Luc 17, 5-10 – Augmenter la foi ?

 

Pasteur Bernard Mourou

Les propos et le contexte de certains textes bibliques peuvent nous paraître éloignés de nos mentalités actuelles. Ce n’est toutefois pas le cas de notre passage aujourd’hui.

Car incontestablement, cette demande des disciples d’augmenter en eux la foi trouve en nous un écho.

A l’heure où l’on cherche à tout optimiser, à tout rentabiliser, pourquoi la foi échapperait-elle cette volonté d’efficacité ?

En demandant à Jésus d’augmenter leur foi, les disciples laissent entendre qu’elle est en eux, qu’ils en disposent, qu’elle leur appartient, en quelque sorte.

De là à penser qu’ils pourront en avoir la maîtrise pour la faire croître à leur guise, pour leur propre compte, au gré de leurs désirs et de leurs envies, il n’y a qu’un pas. 

Mais Jésus les dissuade de penser ainsi. Il leur montre que leur conception de la foi est chimérique : Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde

En fait Jésus ne considère pas que leur foi est petite, comme eux-mêmes le disent, mais qu’elle est tout simplement inexistante ! Vous avez bien entendu le texte, il leur dit : si vous aviez de la foi… Ils croient avoir cette foi, mais en fait ils sont dans l’illusion.

Dans ces conditions, dire que cette foi est petite ou grande n’a tout simplement aucun sens.

Pour le leur montrer, Jésus met devant les yeux de leur imagination une scène inattendue, et même saugrenue : la transplantation d’un arbre qui pousse dans la bonne terre pour le mettre en pleine mer.

Jésus a toujours refusé de jouer le rôle d’un thaumaturge, comme il y en avait beaucoup à l’époque. Il n’a jamais cherché à frapper les imaginations par des miracles, surtout aussi farfelus que de déraciner un arbre pour le replanter dans la mer.

Pour convaincre ses disciples, il choisit une argumentation hyperbolique, outrancière. Il va se placer sur le même plan qu’eux en leur faisant une réponse aussi absurde que l’était leur question.

Dans un raisonnement par l’absurde, Jésus cherche à leur faire comprendre que la foi ne relève pas du quantifiable et qu’ils ne peuvent pas l’augmenter selon leur bon vouloir.

Mais qu’est-ce que la foi ?

Le cardinal Newman, ce théologien du XIXe siècle, d’abord anglican, puis catholique, disait d’elle : Quand nous sommes tentés de la saisir pour ainsi dire avec nos mains, […] nous lui substituons un sentiment, une idée, une conviction ou un acte de raison […]. Nous cherchons alors des expériences personnelles plutôt que Celui qui est au-delà de toutes les expériences. Cette constatation montre bien toute la difficulté qui se fait jour quand nous voulons parler sur la foi.

Il en est ainsi parce que la foi n’est pas un objet en soi, indépendant et autonome. Elle trouve son fondement dans une relation de confiance. Dans ces conditions, elle ne peut pas être quantifiée et cela n’a aucun sens de parler d’une grande ou d’une petite foi.

Par conséquent la demande des disciples d’augmenter leur foi est absurde, au moins autant que de vouloir planter un arbre dans la mer.

Quand ils regardent leur foi, ils se regardent eux-mêmes, ils s’enferment en eux-mêmes. C’est pourquoi le piétisme, trois siècles après la Réforme, n’a pas eu que des effets positifs sur le protestantisme.

Puisque la foi relève du relationnel, au lieu de vouloir mesurer leur foi, les disciples devraient plutôt chercher à savoir qui est Dieu.

Ainsi, ils sortiront de leur subjectivité et s’appuieront sur un fondement fiable. Pour illustrer cette vérité, le théologien Dietrich Bonhoeffer disait : Croire veut dire fonder sa vie sur une base en dehors de soi-même.

Vue ainsi, la foi est seulement le canal qui les relie à Dieu. C’est justement parce que la foi n’est rien en elle-même qu’elle permet à la puissance de Dieu d’agir.

La foi n’a pas besoin d’être augmentée, dans la mesure où elle vient de Dieu et que c’est lui qui nous la donne. Plutôt que d’avoir une grande foi, il est préférable d’avoir un grand Dieu.

Elle est un don. On n’a aucune prise sur elle. On ne la possède pas. On ne peut pas la dissocier de celui qui en est à l’origine. La seule attitude possible, c’est de l’accueillir.

Dans cet ordre d’idée, ce n’est pas la foi qui fait le sacrement, mais l’inverse. Par exemple, lorsque nous participons à la Sainte-Cène, c’est le sacrement qui nous vient en aide, et pas notre foi.

Nous le voyons, la foi ne peut être que notre réponse à l’initiative de Dieu.

C’est seulement là qu’il est possible de parler de foi. Dans les autres cas, elle n’est rien d’autre qu’une volonté de maîtrise et de toute-puissance en complète contradiction avec l’esprit de l’Evangile. 

Ce passage d’évangile nous invite à déplacer notre manière de voir.

Ne nous demandons pas si notre foi est grande ou petite. Cette question est inutile, absurde et même pernicieuse. Demandons-nous plutôt à quel Dieu nous croyons.

Amen

 

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