Jean 18, 33-38 – Qu’est-ce que la vérité ?

 

Pasteur Bernard Mourou

Es-tu le roi des Juifs ? 

Cette question adressée à Jésus par Pilate laisse penser que c’est l’accusation que lui ont fournie les religieux juifs.

Elle fait intervenir la question de l’autorité. Elle place d’emblée ce dialogue sur un plan politique.

Si Jésus se revendique roi des juifs, alors il est un conspirateur et met en danger l’ordre romain.

Or cette accusation ne fait que mettre en lumière un malentendu : lorsque Jésus a parlé de sa royauté, ou du royaume, il n’a jamais donné à ces mots une connotation politique, et à aucun moment il ne s’est présenté lui-même comme roi des juifs.

Remontons le temps. Au début de son histoire, Israël n’avait pas de rois. C’est seulement un millénaire avant notre ère que, sous l’influence des autres nations et malgré les réticences du prophète Samuel, les Israélites voulurent se donner un roi. Le premier d’entre eux fut Saül, qui échoua, puis ce fut David, qui laissa un meilleur souvenir. Mais quelques siècles plus tard, en 587, la royauté s’effondre et désormais les juifs vivront dans la nostalgie d’un roi ayant l’étoffe de David.

Dans l’évangile selon Jean, ce titre roi des juifs est donné deux fois à Jésus : une première fois, dans le tout premier chapitre, par Nathanaël, et à la fin du parcours, une semaine avant la Passion, par la foule réunie pour la fête des Rameaux.

Mais Jésus, quant à lui, n’a jamais revendiqué ce titre pour lui-même.

Pilate se rend vite compte que ce suspect n’est pas un conspirateur, mais un modeste rabbi désarmé.

En Judée, les juifs s’insurgeaient régulièrement contre l’occupant romain, mais Jésus rappelle à Pilate qu’il n’a rien à voir avec eux, puisque aucun combattant en armes n’est venu le délivrer.

Pilate semble comprendre la situation. Dès lors, il est prêt à le défendre, et tout naturellement il attend que Jésus collabore avec lui, au moins en répondant à ses questions.

Or Jésus n’affirme rien, il s’adresse seulement à la conscience de Pilate. Il ne voit pas en lui le détenteur de l’autorité romaine, mais un homme qui cherche à se faire une idée juste de la situation. Il tente de lui expliquer sa conception de la royauté, de lui faire comprendre de quelle manière il est roi.

La royauté de Jésus consiste à rendre témoignage à la vérité.

Comment Pilate pourrait-il comprendre cette affirmation ? Le lien entre la royauté et la vérité n’est certainement pas plus évident pour lui que pour nous. Il semble bien que cette façon de présenter les choses n’éclaircisse rien.

Tentons cependant une explication.

L’expression « être de la vérité » montre que cette question n’est pas une affaire de croyance, mais de manière d’être. Ce n’est pas par hasard si l’évangile selon Jean, pour parler de la foi, utilise souvent le verbe « demeurer ».

Ainsi, Jésus ne mourra pas pour faire plaisir à un Dieu qui voudrait son sacrifice, comme les Eglises l’ont souvent affirmé dans le passé, mais parce qu’il est allé jusqu’au bout de la vérité. La réponse de Jésus repose sur sa personne.

Si Jésus est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, c’est que son peuple se compose de tous ceux qui s’ouvrent sincèrement à la vérité.

Rendre témoignage à la vérité, ce n’est pas détenir la vérité. Quiconque se dirait détenteur de la vérité se disqualifierait d’emblée.

Quatre chapitres plus tôt dans cet évangile, Jésus avait eu cette phrase : Je suis le chemin, la vérité et la vie. Cette affirmation mettait déjà la vérité en relation avec la notion de chemin avec la notion de chemin et faisait donc place au mouvement, au changement. Mais dans notre passage, Jésus parle de la vérité comme quelque chose d’extérieur à lui, quelque chose que, dans son humanité, il ne possède pas.

La notion de vérité recèle donc un certain mystère. Et Pilate en est bien conscient puisqu’il termine ce dialogue avec cette question philosophique : Qu’est-ce que la vérité ?

Ce dialogue nous a fait passer d’une question qui portait sur l’autorité à une question qui porte maintenant sur la vérité.

La question de l’autorité pose en effet celle de la vérité. Existe-t-il une autorité juste ?

La société actuelle, comme celle des époques passées, montre que ce n’est pas le cas. Les autorités, pour de bons ou de mauvais motifs, sont toutes vouées à subir la contestation.

C’est parce que Jésus ne détient pas une autorité qui viendrait de lui-même, mais qu’il rend témoignage à une autorité extérieure à lui-même, que son autorité n’est pas destinée à subir la contestation.

Il exerce une autorité, une royauté, qui ne relève pas de ce monde parce qu’elle n’utilise pas la force pour asseoir son pouvoir, mais qu’elle ne s’appuie seulement sur une parole qui, comme le dit le cantique que nous avons chanté tout à l’heure, se donne comme le murmure d’un souffle fragile.

Amen

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