Apocalypse – Une multitude d’anges

 

Pasteur Bernard Mourou

Entre la fête de Pâques et celle de Pentecôte, la liturgie nous propose chaque dimanche un passage de l’Apocalypse.

Les six textes retenus constituent une bonne introduction à ce livre. Pendant les prochains dimanches, nous nous pencherons donc chaque fois le texte de l’Apocalypse. J’ai commencé dimanche dernier à Manosque, pour le premier texte. Cette prédication d’aujourd’hui est donc la deuxième d’un cycle qui en comprendra six et qui sera achevé à la Pentecôte. Au ce moment-là, l’ensemble de ces prédications sera réuni dans un livret.

D’ordinaire, on prêche rarement sur le livre de l’Apocalypse, et j’ai hésité à le faire.

Il y a plusieurs raisons à cela.

D’abord il se prête mal à la prédication. Les thèmes sont toujours imbriqués les uns dans les autres. Rien dans ce livre ne peut être pris isolément. Tout est interdépendant.

L’autre difficulté, c’est qu’une apocalypse fait se succéder des chiffres, des couleurs, des animaux, des personnages pour le symbole qu’ils représentent, sans se soucier de la cohérence de toutes ces images. Il nous revient donc ne pas prendre ces tableaux au pied de la lettre et de retraduire ces éléments concrets en idées. Une lecture littérale de ce livre serait encore plus dommageable que pour les autres textes bibliques.

Le genre apocalyptique est né dans le judaïsme. On le trouve dans le Premier Testament, par exemple dans les livres d’Ezéchiel, de Zacharie, et surtout de Daniel, ainsi que dans des textes intertestamentaires comme l’apocalypse d’Esdras.

Le Nouveau Testament, pour sa part, ne compte qu’une apocalypse. C’est celle que nous connaissons, et qui constitue le dernier livre du Nouveau Testament.

Elle provient des communautés johanniques. De son auteur, qui de manière tout à fait logique se donne le nom de Jean, on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’il représente les communautés chrétiennes appartenant à la province d’Asie, un territoire situé dans la partie occidentale de l’Asie mineure, c’est-à-dire de la Turquie actuelle. Cette région a pour métropole la ville d’Ephèse, l’une des sept villes auxquelles ont été adressées les lettres de l’Apocalypse.

En cette fin du premier siècle, la persécution s’est abattue sur les chrétiens qui habitent cette province d’Asie, et en conséquence Jean a été exilé dans une petite île qui fait partie aujourd’hui de la Grèce, Patmos, à une cinquantaine de kilomètres des côtes.

Dans son livre, Jean rend compte d’une extase qu’il a vécue le jour du Seigneur, c’est-à-dire un dimanche, le jour où la communauté chrétienne se rassemble pour célébrer l’eucharistie et la résurrection. 

A ce moment-là, bien que reclus sur cette petite île de Patmos, Jean est donc en communion avec toute la communauté chrétienne qu’il représente.

Cette extase fait intervenir la vue, mais aussi et surtout l’ouïe.

Dans notre passage, Jean utilise une hymne qui provient d’une liturgie juive et il l’adapte à la foi nouvelle. Mais il recourt aussi à la culture grecque et cette hymne joue le même rôle que les chœurs des tragédies antiques : elle permet au lecteur de participer lui-même au drame par l’exacerbation des sentiments.

Jean se situe donc entre deux cultures : la culture juive et la culture grecque.

Il opère une mise en scène en convoquant une multitude d’anges, des myriades de myriades. Ces anges parlent et leur voix n’est pas terrestre, mais elle a la puissance d’une voix divine, un thème commun au passage qui a été lu dimanche dernier.

C’est une louange qui s’adresse à Jésus-Christ, que Jean désigne par l’expression de l’Agneau immolé, c’est-à-dire l’agneau offert en sacrifice dans ce Temple de Jérusalem qui à l’heure où Jean rédige son apocalypse n’existe plus depuis une trentaine d’années.

Cette louange lui reconnaît sept attributs : la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire et la louange. Il y a là toutes les qualités que l’on peut attendre d’un roi idéal, tel qu’a pu l’être Salomon au début de son règne. Quant au chiffre sept, il renvoie directement à Dieu.

Tout le livre de l’Apocalypse fait alterner l’humanité et la divinité du Christ. Ici, cette hymne ne retient pas l’humanité de Jésus comme le passage de dimanche dernier, qui évoquait un être semblable à un fils d’homme, mais elle est adressée au Christ en gloire. C’est le Christ pantocrator représenté sur les coupoles des églises orientales.

Ce sont les anges qui ont l’initiative de cette louange, c’est-à-dire le monde céleste, mais c’est l’humanité tout entière, et même toute la création, avec tous les animaux, donc l’ensemble du monde terrestre, qui la continue.

Le Psaume 108 développait déjà cette idée d’une création louant Dieu. Voici ce qu’il dit : Louez le Seigneur depuis la terre, monstres marins, tous les abîmes ; feu et grêle, neige et brouillard, vent d’ouragan qui accomplis sa parole ; les arbres des vergers, tous les cèdres ; les montagnes et toutes les collines, les bêtes sauvages et tous les troupeaux, le reptile et l’oiseau qui vole ; les rois de la terre et tous les peuples, les princes et tous les juges de la terre ; tous les jeunes gens et jeunes filles, les vieillards comme les enfants. Qu’ils louent le nom du Seigneur, le seul au-dessus de tout nom ; sur le ciel et sur la terre, sa splendeur. Cette louange prend donc une dimension universelle, là aussi un thème commun au passage de dimanche dernier.

Lorsque la création reprend à son propre compte cette louange, nous retrouvons trois des sept qualités précédentes : la louange, l’honneur et la gloire, et il s’y adjoint une quatrième : la souveraineté. Quatre est un chiffre symbolique lui aussi, non plus celui de Dieu, mais celui de la création.

La divinité est donc pleinement manifestée par l’allégeance de toute la création. La reconnaissance de la souveraineté vient parachever l’œuvre divine.

Cette louange se développe dans l’espace et dans le temps. Elle est scellée par l’amen final des quatre Vivants, qui sont quatre comme les quatre points cardinaux, et l’acte d’allégeance des vingt-quatre Anciens, qui peuvent renvoyer aux vingt-quatre heures du jour et de la nuit, c’est-à-dire partout et pour l’éternité.

Amen

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