Luc 6, 17-26

 

Pasteur Bernard Mourou

Dans cet évangile selon Luc, nous voyons Jésus rencontrer des menaces dès le tout premier récit, lors de sa première prédication, qui s’est déroulée dans la synagogue de Nazareth : il a failli être précipité au bas d’une falaise.

Jésus est aux prises avec une opposition dès le commencement, et dans le même temps son ministère prend de l’ampleur : il a maintenant ses douze disciples avec lui et dans notre récit, une foule nombreuse vient l’écouter depuis les quatre coins du pays, et même de plus loin encore : sa réputation a touché la Phénicie païenne.

En fait, Jésus développe son ministère au cœur même des difficultés. C’est cela qui ressort de ses premiers actes publics.

Voilà quelle est sa première expérience. Elle le conduit à tenter de comprendre pourquoi les événements prennent cette tournure. Sa réflexion l’amène à élaborer un enseignement à l’intention de ses disciples et de tous ceux qui viendront l’écouter.

C’est le discours qui est retranscrit dans notre passage d’aujourd’hui.

Il se présente comme le pendant du Sermon sur la montagne chez Matthieu, avec la différence que chez Luc ce discours est prononcé non pas sur une montagne, mais dans une plaine. Juste avant, Jésus était bien sur une montagne avec ses disciples, mais il en est descendu pour parler à la foule.

Par conséquent, la foule venue vers lui n’a pas eu besoin de gravir une montagne pour entendre son message. Aucun effort ne lui a été demandé. Comment mieux faire comprendre que le message de Jésus est à la portée de tous ?

Après donc avoir réfléchi sur ses propres difficultés, Jésus peut maintenant s’adresser à tous ceux qui traversent les vicissitudes de la vie et qui souhaiteraient que leurs circonstances changent, que leurs problèmes disparaissent.

Mais son propos est pour le moins surprenant. Il consiste à déclarer heureux, à quatre reprises, ceux qui traversent des situations difficiles. Et pour donner plus de force à cette idée, Jésus ajoute en parallèle quatre malédictions.

A l’époque comme aujourd’hui, les gens étaient aux prises avec toutes sortes de difficultés. Jésus ne s’attaque pas à elles par l’action, en faisant disparaître les problèmes, mais par la parole, qui replace ses auditeurs dans la vérité de leur réalité.

Jésus fait donc preuve du plus grand réalisme.

Pour la foule, rien n’a changé et elle est toujours dans les mêmes difficultés. Dans ces conditions, n’est-ce pas une escroquerie, ou du moins la preuve d’une malhonnêteté intellectuelle, que de déclarer ces gens heureux alors que leurs problèmes n’ont pas disparu ?

Le message de Jésus est une bonne nouvelle. Alors ici, quelle est-elle ?

En fait, Jésus n’invite pas à chercher le bonheur, comme il serait naturel de le faire, dans des circonstances plus favorables, mais simplement à prendre conscience que ce bonheur est possible au cœur même des difficultés, tant matérielles que spirituelles : dans la pauvreté, la faim, le chagrin, l’hostilité, la persécution.

Dans son histoire, l’Eglise a souvent parlé de ce bonheur, mais elle a pu faire croire qu’il viendrait plus tard, après cette vie, dans l’au-delà. Jésus développe ici l’idée inverse : le bonheur qu’il promet à ses auditeurs commence tout de suite, en même temps que les difficultés : il coexiste avec elles.

Le pasteur Alphonse Maillot disait que la foi avait le pouvoir de changer tout mal en son contraire. C’est un peu cette idée qui est développée ici.

Il en est ainsi parce que Dieu prend à cœur ces personnes dans leurs difficultés, et cela non en vertu de leurs mérites propres, mais en raison de leur situation même. En effet, leurs difficultés sont pour elles une occasion unique et irremplaçable de prendre conscience de leur manque, c’est-à-dire de la limitation, de la finitude inhérente à la condition humaine.

Ce premier discours de Jésus à la foule vise donc à mettre l’être humain à sa juste place devant Dieu.

Il se produit exactement la même chose dans la liturgie, au moment où, après la prière de louange et le chant d’un Psaume, nous reconnaissons notre péché.

Il est important de comprendre qu’à cet instant nous ne procédons pas à une énumération de nos péchés pour en faire une liste, mais que nous reconnaissons notre état de finitude propre à la nature humaine. Nous nous replaçons devant Dieu et c’est pourquoi, dans le déroulement de la liturgie, cette étape a lieu peu après le début.

Se mettre devant Dieu, à sa juste place, et si c’était cela la clef du bonheur ?

Quand dans sa vie on traverse des difficultés, la réaction naturelle est de se demander ce qu’on a fait pour en arriver là.

Ce n’est pas cette attitude-là qui nous aidera. Ce qui nous aidera, c’est de prendre en compte la réalité telle qu’elle est, de prendre conscience de ce qui relève de nous et de ce qui relève de Dieu.

Ce qui relève de nous, c’est de nous mettre à notre juste place, en reconnaissant nos difficultés et nos manques, puis en nous en remettant à Dieu, non pour nous dispenser d’agir, mais pour agir dans la confiance.

Amen

 

 

 

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