Marc 10, 35-45 – Places d’honneur

 

Pasteur Bernard Mourou

Certains récits d’évangile ménagent des surprises. C’est le cas du passage qui est proposé à notre lecture ce dimanche.

D’ordinaire, les personnes qui demandent quelque chose à Jésus ont croisé un jour son chemin, mais ici, ceux qui lui présentent leur requête appartiennent au cercle des Douze. Et nous n’avons pas affaire à des disciples de second rang : avec Pierre, Jacques et Jean ont toujours occupé le premier plan. 

Et ils ont une curieuse façon de procéder : ils ne lui disent rien sur l’objet de leur demande, ils attendent de lui qu’il s’engage à exaucer leur requête inconditionnellement, en ignorant de quoi il s’agit.

Jacques et Jean n’ont pas de mauvaises intentions, pourtant leur demande rappelle les pièges que les pharisiens ont coutume de tendre à Jésus.

Comment en sont-ils arrivés là ?

En fait, Jacques et Jean ont reconnu en Jésus le Messie, et pour eux cela signifie qu’il va bientôt être sacré roi. Jusque-là, ils ont tout compris : ils ne prennent pas Jésus pour un prophète comme la plupart de leurs contemporains, mais bien pour le Messie, tout comme Pierre l’avait fait juste avant.

Jacques et Jean croient à cette prophétie de Zacharie : Voici ton roi qui vient vers toi : Il est juste et victorieux. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre, et de l’Euphrate à l’autre bout du pays.

Mais Jacques et Jean n’ont pas seulement tout compris, ils montrent aussi une ambition démesurée : dans la mesure où ils ont été aux côtés de Jésus depuis le début, ils veulent être ses plus proches collaborateurs, c’est-à-dire occuper les meilleures places dans le nouveau gouvernement qui va se mettre en place.  

Or si Jésus se dirige bien vers Jérusalem, il sait maintenant qu’il n’y sera pas sacré roi, mais qu’il y sera condamné par les autorités religieuses.

Cette conviction, il veut la transmettre à ses disciples : il leur a annoncé ses souffrances et sa mort prochaines une première fois au chapitre 8, puis une deuxième fois au chapitre 9, et maintenant il fait une troisième et dernière fois dans ce chapitre 10.

Mais les disciples ne comprennent pas. La première fois, Pierre avait réagi avec une grande virulence, la deuxième fois, les disciples avaient voulu savoir qui était le plus grand, et maintenant, Jacques et Jean cherchent à évincer les autres disciples pour prendre les meilleures places. Chaque annonce de Jésus fait place à l’incompréhension des disciples.

Dans notre texte, Jésus ne reproche pas à Jacques et Jean leur ambition, mais il essaie de leur montrer qu’ils n’ont pas tout compris.

Ceux qui prennent soin des autres sont ceux qui commandent, écrit saint Augustin dans la Cité de Dieu. C’est ce modèle de gouvernance que présente l’évangéliste en rapportant cet épisode.

La demande de Jacques et de Jean n’est pas surprenante. L’ambition est inscrite dans le psychisme humain. La société se sert de ce moteur pour obtenir le meilleur des individus, mais pas Jésus. Lui, il recherche le bien de ses disciples avant toute autre chose. Il veut éviter qu’une ambition mal placée les détruise, car il sait que toute ambition doit être purifiée.

En fait, l’ambition doit s’appuyer sur Dieu seul et non sur des capacités humaines qui ne provoqueront que de l’orgueil.

Jésus agit ici d’une manière surprenante et déroutante. S’il n’accepte pas la demande de Jacques et de Jean, il ne la refuse pas non plus. En fait, il ne se détermine pas, il ne leur dit ni oui ni non, mais seulement : Il ne m’appartient pas de l’accorder.

Jésus montre par là qu’il a conscience de ne pas tout savoir. En venant dans ce monde, il a accepté les limitations de notre condition humaine. L’évangile selon Marc insiste particulièrement là-dessus. Il nous montre que sur l’au-delà, Jésus ne peut rien dire.

Par conséquent il ne peut rien dire non plus sur l’au-delà. Mais il peut affirmer cette chose capitale, à savoir que tout est don, y compris la place des uns et des autres dans le Royaume de Dieu.

Jacques et Jean doivent faire avec cette absence de réponse. Ils n’obtiennent pas de Jésus ce qu’ils espèrent. On peut imaginer leur déception.

Mais Jésus voit leur détermination et dans un second temps il leur fait une réponse moins catégorique : il leur annonce qu’ils boiront la coupe que lui-même boira. Dans la culture juive, la coupe pouvait signifier la plénitude, mais aussi l’amertume.

Dans ce texte, Jacques et Jean demandent à Jésus de siéger à sa droite et à sa gauche, dans une position de gouvernants, de vainqueurs.

Jésus ne répond pas à leur demande et dans les évangiles nous ne verrons pas Jacques et Jean siéger à la droite et à la gauche de Jésus.

Rien ne nous dit s’ils seront assis à la droite et à la gauche de Jésus, mais à la fin de l’évangile, comme un écho à cet épisode, à la droite et à la gauche de Jésus nous verrons deux personnages : non pas Jacques et Jean ni aucun autre disciple, mais deux brigands sur la croix qui subiront la même crucifixion que Jésus.

Amen

 

 

Contact