La meilleure place – Luc 14, 1-14

 

Pasteur Bernard mourou

Aujourd’hui quand on lit les évangiles, on ne voit pas toujours leur ancrage dans les écrits du Premier Testament.

Ici, dans notre texte, le propos de Jésus rappelle un passage qui figure dans le livre des Proverbes et qui dit : Ne cherche pas à briller devant le roi, ne te mets pas à la place des grands ; mieux vaut que l’on te dise : « Monte ici », plutôt que d’être rabaissé devant un prince,

Si Jésus reprend ici un texte de la tradition juive, c’est parce qu’il s’adresse à des pharisiens, c’est-à-dire à ceux qui connaissent le mieux ces écrits. Le moment choisi n’est pas anodin : cet épisode se passe lors d’une invitation chez un chef religieux, après l’office à la synagogue.

Les pharisiens constituaient une sorte d’élite dans une société qui donnait toute son importance à la pratique du judaïsme. Leur nom, qui signifie séparés, souligne d’ailleurs bien cette distance qu’ils veulent instaurer entre eux et le reste des gens. En plus, ici, Jésus n’a pas affaire à n’importe quel pharisien, mais à un chef, par conséquent à un homme d’autant plus influent et respecté.

Et c’est pourtant ce moment qu’il choisit, alors que les circonstances ne s’y prêtent guère, pour remettre tout ce monde en question.

Jésus a gardé son franc-parler. Ce n’est pas la première fois : il avait adopté déjà cette même attitude lors de deux autres invitations chez des pharisiens : une première fois chez Simon, où il avait reçu l’offrande d’une femme pécheresse, et une deuxième fois chez un pharisien resté anonyme, où il avait dénoncé l’hypocrisie des religieux.

Mais revenons au commencement de cette histoire.

Dès le début, lors de cette troisième invitation, c’est Jésus qui prend l’initiative des hostilités. Comme il voit parmi les invités un homme qui souffre d’hydropisie, il pose à l’assistance cette question dérangeante : Est-il permis, oui ou non, de faire une guérison le jour du sabbat ?

Cette manière de faire rappelle celle des pharisiens eux-mêmes : quand ils cherchent à lui tendre un piège, ils aiment commencer leur question en disant : Est-il permis, oui ou non…

Alors devons-nous en conclure que Jésus veut piéger les pharisiens ?

Ce n’est pas impossible. Mais il est plus probable qu’il cherche juste à anticiper une question qu’il sent venir dans le cas où il guérirait cet homme hydropique.

Ce n’est en effet pas la première fois que des pharisiens lui reprochent de faire des guérisons le jour du sabbat. Il suffit de relire le chapitre précédent, quand Jésus avait guéri une femme infirme dans la synagogue.

Cette fois-ci, Jésus prend les devants. Pour ne pas être mis en difficulté, il se montre tout de suite offensif : Est-il permis, oui ou non, de faire une guérison le jour du sabbat ?

C’est efficace. Pris au dépourvu, les pharisiens ne répliquent rien.

Jésus peut alors procéder librement à la guérison de cet homme qui ne demandait rien mais qui doit être vraiment soulagé d’être délivré de sa condition de malade. L’hydropisie était une affection suffisamment grave, pour dans certains cas, provoquer la mort.

Mais dans la suite nous voyons que Jésus ne lâche pas si vite ces pharisiens. Fort de cette première victoire, il renchérit : Si l’un de vous a un fils ou un bœuf qui tombe dans un puits, ne va-t-il pas aussitôt l’en retirer, même le jour du sabbat ? Les personnes présentes connaissaient toutes ce texte du Deutéronome qui dit : Tu ne t’esquiveras pas, si tu vois l’âne ou le bœuf de ton frère tomber en chemin : tu ne manqueras pas d’aider ton frère à le relever. Et encore une fois, personne ne trouve rien à répondre.

Et c’est à ce moment-là qu’il décide de raconter aux personnes présentes cette parabole, qu’il développe à partir de ce passage qui se trouve dans le livre des Proverbes.

Dans l’histoire qu’il leur raconte, ceux qui occupent les places d’honneur cherchent leur propre satisfaction.

Ils cherchent la proximité la plus grande avec le chef pharisien. Rien de surprenant à cela : comme ils sont remplis d’eux-mêmes, ils ne peuvent que méconnaître Jésus, ou même cet homme hydropique qui avait besoin d’une guérison. Ils manquent d’humilité.

Comment pourrait-il en être autrement alors qu’ils sont exclusivement tournés vers eux-mêmes ? Ils ne peuvent plus faire de place ni à l’autre ni à Dieu. S’ils donnent quelque chose à quelqu’un, c’est dans l’attente d’une contrepartie. Ils ne font rien gratuitement. Ils agissent de manière intéressée.

Dans notre récit la préoccupation principale de tous ces invités, ce n’est pas d’être le plus proche de Jésus, mais bien de ce chef pharisien.

Ici, la place d’honneur n’a pas été attribuée à Jésus. On l’a considéré comme un invité parmi d’autres, Aux yeux de cette assemblée, ce chef pharisien était plus important que lui.

Par cette histoire qu’il leur raconte, Jésus leur fait comprendre qu’une telle attitude va finalement avoir l’effet inverse de celui escompté : ils seront humiliés parce qu’ils se verront refuser la place qu’ils convoitaient. S’ils avaient prêté plus d’attention aux textes de leur tradition, que pourtant ils connaissaient bien, ils auraient évité cette humiliation.

Notre texte ne nous dit pas si celle que leur inflige Jésus les aura fait changer ou s’ils se seront finalement enferrés dans leur comportement. L’important n’est pas là, mais dans cette question qui s’adresse à chacun de nous : de qui cherchons-nous à être le plus proche ?

Amen

 

 

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