Luc 4, 21-30 – N’est-ce pas là le fils de Joseph ?

 

Pasteur Bernard Mourou

N’est-ce pas là le fils de Joseph ?

Dans la synagogue de Nazareth, où Jésus prononce sa première allocution publique, sa parole suscite la perplexité.

Ce qu’il dit ce matin-là est tour à tour accueilli favorablement (tous lui rendent témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche) et juste après rejeté avec violence (tous deviennent furieux, se lèvent et le poussent hors de la ville pour le jeter d’une falaise).

N’est-ce pas là le fils de Joseph ?

Cette question des auditeurs fait suite à leur admiration.

Il n’est pas difficile de comprendre l’une et l’autre attitude : au début, lorsque ses auditeurs accueillent ce que dit Jésus, ils prennent en considération une parole ; mais juste après, c’est à sa personne même qu’ils s’arrêtent.

Cela fait toute la différence. Parfois, les apparences nous empêchent de nous saisir d’une parole qui nous est adressée, car la personne qui la prononce ne nous semble pas avoir les qualités requises pour être écoutée.

Le Grand rabbin Joseph Sitruk faisait cette réflexion : L’identité n’est pas ce qui se voit, mais ce qui est. Les gens qui ont besoin qu’on les voie pour exister marquent leur fragilité du sceau de l’appréciation de l’autre. Je ne suis plus moi-même si j’ai besoin de votre appréciation pour savoir qui je suis. Je suis celui que vous aurez décidé. C’est peut-être ce qui est à l’origine de la « médiatisation à outrance » de nos sociétés.

N’est-ce pas là le fils de Joseph ?

Ne tenir compte que des apparences conduit à une vision réductrice de la réalité.

Car la difficulté qu’éprouvent les auditeurs ce matin-là dans cette synagogue de Nazareth a bien une raison : elle vient du décalage entre la parole libératrice de Jésus et sa personne somme toute bien banale.

Car aux yeux de l’auditoire, ce Jésus qui porte cette parole nouvelle est connu comme le fils du charpentier Joseph, un habitant bien intégré dans la vie locale.

Pour que ses auditeurs comprennent bien la difficulté qui en résulte, Jésus prend en exemple deux personnages des Ecritures : celui d’une veuve étrangère, une phénicienne qui vit à Sarepta, dans le pays de Sidon, et celui d’un général militaire, étranger lui aussi, un Syrien, Naaman. Ces deux personnages n’ont absolument rien de commun, si ce n’est qu’ils n’appartiennent pas à la terre d’Israël.

Or ces deux étrangers ont su finalement accueillir la parole qui leur permettra de continuer à vivre.

C’est une manière pour l’évangéliste de rappeler que le message de Jésus a été mieux accueilli par les païens que par les juifs.

N’est-ce pas là le fils de Joseph ?

Ce qui nous donne notre véritable identité, c’est notre attitude face à cette parole libératrice : quel accueil lui avons-nous réservé dans nos vies ? En enfermant Jésus dans son déterminisme géographique, les auditeurs passent complètement à côté de sa véritable identité, de sorte qu’ils se révèlent incapables d’accueillir sa parole pour ce qu’elle est.

Notre identité se joue au-delà des déterminismes géographiques et des frontières territoriales. C’est pourquoi aujourd’hui, toutes les revendications identitaires ne peuvent mener qu’à une impasse.

En fait, ce qui nous donne notre identité ne relève pas du lieu où nous sommes nés, mais de la culture qui nous a construits. C’est Albert Camus qui disait, dans un entretien donné pour la revue Calibran en 1951 et aujourd’hui d’une grande actualité : Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude.

Il ne faut pas nous étonner si, après avoir privilégié l’économie au détriment de la culture notre société devient violente et xénophobe.

Car c’est la culture qui nous ouvre sur l’universel. C’est en puisant dans nos racines propres et en les confrontant à d’autres visions du monde que nous développerons pleinement notre humanité.

Or il est impossible de s’ouvrir à l’autre, à celui qui est différent de nous, sans recourir au langage qui traduit et interprète.

C’est pourquoi le ministère de Jésus a commencé non pas par un acte de guérison, mais par un acte de parole.

Cette parole est une parole nouvelle, interprétative, qui nous libère en récapitulant toutes les promesses contenues dans les Ecritures.

N’est-ce pas là le fils de Joseph ?

Ce récit d’évangile, qui met en scène le premier acte public de Jésus, donne le ton et anticipe ce qui se passera à la fin, lors de la Passion. Mais nous n’en sommes pas encore là, c’est pourquoi les premiers adversaires de Jésus, à ce stade, n’ont pas de prise sur lui et qu’il parvient à se faufiler au milieu de la foule et à continuer son ministère.

En attendant, notre texte déroule le fil d’une parole qui repose sur un commentaire sans cesse renouvelé. Aujourd’hui, si nous sommes attentifs, cette parole interprétative et novatrice continue à nous parvenir. Mais elle est parfois portée par des médiateurs inattendus. Alors, nous attacherons-nous à leur personne ou saurons-nous saisir leur parole pour ce qu’elle est : une parole qui nous libère et qui nous fait vivre ?

Amen

 

 

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