Luc 10, 25-37 – Un autre regard

 

Pasteur Bernard Mourou

Mieux vivre, vivre plus intensément, c’est notre préoccupation majeure.

C’est aussi celle de ce docteur de la Loi, c’est-à-dire d’un spécialiste des Ecritures, quand il demande à Jésus : Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ?

Il ne s’occupe pas des multiples commandements de la Loi comme le font souvent ses collègues dans les évangiles, mais il va directement à l’essentiel.

Et même si l’on nous dit qu’il veut piéger Jésus, sa question nous le rend plutôt sympathique.

Pourtant cet homme n’obtient aucune réponse de Jésus. A la place, il lui retourne une autre question, qui le renvoie à son domaine de spécialité : la Loi et ce qu’elle prescrit.

Certes Jésus sait bien que la réponse ne réside pas dans la Loi, qui en elle-même est incapable de donner la vie.

Si Jésus renvoie cet homme à la Loi, c’est parce qu’il cherche à se faire comprendre de cet homme le mieux possible. Le moyen le plus efficace d’y parvenir, c’est de se mettre à sa place et de voir ce qui est le plus déterminant à ses yeux.

Comme on pouvait s’y attendre, le spécialiste de la Loi lui donne la bonne réponse. Jésus relève cela par un commentaire élogieux qui aurait pu clore le dialogue : Tu as répondu correctement.

Mais cet homme n’en reste pas là. Il ne se satisfait pas de cette réponse. Il pressent que dans ce désir de vivre plus intensément la Loi est impuissante.

A ce moment-là, Jésus comprend que cet homme peut changer son regard sur la réalité.

C’est donc ce moment qu’il saisit pour lui raconter une histoire. Elle met en scène trois protagonistes : un spécialiste de la Loi, un prêtre et un Samaritain.

Dimanche dernier, il était déjà question de Samaritains : ils avaient témoigné de leur hostilité envers les juifs et leur ville sainte en refusant d’accueillir Jésus et ses disciples pour la seule raison qu’ils étaient en route vers Jérusalem.

Les Samaritains pratiquaient une religion qui s’était écarté de l’orthodoxie juive. 

Ils ne reconnaissaient que la Loi écrite, c’est-à-dire la Torah, les cinq premiers livres de notre Bible, et pas la Loi la Loi orale, c’est-à-dire les commentaires de la tradition rabbinique.

Mais dans les évangiles se plaisent à contourner l’appartenance sociale ou religieuse.

C’est pourquoi notre texte tente de réhabiliter ce peuple méprisé par les juifs, avec cette histoire qui est davantage un cas d’école qu’une parabole.

Il se situe en effet dans un contexte de casuistique, c’est-à-dire dans la recherche du meilleur comportement à tenir vis-à-vis de telle ou telle circonstance particulière. Car les spécialistes de la Loi étaient des casuistes. Ils donnaient à ceux qui pratiquaient la religion un code de conduite à tenir dans chaque circonstance.

Ce cas d’école met en scène quatre protagonistes sur un chemin de trente kilomètres qui descend de Jérusalem à Jéricho, près de mille mètres plus bas:

  • un prêtre juif, lui aussi spécialiste de la Loi, tout comme l’interlocuteur de Jésus
  • un lévite, spécialiste de la Loi, comme le précédent
  • un Samaritain
  • un homme victime de bandits et laissé pour mort, dont on ne sait d’ailleurs pas s’il est juif ou samaritain.

Le spécialiste de la Loi ne peut s’identifier qu’au prêtre ou au lévite.

Or celui qui a le beau rôle dans cette histoire, ce n’est ni le prêtre, ni le lévite, mais  le Samaritain : non seulement il sauve la vie d’un homme, mais il met tout en œuvre pour garantir son rétablissement, alors que le prêtre et le lévite continuent leur voyage, imperturbables.

Ils avaient de bonnes raisons d’agir ainsi, et leurs raisons étaient religieuses : toucher un mort les mettaient dans un état d’impureté, aussi n’ont-ils pas voulu courir ce risque.

En fait, Jésus fait moins ressortir leur manque d’humanité que l’interprétation problématique qu’ils font de la Loi.

C’est par ce biais que Jésus choisit de remettre en question son interlocuteur, qui dès sa première question a montré son souci légaliste : Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ?

Il essaie de lui faire comprendre que pour vivre plus intensément il ne s’agit pas de faire quelque chose de plus, mais de recevoir cette vie qui lui est offerte.

Avec ce cas d’école, Jésus veut changer le regard de cet homme sur la Loi. Il veut lui faire comprendre que dans certains cas, l’obéissance stricte de la Loi peut avoir des conséquences funestes, comme mettre la vie d’autrui en danger. Car l’application tatillonne des commandements peut conduire à négliger l’essentiel.

Les Pères de l’Eglise ont vu dans ce Samaritain charitable une figure de Christ. Nous aussi, nous pouvons nous inspirer de lui pour vivre plus intensément.

Amen

 

 

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