Luc 13, 1-9 – Une histoire pleine de bruit et de fureur

 

Pasteur Bernard Mourou

Vous connaissez sans doute ce jugement sans appel de Shakespeare sur l’histoire du monde : une histoire pleine de bruit, de fureur, qu’un idiot raconte et qui n’a pas de sens.

Comment pourrions-nous avoir un avis différent aujourd’hui, après un XXe siècle qui a vu la Shoa et dans un XXIe siècle donne des signes que le pire reste possible ?

Et nos vies personnelles échappent malheureusement de moins en moins à cette irruption du chaos.

Jésus ne dit pas autre chose lorsqu’il rappelle ces deux faits divers, qui semblent avoir marqué les esprits de ses contemporains : le massacre de fidèles dans l’exercice de leur religion et l’effondrement de cette tour.

L’actualité se répète : deux mille ans après ces paroles de Jésus, rien n’a changé.

Dans le premier cas, on peut trouver un coupable : c’est l’armée romaine et celui qui la commande, le préfet de Judée Ponce Pilate, qui est entré dans l’histoire pour d’autres raisons.

En revanche Jésus évoque un second exemple où il n’y a pas de coupable, même si aujourd’hui on intenterait un procès à son architecte. Mais si la justice pouvait apporter la solution, cela se saurait, et nous en constatons hélas tous les jours le dysfonctionnement.

De la même manière, dans les deux événements que Jésus choisit d’évoquer, il serait vain, et même pernicieux, de vouloir trouver un sens. Ni les victimes de l’armée romaine, ni celles de la tour effondrée, ne sont coupables : il serait vain de vouloir établir un lien entre leur conduite et de ce qui leur est arrivé. Parmi les victimes, nul doute que tout le spectre de la ferveur religieuse était représenté.

Si Jésus prend ces deux exemples, c’est justement pour déconnecter l’action humaine et la survenue du mal. Déjà dans le Premier Testament, dans le livre de Job avait tenté de mettre fin à cette manière de penser.

Comme nous, Jésus ne parvient pas à fournir une explication satisfaisante à l’histoire humaine. Il cherche juste à convertir cette manière de voir qui consiste à vouloir à tous prix établir un parallèle entre la souffrance et le péché.

A première vue, il peut sembler rassurant d’envisager une récompense pour les bonnes actions et une punition pour les mauvaises. D’ailleurs cette manière est bien présente dans une partie du Premier Testament. On appelle cette conception la théologie de la rétribution.

Mais une telle affirmation ne peut se faire qu’au prix d’une malhonnêteté intellectuelle.

L’exil à Babylone et la lutte armée des juifs pieux contre les puissances occupantes y ont mis définitivement fin et ont conduit le judaïsme à élaborer un autre discours.

Bien sûr, ce texte est frustrant, parce qu’il n’explique rien, alors que nous aimerions trouver une réponse qui nous ferait comprendre l’histoire du monde et de nos vies.

Mais finalement, si nous y réfléchissons, la réponse de Jésus est la moins pire possible.

Imaginons en effet qu’il ait établi un lien entre le péché de l’être humain et la souffrance : serions-nous prêts à vivre dans une telle société ? Quelle oppression ! Cela ne ferait qu’ajouter de la souffrance à la souffrance.

Alors, c’est vrai, Jésus ne donne pas d’explication à ses interlocuteurs. A la place, il leur donne un avertissement au moyen d’une parabole qui parle d’un figuier resté stérile au milieu d’une vigne malgré tous les soins qu’il a reçus, alors le vigneron met en œuvre tout ce qui pourra lui permettre de produire des figues.

La liturgie a choisi de mettre ensemble cette parabole avec l’évocation des deux faits divers. A dire vrai, il faut bien reconnaître qu’il y a une certaine contradiction entre ces deux textes : le premier met l’accent sur le fait que la mort tombe prématurément sur les bons et sur les méchants, tandis que le second présente un Dieu tout-puissant.

Cette réserve mise à part, nous pouvons tout de même dire quelque chose sur notre passage qui ne soit pas trop incohérent.

Dans notre monde de bruit et de fureur, la mort frappe brutalement et aveuglément, mais cette parabole du figuier stérile laisse penser que Dieu est résolument du côté de la vie : le vigneron va prodiguer ses soins au figuier en lui donnant tout le temps possible pour qu’il reste en vie, et s’il devait crever, ce serait seulement parce qu’il n’y aurait plus aucun espoir de le voir produire des figues.

Entre le moment de notre naissance et le moment de notre mort, dans notre passe sur terre marqué par la finitude humaine, Jésus ne fournit aucune explication sur la présence du mal et on ne peut pas le taxer de malhonnêteté intellectuelle.

Cela étant, son discours se veut porteur d’espoir, dans la mesure où il laisse entrevoir la possibilité la mort n’ait pas le dernier mot tant que nous resterons dans la logique de la vie, à l’image de ce figuier qui tarde à porter du fruit.

Amen

 

 

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