont plus crédibles (…) naturellement plus impressionnables – et donc plus susceptibles de se laisser entraîner par Satan ; « Elles ont une langue bavarde » et ne peuvent s’empêcher de rapporter à leurs amies ce qu’elles ont appris dans les arts magiques ; « elles sont déficientes dans leurs forces d’âme et de corps » ; elles n’entendent rien à la philosophie et elles ont, par nature, de plus grands appétits charnels que les hommes, – « ainsi qu’on peut le constater par les nombreuses abominations sexuelles qu’elles commettent ». Pourquoi, et bien parce qu’elles sont imparfaites, « puisque qu’elle avait créée à partir « d’une côte courbe, c’est-à-dire, d’une côte de la poitrine tordue et comme opposée à l’homme ».

Si on en croit les détracteurs du temps passé, Dieu ayant en quelque sorte « ratées » la femme dès le départ, pour des raisons inconnues, elles ne peuvent que nuire à l’homme et à la création. Les chapitres suivants traitent du mal que peuvent faire à l’homme les sorcières. En particulier, nos deux Inquisiteurs se demandent si les sorcières peuvent rendre un homme impuissant (Question VIII) ? La Question IX concerne la possibilité de la disparition de l’organe sexuel masculin par un sortilège. La Question X s’interroge sur la faculté probable qu’ont les sorcières à changer un homme en bête. La Question XI, de la possibilité et de la facilité pour une sage-femme de tuer l’enfant dans le ventre de la mère, ou d’offrir les nouveaux nés au Diable.

Deuxième partie

Dans la deuxième partie du traité, les deux Inquisiteurs poursuivent leur mise en accusation de la femme « déficiente » par les réponses qu’ils apportent aux questions de la première partie.

Ils traitent entre autre du pacte avec le diable, au cours de cérémonies solennelles ou privées ; du transport « dans les airs « pour se rendre à ces cérémonies où elles s’unissent à des démons ce qui les amènent, au chapitre IV à expliquer comment les sorcières « se prostituent volontairement » avec les démons connus sous le nom d’Incubes ». On le voit, une fois encore, tout tourne autour de la sexualité, qui devient sous leur plume le domaine privilégié de la sorcière. Sa nature même l’y pousse.

En effet, nous lisons :

« Les hommes ne se livrent pas si volontairement aux succubes car cette pratique leur est plus en horreur en vertu de cette vigueur naturelle de la raison par laquelle les hommes sont supérieurs aux femmes (chapitre IV)

C’est pourquoi la première victime de la femme est l’homme attaqué dans sa virilité. Très doctement, ils s’étendent en détails sur les « cérémonies nocturnes au cours desquelles elles « copulent » avec le diable, ainsi qu’au transport « aérien » emprunté avec l’aide du diable pour s’y rendre. Et non seulement ils décrivent les accouplements de la sorcière avec un incube, mais encore, ils démontrent que ces « coïts abominables » permettent la multiplication des démons par la semence qu’il déverse dans la femme. Ainsi va le livre, allant d’exemple en exemple pour démontrer la dangerosité des femmes lorsqu’elles s’allient au diable car alors leur pouvoir est immense ; elles peuvent même faire tomber la grêle ou la foudre. Les deux Inquisiteurs le proclament haut et clair : c’est en ayant des rapports sexuels avec le Diable, que les femmes, libidineuses de nature, deviennent des sorcières. Et parce qu’ils le croient, c’est à tous de le croire. Ainsi vont-ils créer un nouveau mythe : celui de la femme complotant contre les chrétiens avec le grand ennemi de Dieu, Satan.

Troisième partie

La troisième partie du livre traite de la procédure juridique contre les coupables de délits de sorcellerie : dénonciations, témoignages, procès, torture, sentences, tout y est consigné. Le Malleus dans sa troisième partie est terrifiant, hallucinant. Institoris et son collègue ont construit l’horreur. L’Inquisition avait été un tribunal d’exception qui était devenu la norme et les obsessions des Inquisiteurs en huilaient les rouages. Le livre rencontra un tel succès qu’il fut quatorze fois réimprimé en son temps et devint la Bible des Inquisiteurs. Par leur prétendu remède, les deux dominicains avaient provoqué la maladie.

