Luc 4, 1-13 – Le désert

 

Pasteur Bernard Mourou

Dans son livre La nuit de feu, l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt raconte l’expérience saisissante qu’il a vécue une nuit dans le désert du Sahara. Un jour, il perd le groupe avec lequel il marche. Il s’égare. La nuit tombe. Il raconte cette nuit-là, parce qu’elle l’a conduit vers Dieu.

Le désert, par le dénuement et la précarité qu’il impose, est propice à la spiritualité.

Dans le Premier Testament, le désert est un élément très présent. Entre la sortie d’Egypte et l’entrée en Terre promise, le peuple hébreu a passé 40 ans dans le désert.

Il en va de même dans le Nouveau Testament, le désert est présent aussi, notamment le récit d’aujourd’hui, qui se déroule après le baptême de Jésus et avant le commencement de son ministère.

On peut remarquer une similitude entre le livre de l’Exode et l’Evangile, à la différence près que dans l’Evangile le séjour dans le désert dure non pas 40 ans, mais 40 jours.

Et puis le contraste est grand entre les deux expériences : un séjour dans le désert constellé d’échecs et de récriminations pour les Israélites, une obéissance parfaite d’un bout à l’autre pour Jésus.

En ce premier dimanche de Carême, pour commencer notre marche vers Pâques, la liturgie nous invite à lire ce passage de l’Evangile, ce récit de la tentation de Jésus dans le désert.

Jésus vient d’être baptisé par Jean. Indéniablement influencé par son message, il imite jusqu’à sa manière de vivre et va logiquement séjourner au même endroit que lui, dans ce désert situé au-delà du Jourdain.

Dans le désert il n’y a rien. C’est un lieu inhospitalier, brûlant le jour, glacial la nuit. On subit la faim et la soif. On y affronte les bêtes sauvages et les dangers de toutes sortes.

Le désert exerce à la patience, alors que notre société nous propose d’avoir tout tout de suite. C’est sans doute pour cela qu’il exerce une certaine fascination sur nos contemporains et que toutes les agences de voyage proposent maintenant des marches dans le désert. Le dénuement qu’il implique permet en effet un retour sur soi et une ouverture à l’essentiel.

Eric-Emmanuel Schmitt a expérimenté les deux facettes du désert : la terreur qu’il inspire quand il fait perdre tout repère, et la protection surnaturelle qu’il offre.

C’est une épreuve de traverser le désert. Dans notre passage, avant de révéler Dieu, il révèle le diable.

Parler du diable revient à personnifier le mal. Le Premier Testament l’évoque très rarement. Dans notre culture occidentale, ce personnage renvoie à l’imaginaire du Moyen-Age, où il est présent notamment à travers la peinture ou la sculpture.

Avec le diable, avons-nous affaire à un être spirituel ou à une réalité psychique ? En tous cas, une chose est sûre : chaque fois que les Ecritures, elles montrent qu’il se glisse dans les fragilités humaines.

Jésus a assumé la condition humaine. Il est donc tout à fait normal qu’il soit rattrapé par elle et qu’il donne des signes de fragilité.

Notre texte fait ressortir des fragilités qui touchent trois domaines :

  • la matérialité : l’être humain ne peut pas vivre sans s’alimenter ; Jésus est donc tenté de transformer en pain les seules choses qu’il voit autour de lui : des pierres ; c’est la première tentation ;
  • la politique : le Messie devait succéder à David en tant que roi ; Jésus est tenté de prendre le pouvoir ; c’est la deuxième tentation ;
  • le charisme : la mission de Jésus suppose qu’on l’écoute ; il est tenté d’accomplir un acte gratuit pour en mettre plein la vue à ses contemporains ; c’est la troisième tentation.

Ces trois tentations sont comme des archétypes. Elles viennent du diable, et pourtant elles sont au nombre de trois, qui est le chiffre de Dieu. Le diable serait-il soumis à Dieu même lorsqu’il peut paraître le plus menaçant ? En tous cas, toutes nos tentations se retrouvent dans ces trois-là.

Le diable, qui est un ange déchu, nie la réalité :

  • il incite Jésus à changer les pierres en pains, alors qu’il est venu dans ce désert pour jeûner ;
  • il lui offre tous les royaumes de la terre en ignorant que l’action politique s’inscrit dans la durée ;
  • il lui fait miroiter une prouesse en oubliant les lois de la gravitation.

Tout cela relève de la pensée magique et non de la foi. Car la foi véritable tient compte de la réalité.

Le point commun de ces tentations, c’est qu’elles poursuivent un but louable. Le problème, ce n’est pas le but, ce sont les moyens. Comme le disait Gandhi : La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la graine. Lui aussi il avait compris que les moyens utilisés pouvaient anéantir l’action en la pervertissant.

Ces moyens pervers consistent non pas à servir le Dieu d’Israël, mais à s’en servir, à l’instrumentaliser. Cela revient à le mettre au rang des idoles, qui se plient aux désirs et aux volontés de leurs adorateurs. Avant toute autre chose, la vocation d’Israël a toujours été de lutter contre les idoles. La tentation ne consiste pas à transgresser une règle morale, mais à utiliser la puissance divine à son propre compte, pour son propre profit.

Jésus n’agira pas ainsi, parce que cela reviendrait à renoncer à sa condition humaine. Si tu es le Fils de Dieu, renonce à ta condition humaine, telle est ce à quoi reviennent ces trois tentations. Il apparaît ici clairement que le diable, cet ange déchu, se révèle avant tout comme l’ennemi de la nature humaine.

Finalement, Jésus déjoue tous les pièges du diable à l’aide des Ecritures, et plus particulièrement en citant des passages qui figurent tous dans une courte section du Deutéronome : les chapitres 6 à 8.

Le séjour dans le désert révèle un Jésus victorieux sur le diable.

Mais pouvons-nous en dire autant de l’Eglise ? Antoine Nouis constate : Si le diable n’a pas réussi à détourner Jésus de sa vocation, il a eu plus de succès avec l’Eglise, qui est tombée dans tous les pièges tendus par l’adversaire.

Amen

Contact