Marc 12, 38-44 – Une pauvre veuve

 

Pasteur Bernard Mourou

Aujourd’hui, nous commémorons le 100e anniversaire de l’armistice qui a marqué la fin de la Première guerre mondiale. Pendant ces quatre années de malheur, de nombreuses familles ont été touchées. Cette période de l’histoire nous rappelle que la tragédie fait partie de l’histoire humaine et qu’elle frappe souvent les plus vulnérables.

Le texte de ce dimanche nous parle d’une de ces personnes vulnérables. Il s’agit d’une femme qui est veuve et de ce fait complètement démunie à une époque où les aides sociales n’existent pas.

La scène se passe à Jérusalem, dans l’enceinte du Temple, sur le parvis des femmes, à proximité des troncs dans lesquels les fidèles déposaient l’argent destiné au trésor. Cet argent servait à faire vivre les prêtres qui assuraient les rites sacrificiels.

On peut lire ce texte comme une leçon de morale et cela a souvent été fait. Voici une veuve indigente qui donne deux leptes, c’est-à-dire deux pièces de cuivre. Il s’agit d’une toute petite somme d’argent : deux leptes, cela représentait seulement un huitième de la ration de pain qui était chaque jour distribuée aux pauvres.

Mais pour cette veuve indigente, ces deux petites pièces signifient beaucoup, car elle ne possède rien.

Elle aurait pu donner une seule pièce, mais non, elle donne les deux, c’est-à-dire tout ce qu’elle a. Pourtant, elle a besoin de cet argent pour vivre, contrairement aux riches qui apportent ce qu’ils ont en surplus.

Dans la société de cette époque, la veuve, avec l’orphelin, représente la catégorie de population la plus précaire. La loi juive protégeait la veuve et l’orphelin.

En plus, ceux qui demandent à cette veuve ce geste, ce sont les riches, qui eux ne mettent pas toute leur vie dans leur offrande, mais seulement le superflu de leurs revenus.

Pour un pasteur, la tentation est grande de penser aux besoins financiers de sa paroisse et à rester dans un registre moral, afin d’utiliser ce texte comme une invitation à donner plus à l’Eglise.

Mais l’Evangile n’est pas une règle morale.

Par-là, je ne décourage pas de donner pour la paroisse. Au contraire, je pense que l’argent est indispensable pour toute association, y compris pour l’Eglise, et que nos dons reflètent la qualité de notre engagement. Mais je crois que ce texte a une autre visée.

Notre récit peut être lu autrement que comme une leçon de morale.

Il parle d’une veuve qui se met en danger. L’évangéliste semble vouloir montrer toute l’absurdité de son geste. Car cette femme compromet une existence déjà précaire pour contribuer à entretenir un édifice, le Temple, qui est de toutes façons appelé à disparaître.

Juste après notre passage, Jésus annonce clairement que le temple de Jérusalem sera détruit. Cela se produira effectivement, une quarantaine d’années plus tard, à l’époque où cet évangile selon Marc a été rédigé.

Dans ces conditions, à quoi aura servi l’offrande de cette pauvre veuve ?

La morale suppose un acte accompli en vue d’un objectif louable. Nous ne trouvons rien de tel dans ce récit. L’évangéliste parle au contraire d’un geste absurde et insensé pour un édifice de toutes façons appelé à disparaître.

Dieu donne la vie, même si l’évangile selon Marc met moins l’accent sur ce point que les autres.

Cela pose donc un problème lorsqu’une personne décide de mettre en jeu ses moyens d’existence, ses chances de pouvoir vivre, en donnant ce qui garantit sa propre subsistance. Nous pouvons donc dire, en cohérence avec le reste des évangiles, que ce récit n’a pas une visée morale.

Mais allons encore plus loin.

Avec ce texte, le récit évangélique touche à sa fin. Jésus approche de Jérusalem et il sait qu’il va bientôt y trouver la mort. Sa vie aura été aussi absurde que celle de cette pauvre veuve.

Jésus est assis et il regarde autour de lui, comme aujourd’hui on pourrait le faire en s’asseyant à la terrasse d’un café pour regarder les gens passer.

A quoi pense-t-il ? Peut-être justement à ce qui l’attend. Rien ne nous empêche de le voir ici en train de méditer sur le sens de l’existence, et notamment la sienne, en observant comment se comportent les gens.

En conclusion, je dirai que pour bien lire ce passage, il ne faut pas en faire un texte moralisateur. Cela signifie que ce texte ne dit pas qu’il ne faut s’attacher seulement aux intentions. En conséquence, ce texte ne peut pas servir d’alibi à ceux qui diraient que l’argent n’est pas important et que seul le sentiment compte.

Il ne s’agit pas de voir dans le geste de cette veuve des intentions louables, mais plutôt une folie et une mise en danger absurde. Le contexte évoque un Temple qui va être détruit.

Les anciens rituels sacrificiels vont faire place à autre chose. Dieu se place toujours du côté de la vie. Jésus va bientôt vivre sa Passion, mais la mort n’aura pas le dernier mot et à la fin les évangiles nous disent que c’est la vie qui a triomphé.

L’argent doit donc être utilisé pour favoriser la vie. Et là, nous voyons que ce texte ne contredit pas du tout le don en tant que tel, dans la mesure où il sert à la vie.

Une fois que nous nous sommes assurés que notre offrande sert bien la vie, nous pouvons nous montrer généreux dans nos offrandes.

Amen

 

 

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