Apparence de justice, dont le but unique est de faire avouer. L’accusée, arrêtée sur dénonciation, est coupable à priori et les témoins restent anonymes. Aux juges seuls est laissée la possibilité de décider de la valeur à accorder aux témoignages. Un avocat est prévu, désigné par l’office et il semble qu’il ne joue qu’un rôle de figurant. Si l’accusée réussit à échapper aux griffes de la justice ecclésiastique, elle est livrée au juge séculier « qui pourrait la livrer au feu à cause des dommages temporels ».

Comment faire avouer une sorcière ? En trois étapes : d’abord la solitude de la prison ; ensuite la pression sur ses amis, sa famille, pour qu’ils la poussent à parler. Enfin la torture. Mais avant, l’accusée est dépouillée de ses vêtements « par des femmes honorables et de bonne réputation » ; on cherche sur son corps quelque objet fabriqué par un démon avec un membre d’un bébé non baptisé. On ne trouve rien ? Qu’importe : on la livre aux bourreaux qui doivent obéir « sur le champ, non avec joie mais comme avec un trouble intérieur ».

On commence par une torture « douce » et « sans effusion de sang », c’est-dire « de manière habituelle, sans innover ni raffiner » ; et ces tortures ne doivent pas durer plus de trois jours. Si la soi-disant sorcière n’a toujours pas confessé elle devra alors être emmenée dans un autre lieu de détention où elle sera à nouveau questionnée, afin de s’assurer qu’elle n’a pas uniquement confessé parce qu’elle était torturée. Si elle continue à se taire, elle est accusée d’avoir caché sur elle un maléfice de taciturnité, concocté par un démon, qui a le pouvoir de l’empêcher de pleurer et même de brûler ! Et si elle pleure, là encore, il peut s’agir d’un artifice du démon, étant donné que « pleurer, tisser et tromper sont le propre de la femme » … (questions XIV et XV)

Rappelant le pouvoir que la femme avait eu au paradis d’induire l’homme au péché, les deux auteurs conseillent au juge de faire entrer en marche arrière la femme qui lui est présentée, afin qu’elle ne puisse l’ensorceler avec l’aide du « vieux serpent » ; ils conseillent aussi au juge et à ses assesseurs de faire le signe de croix en la voyant s’approcher. De plus, ils recommandent de chercher un charme maléfique non plus seulement dans ses vêtements, après avoir rasé son corps, mais aux endroits les plus secrets « qu’on ne nomme pas » (question XV)

Si elle n’avoue toujours pas, la menacer du fer rouge ; mais là encore, ils mettent en doute son stoïcisme si elle n’avoue pas, c’est parce que « les démons les préservent de la vraie brûlure » à l’aide de plantes dont ils ont le secret (question XVII). Ou encore, ils peuvent endurcir le cœur de la sorcière au point qu’elle ne peut avouer, quel que soit le moyen de torture employé – et de citer quelques cas d’hérétiques à Innsbruck, condamnés au bûcher, et qui n’avaient pu brûler, si bien que leur sentence avait été changée en mort par noyade. Et ils n’avaient pas pu non plus être été noyés, ce qui avait jeté l’épouvante dans la communauté ; l’Evêque avait même ordonné un jeune de trois jours. Conte de bonnes femmes ? Que nenni. À la suite d’une dénonciation, on les avait à nouveau examinées et on avait découvert sous leur bras, un charme maléfique cousu entre la peau et la chair.

