Luc 6, 39-45 – Les aveugles

 

Pasteur Bernard Mourou

Vous connaissez certainement ce tableau de Brueghel intitulé la Parabole des aveugles. Il se rapporte directement à notre passage, que cet Evangile selon Luc est le seul à nous transmettre.

Fidèle à la tradition médiévale, Brueghel représente les aveugles de notre parabole comme des vagabonds couverts de haillons. Dans son tableau, le peintre n’a pas représenté un seul aveugle, mais six, tous semblables. Ces aveugles sont en train de tomber dans un fossé.

En représentant six aveugles plutôt qu’un seul, le peintre a trouvé, avant l’invention du cinéma, un moyen pour décomposer le mouvement de cette scène. On a l’impression en effet de regarder défiler une par une les images d’un film : le premier aveugle est déjà dans le fossé, le second qui le suit commence à y tomber lui aussi, le troisième est sur le point de trébucher, le quatrième semble seulement pressentir le danger, tandis que les deux derniers ne se doutent encore de rien.

La gradation des postures s’accompagne d’une gradation des sentiments. L’émotion qui se dégage de ce tableau est due bien entendu à la misère humaine de ces aveugles, mais aussi et surtout au caractère inéluctable de leur chute dans le fossé.

Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous les deux dans un fossé ? L’évangile nous pose les mêmes questions que le tableau de Brughel.

Un aveugle ne peut pas guider un autre aveugle, sous peine de le mettre en danger.

Si nous transposons cette vérité sur un autre plan, l’aveugle en question, dans notre parabole, manque de voir non pas les choses qui l’environnent, mais les choses de Dieu. S’il se met en tête de vouloir devenir un guide spirituel pour les autres, les conséquences seront plus graves qu’une simple chute dans le fossé. L’enjeu est donc considérable.

A qui fait-il allusion dans cette parabole ?

Il est évident qu’il pense aux disciples ou à ceux qui se prétendent tels, puisqu’il déclare : Le disciple n’est pas au-dessus du maître.

Cette parabole parle donc de gens qui s’intéressent de près aux questions spirituelles et qui se proposent de guider les autres, parce qu’ils se croient, par leur savoir ou leur expérience, supérieurs à eux.

Quant à nous, nous n’éviterons pas cette question : Sommes-nous de tels disciples ?

La suite du texte va nous aider à le savoir, car elle précise en quoi consiste leur comportement : Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ?

Ce comportement consiste à repérer ce qui ne va pas chez les autres. Ceux qui agissent de la sorte sont des gens négatifs, qui jugent et qui condamnent tout le monde à l’exception d’eux-mêmes. Parce qu’ils s’estiment supérieurs, il ne leur vient pas à l’idée qu’ils pourraient trouver chez eux les mêmes problèmes qu’ils repèrent chez les autres.

Ces personnes ne voient qu’une partie de la réalité. Si les faiblesses qu’elles repèrent chez les autres peuvent être bien réelles, elles laissent de côté leurs propres faiblesses en s’exemptant de tout regard critique. Ce sont des personnes toujours en train de critiquer les autres. Elles ne peuvent donc guider personne. En se traitant différemment des autres, elles manifestent avant tout un manque de cohérence.

Mais leur tentative est vouée à l’échec, parce qu’en se prétendant supérieures aux autres sur le plan spirituel, elles révèlent juste qu’elles n’ont aucune idée de Dieu. 

En effet, le message de l’Evangile, c’est l’accueil inconditionnel du pécheur, la grâce gratuite. Ceux qui ne saisissent pas cela ignorent le point central du christianisme, ils ne le voient pas, pas plus que les aveugles du tableau ne voient le fossé dans lequel ils vont tomber.

Non seulement leur aveuglement s’avère dangereux pour ceux qui les suivent, mais en plus il provoque la stérilité : On ne cueille pas des figues sur des épines, on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces, pour reprendre le texte.

Et effectivement, on ne transmet pas la vie en jugeant les autres. Les personnes qui jugent et condamnent agissent comme un repoussoir. Elles donnent envie de les fuir.

Nous avons un Dieu miséricordieux et nous sommes appelés à un minimum de cohérence. Dans l’Eglise, une seule attitude convient : l’accueil inconditionnel de toutes les personnes, quel que soit leur parcours de vie, parce que nous avons-nous-mêmes bénéficié de cet accueil inconditionnel.

Cette parabole disqualifie tous ceux qui se croient au-dessus des autres. Nous pouvons trouver partout de telles personnes, y compris dans les Eglises. Les pasteurs courent un risque peut-être plus grand que les autres, mais personne n’est à l’abri de ce sentiment de supériorité.

Alors que faire ?

Eh bien le texte ne s’arrête pas là : Jésus continue en disant : Une fois bien formé, chacun sera comme son maître.

Le compagnonnage des apôtres avec Jésus va leur permettre d’être bien formés et de faire preuve de la même miséricorde que leur Maître.

De même, plus nous vivrons en présence du Seigneur, plus nous mesurerons la distance qui nous sépare de Dieu et plus nous serons à même d’éviter de juger et de condamner, parce que nous comprendrons que nous ne sommes en rien différents d’eux. Nous avons là le remède qui nous évitera de nous placer en surplomb.

Jésus est le seul guide et il n’y en a pas d’autres. Ne nous mettons donc pas à la place de Dieu.

Amen

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