Luc 1, 1-4 + 4, 14-21 – Une parole vivante

 

Pasteur Bernard Mourou

Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole. Voilà de quelle manière commence le troisième évangile.

Plus que les autres évangélistes, Luc insiste sur le fait qu’il a procédé en historien, par un travail rigoureux qui replace les événements concernant Jésus et le surgissement de l’Eglise naissante (à l’origine, l’évangile selon Luc et le livre des Actes étaient un seul et même ouvrage) dans l’histoire générale de l’humanité. Il n’est pas un témoin direct, mais il a consulté méthodiquement toutes les sources disponibles.

On n’aborde pas l’histoire par des arguments ou par des thèses philosophiques, mais par des récits qui s’organisent de manière cohérente pour produire du sens.

A une époque où de plus en plus de gens cherchent à convaincre à coups de tweets agressifs, nous nous trouvons, avec les récits des évangiles et plus largement tous ceux de la Bible, dans un tout autre univers. Un récit a l’avantage de n’asséner aucune vérité : il laisse l’auditeur ou le lecteur suivre librement sa réflexion.

La liturgie a choisi de mettre ensemble les tout premiers versets de cet évangile avec ce récit situé quatre chapitres plus loin. Il existe en effet un lien entre ces deux passages : la transmission du message évangélique au moyen de récits.

Pour ce faire, le récit que présente notre texte nous montre l’acte par lequel Jésus commence son ministère.

Quel est cet acte fondateur ?

Ce n’est pas un miracle, mais une simple prédication.  

Pour sa première allocution publique, Jésus reste dans son obscur lieu de vie, à Nazareth en Galilée. Comme il ne se préoccupe pas de sa renommée, il est naturel qu’il cherche d’abord à parler à son entourage immédiat.

Contrairement à Jean-Baptiste qui prêchait en pleine nature, au bord du Jourdain, Jésus choisit de s’inscrire dans la tradition : il s’exprime dans un espace et dans un temps spécialement réservés à cet effet : une synagogue, un jour de sabbat.  C’est sa façon de rejoindre la condition humaine.

Jésus épouse l’espace et le temps, il reprend à son compte les usages en vigueur et il s’inscrit ainsi dans la tradition de ses contemporains.

Et pourtant, il fait du nouveau.

Transmettre un héritage, qu’il soit spirituel ou autre, ne consiste pas à une répétition du même, mais à reprendre à nouveaux frais ce que l’on a reçu. On respecte une tradition en l’accomplissant, en la menant jusqu’au bout. C’est ce que fait ici Jésus.

Jésus commente les textes lus dans la synagogue, ce qui se faisait chaque sabbat. A cette époque, l’office du sabbat comportait des prières, la lecture de la Torah et des livres prophétiques, un commentaire des textes et une bénédiction.

L’acte fondateur de jésus, c’est de commenter les Ecritures. Comment l’Evangéliste pourrait-il exprimer plus clairement la centralité de la parole ?

Pour nous protestants, la parole occupe la première place. C’est pour cela que dans beaucoup de temples, la chaire est placée en position centrale et haute. Il ne s’agit pas de mettre en valeur le prédicateur comme on le croit parfois, mais la Parole de Dieu. Car le prédicateur transmet une Parole qui n’est pas la sienne.

Mais sacraliser la Parole de Dieu, cela ne signifie pas sacraliser les Ecritures. Et d’ailleurs, nous voyons qu’en citant ce passage d’Esaïe, Jésus prend des libertés avec les Ecritures : il en supprime une partie ! En fait, il supprime la partie qui contient une condamnation : le jour de la vengeance de notre Dieu.

L’exégète allemand Joachim Jeremias voit dans cette omission la cause de l’indignation qui se manifestera plus tard dans l’auditoire : Tous ils protestaient et ils étaient indignés de ce qu’il parlât de la grâce de Dieu et de ce qu’il supprima la vengeance messianique.

L’évangéliste condense toute la prédication de Jésus en une seule phrase : Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre.

Par-là, il souligne que le message de Jésus est absolument dépourvu de toute condamnation et qu’il laisse la place à la seule grâce de Dieu.

Ce jour-là, Jésus rend les Ecritures vivantes. Il y parvient justement en ne sacralisant pas la lettre du texte, mais la Parole de Dieu qui est contenue dans le texte. Il en fait ressortir sa substance, cela même qui va pouvoir nourrir spirituellement ses auditeurs.

Ce premier acte est un acte de parole et non un signe de guérison. Il a lieu dans un lieu dépourvu de singularité : une modeste synagogue de village. Pourtant il a un impact considérable. Cette parole de l’Écriture, que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit.

Le commentaire de Jésus a donné vie à ce texte d’Esaïe. L’évangéliste n’a retenu pour nous que l’essentiel, la substance de son commentaire, mais cela nous suffit, car il nous montre comment le texte est actualisé pour devenir un texte existentiel qui touche les auditeurs et leur parle dans leur vie de tous les jours.

L’évangile de Luc, qui sera l’objet du spectacle de dimanche prochain avec Alain Portenseigne, est celui qui rappelle le plus l’humanité de Jésus et cela apparaît nettement dans notre passage :  Jésus adresse sa prédication à des gens dépourvus de singularité et non à des spécialistes religieux, et il le fait dans un lieu et dans un temps tout à fait commun. 

Ce texte nous laisse pressentir que, n’importe où et n’importe quand, les Ecritures peuvent devenir vivantes pour nous, et que la Parole de Dieu peut jaillir d’elles en devenant cette parole de grâce qui nous rejoint pour illuminer l’obscurité de notre quotidien.

Amen

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