Parfois, il arrivait que la suspecte fut reconnue innocente. Elle n’en restait pas moins sauvée que provisoirement, comme on peut le constater en lisant cette sentence qui a été prononcée par le juge : « Que l’on prenne bien garde de ne mettre en aucune sentence que la personne dénoncée est innocente et pure, mais que l’on a rien prouvé légalement contre elle » (question XX). Un faux pas, une nouvelle dénonciation pouvait renvoyer immédiatement la personne reconnue innocente devant ses juges impitoyables.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que questionner par les Inquisiteurs sous la torture, les malheureuses avouaient le plus souvent tout ce qu’ils voulaient entendre, employant les termes mêmes de leurs interrogateurs ; et de ce fait, elles dénonçaient- des soi-disant complices, auxquels étaient arrachées des confessions similaires, si bien que le mythe devenait réalité: il s’agissait bien, comme ils le craignaient, d’une secte d’adeptes de Satan qui complotaient dans l’ombre pour détruire la chrétienté. Ce furent les Inquisiteurs qui découvrirent les premières sorcières en Suisse et en Hongrie ; eux qui répandirent l’épidémie démoniaque en Allemagne, aux Pays Bas, en France.

V. La chasse aux sorcières

Au XVIe siècle et plus encore au XVIIe siècle, la chasse aux sorcières battit son plein. Les guerres de religion, la peur du Turc, aux portes de Vienne, affolèrent la chrétienté. Les têtes pensantes du christianisme se persuadèrent que Dieu, à juste titre, punissait l’humanité pour ses trop nombreux péchés. S’inspirant du Malleus, de nombreux manuels de démonologie furent publiés au cours de ces deux siècles. Ils provoquèrent ce que Jean Delumeau appelle une « législation d’affolement ». La terreur se répandit à mesure que se multipliaient les procès et que s’élevaient les bûchers, et ce qui est intéressant, c’est que les élites, plus que le petit peuple, furent touchées. En France, où la répression fut parmi les plus féroces avec l’Allemagne, des hommes aussi remarquables que Jean Bodin, l’un des créateurs du droit moderne, ou Pierre de Lancre, grand érudit et poète, succombèrent à la panique.

Jean Bodin est ainsi l’auteur d’un traité de démonologie intitulé De la Démonomanie des sorciers (1580). Nous sommes heureux qu’il utilise le terme de sorciers, qui comprend assurément les hommes et les femmes. Néanmoins, dès lors qu’il en vient au sabbat, ce sont les femmes qui sont visées : s’appuyant sur saint Augustin, qui associa les faunes et les sylvains de l’Antiquité aux diables de son temps, (La Cité de Dieu. Livre 15) il écrit que « la copulation des diables avec les femmes est si certaine que ce serait grande imprudence d’aller au contraire ». Le sabbat devint un élément central de sa démonologie parce qu’il incarnait l’opposé de l’ordre terrestre auquel il aspirait ; il représentait le chaos, le désordre; il était antithétique, peut-on dire, à la Res Publica qu’il avait élaborée fondée sur la souveraineté inébranlable du Prince.

L’ouvrage, qui rencontra un succès énorme, fait ressortir l’intensité de la peur que connaissait les têtes pensantes de l’Europe. Les protestants comme les catholiques, furent touchés. Luther et Calvin, tout en rejetant les superstitions, n’en croyait pas moins aux agissements de Satan dans le monde. Les démons « agissaient » pour induire les hommes à l’idolâtrie. La peur mena les Réformateurs à croire en une présence permanente des forces du mal dans le monde. Luther, on le sait, entretenait des rapports familiers avec le diable, qui venait troubler ses nuits, se manifestant sous la forme d’une grosse truie, ou d’une torche enflammée, ou d’un serpent. Calvin l’humaniste, croyait aussi au pouvoir de Satan, mais sous une autre forme. Les miracles avaient cessé avec les apôtres, dit-il, et les miracles du diable, comme ceux de l’Église, étaient feints. Il affirma par ailleurs que le sabbat des sorcières n’existait pas et les déplacements dans les airs une « illusion » du diable, justement. Il n’empêche que sur un point, il rejoignit les Inquisiteurs : « La Bible nous apprend, dit-il, qu’il existe des magiciennes et que celles-ci doivent être mises à mort ». Tant Calvin que Luther, en vérité préconisèrent la mort pour les sorciers et sorcières, parce que c’était écrit dans la Bible : « Tu ne laisseras pas vivre la magicienne (Exode 22, 18) )

