Luc 16, 1-13 -Une grande habileté

 

Pasteur Bernard Mourou

Pour notre journée de rentrée, nous avons choisi de traiter notre thème de l’année, qui sera celui de la femme.

Mais, cela ne vous aura pas échappé, les textes prévus pour ce dimanche ne font intervenir que des hommes, comme c’est souvent le cas avec les textes de la Bible.

Bien sûr, j’aurais pu en changer et parler de la Samaritaine ou de Marie-Madeleine, mais j’ai trouvé cette parabole de l’intendant infidèle tellement riche que je n’ai pas eu envie de prendre un autre texte.

Et puis si nous considérons que l’Evangile favorise autant les femmes que les hommes, tout texte qui délivre ce message va dans ce sens.

Dans notre passage, après avoir raconté à la suite trois paraboles à l’encontre des pharisiens, Jésus dirige maintenant sa critique vers les disciples, au cas où ils seraient tentés de se croire du bon côté.

Il leur adresse un discours sans complaisance : Les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Après avoir pris parti pour les publicains contre les pharisiens, nous voyons qu’il défend maintenant ceux qui ne le suivent pas contre ses propres disciples.

Autant le dire, cette parabole nous dérange profondément et c’est normal. Comment expliquer que Jésus puisse donner en exemple un homme qui non seulement ne fait pas correctement son travail, mais qui pour sauver la face aggrave encore son cas en trafiquant les comptes de son maître ?

En plus, au début le récit est plutôt cohérent sur le plan de la psychologie. Cet intendant travaille mal et par conséquent son maître décide de le congédier. Il n’y a rien d’étonnant à cela.

Mais le récit perd toute sa logique lorsque le maître se met à faire l’éloge de son intendant au moment-même où à l’incompétence celui-ci ajoute la malhonnêteté. C’est stupéfiant : après avoir voulu le congédier, voici que maintenant son maître ne tarit plus d’éloges à son sujet.

En fait une parabole contient souvent un élément provocateur destiné à susciter une interrogation, une réflexion. Ici on ne peut pas le manquer, étant donné son caractère outrancier.

Et puis tous les éléments ne sont pas à retenir. Dans une parabole seule la pointe compte. Et la pointe ici, ce n’est pas la malhonnêteté de cet homme, mais son habileté. C’est parce que son maître le trouve habile qu’il change brusquement d’attitude à son égard.

C’est donc à l’habileté de cet homme que nous allons nous intéresser.

Pourquoi son maître le juge-t-il habile ?

Ce n’est certainement pas en raison de sa capacité à gérer son domaine : de ce côté-là, il a prouvé son incompétence.

Non, ce que son maître discerne chez lui, c’est son aptitude à tourner la situation à son avantage. Il ne peut pas envisager d’abandonner son statut d’intendant pour celui de mendiant ou de travailleur agricole. Il veut éviter le déclassement, alors, il fait ce qu’il faut pour cela.

En général on s’accorde à dire que l’intelligence, c’est de savoir s’adapter au réel. Si tel est le cas, nul doute que notre intendant fait preuve dans ce domaine d’une supériorité incontestable.

Il y parvient en corrompant tous ceux qui doivent de l’argent à son maître, pour les mettre de son côté le jour où il aura besoin d’eux.

Pour cela il utilise un argent qui ne lui appartient pas.

En effet, comme il n’est pas le propriétaire du domaine, l’argent dont il se sert pour éviter le déclassement ne lui appartient pas.

Il a un juste rapport à l’argent. Pour lui, c’est juste un moyen et non une fin. En cela il applique cette maxime antique rappelée par Montesquieu : il n’y a jamais eu un si bon esclave et un si méchant maître.

C’est d’abord cela que cette parabole met en évidence. Elle insiste sur le fait que l’intendant a un comportement finalement plus en adéquation avec l’économie du Royaume, fondée sur la gratuité, qu’avec l’économie terrestre et son principe du donnant-donnant.

Nous avons parfois l’impression que l’argent est le problème majeur de notre société. Mais ce sentiment n’est pas nouveau. Dans notre première lecture, le prophète Amos dénonce tous ceux qui disent : Quand donc la nouvelle lune sera-t-elle finie, que nous puissions vendre du grain, et le sabbat, que nous puissions ouvrir les sacs de blé ? tous ceux qui achètent des indigents pour de l’argent et un pauvre pour une paire de sandales. Est-ce une réalité différente de celle d’aujourd’hui ?

Quoi qu’il en soit, en disant cela nous n’avons pas épuisé le sens de cette parabole, car elle dépasse la simple gestion de l’argent.

Pour une fois, on peut y voir une allégorie où Dieu serait le maître et l’intendant le disciple. Selon cette compréhension, le rôle du disciple serait de remettre des dettes des pécheurs pour le compte de Dieu, en son nom.

Cette interprétation ne contredit en rien la précédente, sur l’argent, et elle est en cohérence avec les trois paraboles que Jésus vient d’adresser aux pharisiens. L’intendant se comporte comme le fils de la parabole précédente, qui avait quitté la maison familiale pour vivre dans le péché. Avec cette parabole, Jésus avait pris parti contre les pharisiens, en faveur des publicains, de ces traîtres au judaïsme qui collaboraient avec l’Empire romain. Il est donc naturel qu’il continue dans ce sens.

Comme l’intendant, les disciples ne sont pas propriétaires de la grâce, mais ils peuvent la donner au nom de leur maître.

Finalement, cette parabole de l’intendant infidèle parle certes de l’argent, mais pas seulement. Ce message en cache un autre : elle parle aussi de la mission. C’est ce message que notre paroisse est appelée à délivrer.

Amen

 

 

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