Le cercle élargi – Luc 10, 1-20

 

Pasteur Bernard Mourou

Quand nous pensons aux disciples de Jésus, ce sont les Douze apôtres qui nous viennent immédiatement à l’esprit. Nous connaissons leurs noms, même si les listes diffèrent quelque peu d’un évangile à l’autre.

Pour sa part, Luc n’emploie jamais le terme d’apôtre, mais il parle toujours de disciples, et il fait vraiment le lien entre ceux qui vivent dans la proximité immédiate de Jésus et ceux qui le suivent de plus loin. 

Dans notre texte, il n’est pas question de douze, mais de soixante-douze disciples. Tout à coup, le cercle se trouve considérablement élargi.

Si le nombre douze rappelait les douze tribus d’Israël, celui de soixante-douze renvoie aux soixante-douze peuples de la terre.

En effet, le livre de la Genèse, au chapitre 10, évoque soixante-douze peuples répartis sur toute la terre après le Déluge. Si dans certains manuscrits ces peuples sont au nombre de soixante-dix, dans le texte grec de la Septante on en compte bien soixante-douze.

Luc s’adresse à des lecteurs de culture grecque, donc plus familiers de la Septante que de la version hébraïque, c’est pourquoi il donne le nombre soixante-douze.

Ce nombre soixante-douze est donc une allusion explicite à l’universalité qui est le propre du message évangélique et qui caractérise l’Eglise.

Mais qui sont ces soixante-douze disciples évoqués dans notre texte ?

L’évangile n’a pas retenu leur nom. Faut-il alors les voir comme des disciples de second rang ?

Juste avant notre passage, certains des Douze voulaient savoir qui parmi eux est le plus grand. Ils s’inquiétaient de la place qui leur serait réservée lorsque Jésus deviendrait roi d’Israël. Car à ce moment-là ils croyaient encore que Jésus allait exercer un pouvoir politique.

Alors regardons ce qui différencie les douze et les soixante-douze, le cercle restreint et le cercle élargi.

Comme les douze, les soixante-douze sont envoyés deux par deux et Jésus les prévient des difficultés qui les attendent : ils seront comme des agneaux en face des loups. Dans le règne animal, l’agneau est hautement vulnérable car dépourvu de moyens d’attaque ou de défense. Il n’a ni dard, ni crocs, ni griffes, et il faut bien reconnaître qu’il n’est pas très malin.

Comme les douze, ils reçoivent une mission précise : guérir les malades. Mais pas plus que les douze ils ne tireront leur légitimité de ce qu’ils accompliront : ce qui les légitime, ce n’est rien d’autre que leurs noms inscrits dans les cieux. Ils sont sous le régime de la grâce.

Comme les douze, ils sont habilités à faire des miracles, alors que les douze ont parfois échoué dans ce domaine : juste avant notre passage, ils n’ont pas réussi à guérir un enfant sujet à ce que le monde religieux de l’époque considérait comme des attaques démoniaques.

Ces disciples anonymes n’ont donc rien à envier aux douze. Ils semblent même avoir accompli plus d’actes de puissance que certains d’entre eux, comme par exemple Jacques le fils d’Alphée, Simon le zélote, ou Jude le fils de Jacques, dont l’évangile n’a rapporté aucun geste marquant.

Et contrairement aux douze qui veulent savoir qui d’entre eux est le plus grand, ces disciples anonymes ne se préoccupent pas de leur renommée. Ils ne revendiquent rien. Ils sont appelés à rester dans la joie, sans aucune ambition personnelle. Voir l’œuvre de Dieu s’accomplir à travers eux leur suffira.

Pour nous, ces soixante-douze disciples sont moins intimidants que des apôtres tels que Pierre ou Jean. Nous pouvons plus facilement nous identifier à eux.

Leur sitation correspond aussi davantage à la nôtre : comme ils ne vivent pas dans la proximité immédiate de Jésus, par la force des choses ils auront recours à la foi et non à la vue.

Leur mission consistera non pas à couvrir le territoire de manière systématique pour trouver de nouveaux adeptes, mais simplement à précéder Jésus pour préparer les habitants du lieu à cette rencontre : ils seront envoyés en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre.

Cela signifie que Jésus leur demande simplement de devenir ses ambassadeurs. C’est d’ailleurs cette comparaison que Paul emploie quand il s’adresse aux chrétiens de Corinthe.

Leur mission ne consiste pas à partir vers d’autres contrées pour changer la manière de vivre et la culture de populations lointaines et les sortir de leurs erreurs. Il s’agit avant tout d’un rapport qui va s’établir entre eux et leurs hôtes et qui permettra un échange qui se fera dans les deux sens, car dans notre texte les soixante-douze reçoivent aussi de leurs hôtes.

Quant à nous, croyants du XXIe siècle qui marchons par la foi et non par la vue, nous avons reçu le même appel qu’eux. Chacun d’entre nous, à sa manière propre, s’inscrit dans le sillage de ces disciples anonymes.

Par conséquent notre mission consiste très modestement à préparer les gens que nous côtoyons quotidiennement à une rencontre spirituelle et existentielle lorsque Dieu, dans un avenir proche ou lointain, se révélera dans leurs vies.

Amen

 

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