Luc 10, 38-42 – Epuisement

 

Pasteur Bernard Mourou

Marthe et Marie : deux sœurs qui manifestent de bonnes dispositions vis-à-vis de Jésus, chacune à sa manière.

Voici comment nous pourrions résumer la situation : Marthe a un seul objectif, qui est de nourrir le Seigneur ; Marie n’en a qu’une elle aussi, qui est d’être nourrie par lui.

Cette interprétation n’est-elle pas suffisamment éclairante ?

Ce passage n’oppose pas vie contemplative et engagement social.

Même dans les communautés religieuses, il n’est jamais question de contempler sans travailler. Saint Benoît, le fondateur du monachisme, a laissé cette devise : Ora et labora, Prie et travaille. Et de fait, la vie religieuse des moines et des moniales est rythmée à la fois par la prière et le travail. Les monastères sont ainsi devenus de véritables entreprises et les produits qu’ils proposent aux visiteurs ont une image de qualité.

Dans notre texte, Marthe s’efforce de le recevoir de la meilleure façon qui soit. Elle suit les règles de l’hospitalité et anticipe les besoins de son hôte, une attitude normale quand on accueille un invité.

Marthe voit Jésus dans son humanité. On ne peut pas le lui reprocher. Elle montre son bon sens : comme n’importe qui, Jésus a besoin de s’alimenter.

La controverse de ce texte porte sur un autre point. Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas ce que fait Marthe, mais sa manière de procéder.

Car ce n’est pas la même chose de se ruer dans l’action sans aucune autre considération, et de se mettre soi-même dans une position d’accueil. Dans le premier cas on se sent indispensable, on a conscience que tout dépend de soi et on est donc tendu, dans le second on adopte le seul état d’esprit qui permettra une action efficace.

Après s’être jetée dans l’action, Marthe est submergée par les multiples tâches domestiques : la mise en ordre de la maison, la préparation des plats, et certainement par d’autres choses encore, tout ce qui va de soi quand on veut bien recevoir des invités.

Elle voit tout ce qui reste à faire. L’ampleur de la tâche lui fait perdre courage. Comme elle atteint ses limites, son idéal de service s’en trouve compromis.

Elle n’en serait pas arrivée là si elle avait commencé par le plus important : écouter les propos de Jésus dont quiconque pouvait tirer le plus grand profit.

L’attention de Marthe a dévolu toute son attention aux tâches à exécuter. Elle a déployé toute son énergie pour cela. Et elle a vu tout sur ce qui n’était pas encore fait. Elle s’est focalisée sur le manque, au lieu de se réjouir de ce qui était déjà réalisé. Elle n’a pas su prendre le recul nécessaire et la joie du service l’a quittée. Elle a été submergée et a fini par ne plus savoir pourquoi elle s’activait. Elle a vu les besoins, et ils lui ont fait oublier le reste.

Quand on ne sait plus pourquoi on fait les choses, on finit par s’épuiser et par devenir amer. Parfois cela arrive aussi pour le service ecclésial : on se croit indispensable mais au bout d’un certain temps on ne sait plus pourquoi on fait les choses.

Marthe avait voulu faire plaisir à Jésus en le recevant dignement, mais elle a oublié sa motivation première et sa joie.

Dans son épuisement, elle s’en prend à sa sœur et à Jésus. C’est l’invité qui subit les foudres de sa mauvaise humeur.

Elle est dans la plainte. Cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider !

Et là, Jésus ne lui dit pas : Tu as raison, ma pauvre Marthe, ta sœur n’est qu’une paresseuse. Il ne la rejoint pas dans sa plainte.

Il lui fait comprendre que si elle a atteint ses limites, ce n’est pas à cause de sa sœur, mais de sa propre attitude. Il la renvoie à sa responsabilité.

En fait, ici ce n’est pas le service de Marthe que Jésus critique, mais sa manière de l’envisager.

Ce que Jésus veut faire voir à Marthe, c’est le fait que l’on peut tout à fait agir sans s’inquiéter ni s’agiter. Tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses, lui dit jésus.

Quant à Marie, elle est dans une disposition d’esprit complètement différente. Elle prend de la distance. Elle donne la priorité à l’écoute. Ainsi elle ne risque pas de passer à côté du sens de ce qu’elle fait. Jésus la donne comme modèle : Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. 

Pour Sœur Myriam, une diaconesse de Reuilly aujourd’hui décédée, le contraire de la contemplation, ce n’est pas l’action, mais le souci.

Ce n’est donc pas l’action en elle-même que Jésus critique, mais une certaine manière d’envisager le service. Il ne s’agit pas de rester inactif, mais d’être à l’écoute et d’accueillir ce qui nous aidera ensuite à agir.

Ce récit ne doit donc pas devenir un bon alibi pour nous abstenir de participer à la vie ecclésiale. Il cherche juste à nous faire prendre conscience que ce service ne prend pas son origine en lui-même, mais en Dieu, qui est le commencement de toute chose.

Amen

 

 

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