Combien furent brûlées, suite aux persécutions féroces menées contre elles ? Beaucoup ; les chiffres sont moindres, cependant, que ce qui fut pendant longtemps affirmé, et nous allons voir, par les statistiques, la responsabilité des autorités, qu’elles fussent civiles ou religieuses, et l’influence de la torture dans la procédure. Si l’on accepte le chiffre de 45 000 pour toute l’Europe, pour l’Allemagne, dont les procès et les exécutions ont été très bien répertoriés, on peut parler d’une vingtaine de mille répartis inégalement selon les régions, pour une population de 15 000 000. L’électorat de Cologne semble arriver en tête avec 2 200 exécutions pour 22 000 habitants.

Voyons ailleurs en Europe :

  • Liechtenstein : population : 3000. Exécutions : 300
  • Électorat de Cologne : population 220 000 ; Exécution : 2 200
  • Duché de Lorraine : population : 400 000 ; Exécutions : 2 700
  • Écosse : population 400 000 : exécutions : 1 350
    Danemark : population 570 000 ; Exécution : 1000
  • Portugal : population 1 000 000 ; exécutions : 5
  • Angleterre : population 4 000 000 ; Exécutions : 1000

L’Angleterre, on le voit, se montra particulièrement modérée dans la chasse aux sorcières. Il est vrai que la torture était interdite pour arracher un aveu ; On ne pouvait torturer qu’un homme ou une femme reconnu coupable pour lui arracher le nom de ses complices. En Ecosse, par contre, les plus abominables tortures furent appliquées aux accusés pour les faire avouer et les sorcières proliférèrent. On voit par ces deux exemples le rôle joué par la torture dans la chasse aux sorcières. Ajoutons que l’Inquisition ne fut jamais établie en Angleterre qui par ailleurs, nouveau bon point pour elle, pendait les sorcières et non les brûlaient. Peu de persécutions non plus dans les pays méditerranéens. Même en Espagne, où l’Inquisition était pourtant très présente, peu de sorciers et de sorcières furent poursuivis parce que les inquisiteurs espagnols considéraient la sorcellerie comme un délit mineur ; ils parlent même des « illusions » des sorcières. Même en Espagne, où l’Inquisition était pourtant très présente, peu de sorciers et de sorcières furent poursuivis parce que les inquisiteurs espagnols considéraient la sorcellerie comme un délit mineur ; ils parlent même des « illusions » des sorcières. L’hérésie principale, pour l’Inquisition espagnole, était le judaïsme, suivi de l’Islamisme et du luthéranisme.

Il faut reconnaître qu’un phénomène de contagion se répandit dans certains pays européens, même lorsqu’il n’y avait pas torture car bien des femmes interrogées, de pauvres créatures généralement, se laissaient influencer par les questions posées. De même que les manuels de confesseurs invitaient les esprits faibles à confesser n’importe quel péché, de même, les questions posées par les chasseurs de sorcières conduisaient des innocentes à confesser des crimes qu’elles n’avaient jamais commis. Suggestions et hallucinations.

Conclusion

Un homme refusera de se laisser entraîner dans la psychose générale et montrera résolument son scepticisme : un Anglais du nom de Reginald Scott, gentilhomme campagnard avisé qui, dans son Discoverie of Witchcraft, publié en 1584, réfute l’idée d’un pacte de l’homme avec le diable et affirme que Satan n’était que le symbole de la tentation du péché.

