Luc 3, 1-6 – Inscription dans l’histoire

 

Pasteur Bernard Mourou

Vous avez peut-être en mémoire le célèbre retable d’Issenheim, qui a été peint par Matthias Grünewald juste avant que Luther affiche ses 95 thèses. Il représente au pied de la Croix un Jean-Baptiste vêtu d’un manteau rouge fatigué, tenant un manuscrit dans une main et de l’autre pointant un index lourd de menace.

Le peintre avait compris que Jean-Baptiste voulait provoquer une prise de conscience. Les foules devaient reconsidérer leur vie à la lumière de la Loi et reconnaître leurs manquements.

Pour marquer leur repentance, Jean-Baptiste instaure un symbole qui prend son origine dans les rites purificateurs déjà présents dans le judaïsme : le baptême, c’est-à-dire l’immersion de toute la personne dans l’eau vive du courant. Pour pratiquer ce nouveau rite, il choisit le cours d’eau le plus proche du désert de Judée où il vit :  la rivière du Jourdain.

L’évangéliste rappelle que Jean-Baptiste est le fils du prêtre Zacharie et qu’il appartient donc à une famille sacerdotale.

Mais par la nature de son message et par cet acte symbolique du baptême, Jean-Baptiste représente le prophète par excellence.

Ce qui caractérise un prophète dans le Premier Testament, c’est qu’il accompagne souvent ses paroles par un geste symbolique fort. Pour les foules qui viennent à lui, il ne s’agit pas seulement d’acquiescer à ce qu’il dit, mais de montrer leur bonne volonté par un acte symbolique extérieur, visible par tous : ce sera le baptême.

Puis l’évangéliste inscrit l’action de Jean-Baptiste dans l’histoire d’Israël. Pour ce faire, il utilise dans le livre d’Esaïe un texte consacré au précurseur du Messie, qui aura pour mission de préparer sa venue.

Les juifs assimilaient ce précurseur au prophète Elie, pour lequel lors de la Pâque une place à table est toujours laissée vide. Assimiler Jean-Baptiste à ce personnage du livre d’Esaïe, c’est donc, du même coup, donner à Jésus toute sa légitimité en tant que Messie d’Israël

Le précurseur de Messie devait préparer la venue du Messie. L’évangéliste montre que Jean-Baptiste accomplit cette tâche en tentant de faire revenir le peuple à la pratique de la Loi.

Mais l’évangéliste ne se contente pas de parler de Jean-Baptiste et de décrire son action : il l’inscrit aussi dans l’histoire. C’est pourquoi il se présente clairement comme un historien dès les premières lignes de son ouvrage : j’ai décidé, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire un exposé suivi.

L’évangéliste a bien compris que l’Incarnation inscrit l’histoire du salut dans l’histoire humaine et pour l’efficacité de son propos, il fait œuvre d’historien.

Il cite donc les autorités en place à l’époque : l’empereur Tibère, le gouverneur Ponce Pilate, les tétrarques Hérode, Philippe et Lysanias, et deux grands-prêtres : Hanne et Caïphe.

Quand on sait qu’il n’y a jamais eu qu’un seul grand-prêtre, on est surpris que l’évangéliste en mentionne deux. En fait, une quinzaine d’années plus tôt, Hanne avait été destitué par les Romains et remplacé par son gendre Caïphe, mais le peuple continuait à le considérer comme le véritable grand-prêtre. C’est pourquoi l’évangéliste mentionne un grand-prêtre officieux, Hanne, et un grand-prêtre officiel, Caïphe.

L’indication temporelle que nous donne l’évangéliste, l’an 15 du règne de l’empereur Tibère, est donc suffisamment précise pour nous permettre de situer notre texte en 27 ou 28 de notre ère.

En procédant ainsi, l’évangéliste veut éviter de faire de Jean-Baptiste, comme de Jésus plus tard, un personnage mythique et intemporel dont le discours n’aurait pas besoin d’être replacé dans son contexte.

Si en Jésus-Christ le Créateur de l’univers nous a rejoints au cœur de notre monde, cela signifie qu’il est venu dans un espace géographique, mais aussi dans un espace temporel. Le temps fait partie intégrante de la création. Dieu est venu nous rejoindre dans l’espace, mais aussi dans le temps.

Cette venue ne se produit pas de manière subite. Le salut de Dieu en Jésus-Christ a mis du temps avant d’être connu dans sa plénitude. Il a fallu de nombreuses générations. Dans ce processus, Jean-Baptiste est le dernier maillon avant la révélation de Jésus-Christ.

Nous sommes donc loin de l’instantané auquel notre société nous a habitués. L’accomplissement du salut se déroule sur plusieurs siècles. Aujourd’hui nous sommes dans la période de l’Eglise, qui elle aussi s’inscrit dans une histoire.

En écrivant son Evangile à la manière d’un historien, Luc nous montre qu’il est aussi un bon théologien et qu’il a compris l’importance de l’histoire pour le christianisme. Aujourd’hui, quand une Eglise renonce à s’inscrire dans une histoire, elle montre juste qu’elle n’a pas compris toute la portée de l’Incarnation, qui constitue la spécificité du christianisme.

L’évangile selon Luc insiste particulièrement sur l’Incarnation. Des quatre Evangélistes, c’est lui fait le plus de place au récit de la Nativité. Il est celui qui développe le plus les circonstances qui entourent la naissance de Jésus. Il y consacre trois chapitres, contre deux pour l’Evangile selon Matthieu et aucun pour les deux autres évangiles.

En tant qu’homme, Jésus a vécu dans un endroit particulier du monde, à un moment précis de l’histoire. Comme tout être humain, il est situé, limité, dans un lieu et dans un temps. L’évangéliste

En cette période de l’Avent, nous attendons Noël, qui fêtera la venue de Dieu parmi nous. Noël est la fête de l’Incarnation.

Et l’Incarnation se révèle jusque dans la temporalité humaine, de sorte que nous pouvons dire, avec le romancier François Mauriac : Le christianisme n’est pas une philosophie, n’est pas un système. Il n’est rien d’autre qu’une histoire.

Amen

Contact