Luc 5, 1-11 – Sur ta parole

 

Pasteur Bernard Mourou

Sur ta parole, je vais jeter les filets.

Comme dans les textes des dimanches précédents, la parole de Jésus est au centre de notre passage.

Cet évangile selon Luc choisit de nous montrer Jésus commencer son ministère par la prédication, d’abord dans la synagogue de Nazareth, puis dans celle de Capernaüm. Sa parole est libératrice, et maintenant il voit venir vers lui une foule qui veut entendre cette parole. Il y a tellement de monde qu’un espace fermé ne convient plus : sa prédication a maintenant pour cadre les rivages du lac de Galilée.

Grâce à la pêche, cette région est un lieu économique majeur. Sur les douze disciples, quatre exercent cette activité.  A l’époque en Galilée, la pêche était plus lucrative que l’agriculture.

Encore une fois nous voyons que Jésus rejoint les gens dans leur quotidien, là où ils travaillent. Il les rejoint, mais en même temps il reste à distance : il s’installe dans une barque pour ne pas être pressé par la foule.

Il va bénéficier aussi d’un autre avantage : l’eau réverbère le son et dans cet espace ouvert où la voix peine à se faire entendre, sa parole sera tout de même audible.

Jésus choisit donc de se placer à la fois à proximité et à distance des gens auxquels il s’adresse.

Puis, une fois qu’il a fini de parler à la foule, Jésus reste dans la barque et s’adresse dans l’intimité à ses disciples, et plus spécifiquement à Pierre.

Il lui donne un conseil : il lui dit d’aller au large pour jeter les filets, sans autre argument. 

Nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre. Pierre connaît son métier. Il sait que si pendant la nuit le poisson n’était pas au rendez-vous, il ne le sera pas davantage après le levé du jour. Il est inutile de vouloir s’entêter : il faut se rendre à l’évidence et ranger les filets.

Pierre est d’abord sceptique : Le conseil vient de quelqu’un qui n’a pas l’expérience du métier.

Mais en même temps, il prend conscience que la parole de Jésus dépasse le savoir-faire professionnel et qu’elle a une portée spirituelle.

Sur ta parole, je vais jeter les filets.

Il l’appelle « Maître ». Ce terme qui n’apparaît que chez Luc désigne moins un enseignant qu’une personne en position de commandement. L’évangéliste met donc l’accent sur l’autorité spirituelle de Jésus.

Oui, Jésus a une parole d’autorité. Et Pierre accepte cette parole, même dans le domaine de la pêche qu’il maîtrise parfaitement.

Sur ta parole, je vais jeter les filets.

Il le fait parce qu’il reconnaît cette parole pour ce qu’elle est : une parole de Dieu et non la parole d’un homme. Elle va lui donner l’assurance et la stabilité qui manquent à son caractère versatile. C’est pourquoi il recevra bientôt le nom de Kêphas, qui veut dire le roc, le rocher.

Mais tous n’accueillent pas cette parole de la même manière et, vous vous rappelez, à Nazareth, les gens réunis ce matin-là dans la synagogue avaient tenté de précipiter Jésus d’une falaise.

Pierre, pour sa part, accueille cette parole avec révérence et humilité. Il met de côté ce qu’il croit savoir de par son expérience professionnelle et finalement, il dirige sa barque vers le large et jette à nouveau ses filets, comme Jésus lui a dit de faire.

En laissant de côté sa propre subjectivité, Pierre permet à cette parole d’agir sur la réalité.

Car la parole de Jésus n’est pas un simple discours : elle transforme les circonstances, elle a du poids. En cela elle est véritablement une parole de Dieu.

Les poissons qui ont fait défaut pendant la nuit sont maintenant là. Pierre et ses collègues en prennent une énorme quantité, au point que les filets manquent de se déchirer et que le poids cette prise exceptionnelle fait s’enfoncer dans l’eau les deux barques.

Après cette pêche miraculeuse, on pourrait s’attendre à ce que leur première réaction soit une réaction de joie. Il n’en est rien : Pierre et ses collègues sont saisis d’effroi. Le sacré a fait irruption dans leur réalité quotidienne. Pierre tombe aux genoux de Jésus et s’écrie : Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur.

L’anthropologie a montré que, dans toutes les cultures, l’effroi est la réaction induite par la perception du sacré.

C’est ce même effroi dont fait état le passage que nous avions en première lecture, dans le livre d’Esaïe, lorsque le prophète s’écrie : Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! 

Par la réaction de Pierre et de ses collègues, l’évangéliste met en évidence le fait que Jésus a tous les attributs de la divinité, alors même que son ministère ne fait que commencer.

Mais, comme le charbon brûlant du séraphin sur les lèvres du prophète lui permet de voir Dieu, la parole apaisante que Jésus adresse à Pierre, quand il lui dit d’être sans crainte, le libère de l’effroi que provoque la perception du sacré.

Libérés de la peur, les disciples seront désormais des pêcheurs d’hommes. Pour pouvoir continuer à entendre cette parole qui fait vivre, ces hommes qui avaient jusque-là exercé l’activité lucrative de la pêche, vont vouloir rester dans sa présence et le suivre partout où il ira. Ils vont à leur tour transmettre cette parole rassurante à tous ceux qui ont un sens du sacré.

Amen

 

 

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