Plus que physiques, les assauts de Satan sont spirituels, écrit-il: il s’insinue dans les cœurs afin de titiller nos humeurs pour que nous poursuivions nos appétits et plaisirs, ses appâts étant les péchés capitaux (cap. XI, p. 426). Pas très original. Mais il va plus loin, s’aventurant presque jusqu’aux marges d’une conception métaphorique du diable. Il s’explique : « Là où l’on dit : l’esprit de jalousie (the spirit of gelosie) s’empare de lui », « cela revient à dire : il est poussé par son (propre) esprit jaloux (a gelous mind) ; et non par un esprit malin. Quant à ceux que l’on croit possédés, « il semble dans bon nombre de cas que cela ne fait aucune différence et que c’est tout un de dire : il est possédé par un diable, ou bien : il est lunatique ou frénétique. Car ces maladies, comme on le dit de nos jours, tirent leur origine de la mélancolie » Bien sûr, Scot ne va pas jusqu’à contester, l’existence même du diable, Mais il s’aligne sur ceux pour qui, comme il le dit, le diable est « spirituel et invisible » (cap. XIV, p. 430).

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’il insiste sur la « non existence d’un pacte avec Satan » pierre angulaire de l’édifice démonologique : « Si le pacte (league) n’a pas de réalité, comme c’est le cas du reste des confessions », écrit Scott, « les arguments des persécuteurs de sorcières (witchmongers) s’écroulent, car tous les auteurs tiennent ce contrat (bargaine, à savoir le pacte) pour sûr et certain ; or c’est là leur seule maxime ».

Malheureusement, sa voix, comme celle, un peu plus tard, de Thomas Hobbes dans le Leviathan, fut étouffée sous les clameurs des démonologues dont les ouvrages à succès continuèrent à diffuser en Europe la peur de Satan et de ses suppôts. Toutefois, si l’Angleterre se montra extrêmement modérée, par rapport aux autres pays européens, les Anglais ne firent pas moins aux femmes une place démesurée dans les procès en sorcellerie par rapport aux hommes. Le roi Jacques Ier Stuart – un Ecossais en vérité – qui se piquait de théologie, estima qu’il existait un sorcier pour vingt sorcières et un certain Alexander Roberts, expert en satanisme, parle d’un d’homme pour cent femmes ! En 1692, le procès des sorcières de Salem, au Massachusetts, extrêmement bien documenté puisque tous les interrogatoires furent publics et que le torture ne fut pas employée, montre qu’un nombre infime d’hommes furent reconnus coupables de sorcellerie. Sur dix-neuf exécutions, il n’y a eu que six hommes.

Reste que lorsque l’on croit au diable, il agit ; lorsque l’on croit à la magie, elle fonctionne. La chasse aux sorcières est une page tragique de notre civilisation chrétienne ; je dis bien chrétienne car c’est au nom du Christ et de la civilisation chrétienne qu’elle a été lancée ; c’est l’interprétation donnée par des inquisiteurs allemands à ce mythe de la création de la femme, inspiré probablement par une croyance sumérienne, qui a provoqué cette chasse aux sorcières sans précédent: En effet, Nin Ti, était à Summer dame de la vie ou dame de la côte (Nin : dame; Ti homonyme : vie et côte), et on disait alors qu’elle avait été créée pour guérir Enki, le dieu de la création. 

Elle aurait été donc à l’origine indispensable à l’homme. Sans elle, on n’aurait pu guérir le dieu Enki.

 

[1]Hans Christoph ASKANI, « Quand Adam et Eve ont-ils péché ? » Etudes Théologiques et Religieuses, 1996/3, p 361-377.

[2] Sören KIERKEGAARD, Le concept de l’angoisse, trad. du danois par Knud Ferlov et Jean-Jacques Gateau, Paris, Gallimard, (1948), 1999, pp. 260, 261.

[3]ORIGENE, Traité des Principes, int. et trad, Henri CROUZET et Manlia SIMONETTI, sources chrétiennes 252, Paris, Cerf, 1978.

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