Luc 13, 22-30 – La porte dérobée

 

Pasteur Bernard Mourou

L’histoire de l’Eglise ne manque pas de nous rendre perplexes. A bien des égards elle nous paraît déroutante.

Ainsi, la question du salut, omniprésente dans les siècles passés, ne rencontre aujourd’hui plus guère qu’un silence embarrassé. Qui aborde encore ce sujet ?

Nous pouvons penser qu’il est plus utile de se s’intéresser aux choses concrètes plutôt que de se lancer dans des supputations incertaines.

Mais cette question du salut, il arrive que les évangiles en parlent, comme dans le texte de ce dimanche.

Ici, ce n’est pas Jésus qui aborde cette question du salut, mais un passant dont on ne sait absolument rien.

Nous ignorons donc ce qui l’a conduit à poser cette question. Nous ne pouvons faire que des suppositions.

A-t-il des questions philosophiques ?

Craint-il que Dieu le condamne ?

Attend-il de Jésus, pour lui ou pour ses proches, une intervention qui ne vient pas ? N’oublions pas que pour les juifs, être sauvé, c’est avant tout être délivré d’une situation mortifère et pour cette raison cette hypothèse peut être retenue en priorité.

Quoi qu’il en soit, la question de cet homme montre que la préoccupation du salut déjà bien présente dans le judaïsme du Ier siècle.

En fait, les juifs de cette époque se laissaient parfois aller à un certain pessimisme sur cette question du salut, comme en témoigne ce passage dans le quatrième livre d’Esdras, lu dans l’Eglise orthodoxe, qui avertit sans détours ses lecteurs : Ceux qui périssent sont plus nombreux que ceux qui seront sauvés.

Si Jésus ne pose donc pas lui-même cette question du salut, mais s’il ne fait que répondre à cet homme, son propos est sans concessions et témoigne de la même intransigeance : Beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas. Vous-mêmes, vous serez jetés dehors.

En fait, il n’est pas tout à fait exact de dire que Jésus répond à la question de cet homme. S’il lui avait répondu, il lui aurait dit : Non, effectivement peu d’hommes seront sauvés, ou alors Pas du tout, beaucoup d’hommes seront sauvés. Au lieu de cela, il donne un ordre quelque peu mystérieux : Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite !

Lorsqu’il parle de cette porte étroite, Jésus fait vraisemblablement référence à celle qui dans une ville se trouvait à côté de l’entrée principale. A la tombée de la nuit, quand par mesure de sécurité on avait fermé les portes principales, pour pouvoir entrer dans la ville il restait encore cette porte de secours.

Comme elle n’était pas prévue pour les marchandises, il fallait laisser dehors tous les bagages encombrants.

Cette porte étroite ne peut être franchie que par celui qui s’est débarrassé de toutes ses fausses idées sur lui-même.

Cela demande de l’énergie et de la volonté : Efforcez-vous, nous dit le texte. Le mot grec qui est employé a donné notre verbe agoniser. Il s’agit d’une mort à soi-même.

Au XVIe siècle, la Réforme a remis en lumière le fait que le croyant est au bénéfice d’un salut gratuit.

Cette image de la porte étroite peut être lue dans ce sens. Pour être au bénéfice de cette bonne nouvelle de l’Evangile, il faut renoncer à la présomption de pouvoir se sauver soi-même.

Un jour, le quotidien britannique The Times avait commandé à des écrivains un article sur le thème : Qu’est-ce qui ne va pas dans le monde ? L’un d’eux avait envoyé une réponse lapidaire.: Messieurs, Moi, Bien à vous. Cet écrivain, c’était Chesterton.

Par cette porte, non seulement les objets encombrants restaient dehors,  mais on n’entrait pas non plus à plusieurs : pour se la faire ouvrir, il fallait décliner son identité.

Par cette image Jésus invite donc à un retour sur soi, indépendamment de toute appartenance à un groupe, quel qu’il soit.

Aujourd’hui cela nous paraît aller de soi, mais à l’époque on ne raisonnait pas ainsi. Les juifs considéraient qu’ils étaient sauvés du fait de leur appartenance à un peuple, en tant que fils et filles d’Abraham.

Jésus veut montrer à cet homme que sa question est mal posée parce qu’elle sous-entend que Dieu sauverait les uns et condamnerait les autres, de manière complètement arbitraire.

Même la nuit, la porte étroite n’est jamais fermée, sinon pour ceux qui veulent garder avec eux leurs bagages encombrants ou qui refusent de décliner leur identité.

Quant à nous, il est toujours possible de passer par cette porte, même si elle exige rigueur et dépouillement. Si nous avons entendu l’Evangile, nous avons déjà franchi cette porte étroite, et cela non parce que nous appartenons au peuple protestant ou que nous pouvons nous prévaloir de quoi que ce soit, mais parce que c’est la loi de l’Evangile.

Amen

 

 

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