Marc 6, 7-13 – Le titre d’apôtre

 

Pasteur bernard Mourou

L’évangile selon Marc appelle toujours ceux qui ont suivi Jésus les Douze, sauf une fois, quelques versets après le passage que nous venons de lire : après la mission que Jésus leur confie ici, ils recevront le titre d’apôtres, apostoloi, c’est-à-dire envoyés.

Ce n’est pas un hasard : l’évangéliste met ici l’accent sur le fait qu’ils sont envoyés. Les disciples sont présentés comme des chargés de mission. Leur mission, c’est de transmettre le message de Jésus.

Notre texte nous invite donc à comprendre ce que signifie le titre d’apôtre.

Une première chose à dire à ce propos, c’est que ce titre d’apôtre n’est pas réservé à ceux qui ont vécu dans la proximité de Jésus, car les Douze ne sont pas les seuls à bénéficier de ce titre : Paul sera aussi appelé apôtre alors qu’il n’a pas connu Jésus en chair et en os ; ce sera aussi le cas de son compagnon de route Barnabé.

Dans notre passage, les Douze sont invités à accepter une mission exigeante. Oui, c’est une rude tâche qui les attend.

Alors, pour leur donner toutes les chances de réussir, Jésus va les aider : ils recevront de lui l’autorité sur les esprits impurs.

Aujourd’hui, cette expression d’esprits impurs est perçue à juste titre comme venant d’un autre temps. Mais c’est une catégorie comme une autre pour rendre compte de la réalité lorsque l’être humain est aliéné et en cela elle est tout aussi pertinente que celles que nous employons aujourd’hui, où nous parlerions peut-être d’addictions. Dans les deux cas nous sommes renvoyés à une même réalité.

Voilà donc les disciples prêts à remplir leur mission après avoir reçu l’autorité sur tout ce qui enchaîne l’être humain.

Pouvons-nous vraiment croire cela ? Car enfin, comment est-ce possible que les disciples puissent chasser les esprits impurs si nous considérons qu’à ce moment de l’histoire ils n’ont pas encore reçu le Saint-Esprit ? Les évangiles nous disent que c’est seulement lors de la Pentecôte, après la passion, que le Saint-Esprit sera donné.

Les disciples sont des hommes comme les autres, lents à comprendre les propos de Jésus, prompts à se disputer pour savoir qui est le plus grand. Dans ces conditions, Comment pourraient-ils mener à bien cette exigeante mission sans le Saint-Esprit ?

Jésus enverrait-il ses disciples seulement dans un but pédagogique, pour qu’une fois seuls ils puissent prendre conscience de leurs incapacités en étant confrontés à leur échec ?

Pourtant, ce n’est pas ce qui se passe. Ils n’échouent pas, ils réussissent la mission que Jésus leur a confiée, ils parviennent sans problème à chasser beaucoup de démons et à guérir beaucoup de malades. C’est en triomphateurs qu’ils reviennent.

Il faut bien rendre à l’évidence : cette autorité sur les esprits impurs leur a bien été donnée.  Comment comprendre cela ?

En fait, ici les disciples ne reçoivent pas le Saint-Esprit, mais une parole. Et c’est cette parole qui suffira pour cette mission.

Luther disait : Voilà pourquoi notre théologie est certaine : elle nous arrache à nous-mêmes et nous établit hors de nous, pour que nous ne prenions pas appui sur nos forces, sur notre conscience, nos sens, notre personne, nos œuvres, mais que nous prenions appui sur ce qui est en dehors de nous : la promesse et la vérité de Dieu, qui ne peuvent tromper.

C’est bien cela que nous avons ici. Les disciples reçoivent cette autorité de Jésus, c’est-à-dire d’un autre que d’eux-mêmes. Ce n’est pas une puissance qui leur serait propre et dont ils pourraient disposer à leur guise, mais une autorité extérieure à eux.

Cette parole que Jésus donne à ses disciples a donc un point commun avec le Saint-Esprit qu’ils recevront bientôt. Les deux reposent sur un même principe, un principe d’extériorité.

Après la Pentecôte, le Saint-Esprit ne fera pas autre chose que ce que fait ici la Parole : il libérera l’être humain de sa subjectivité, il le fera sortir de lui-même.

Par son extériorité, comme le Saint-Esprit la parole de Jésus à ses disciples est libératrice.

C’est cette extériorité, qu’elle soit la Parole ou l’Esprit, qui confère aux disciples leur qualité d’apôtre. L’apôtre est celui reçoit son autorité de l’extérieur. Il n’a donc rien de commun avec ces leaders charismatiques qui subjuguent les foules par leurs dons personnels.

Pour nous aussi, cette conception selon laquelle nos capacités ne viennent pas de nous-mêmes, mais d’un Autre, est profondément libératrice.

Lorsque nous témoignons de notre foi, nous ne sommes pas appelés à nous regarder nous-mêmes, à évaluer nos forces et à nos faiblesses, mais à nous reposer sur une Parole qui ne nous appartient pas. Dans ces conditions, nos faiblesses et nos incapacités ne sont aucunement des obstacles.

C’est pourquoi, qui que nous soyons, et même si nous avions une piètre image de nous-mêmes, nous ne pourrions pas dire que nous ne sommes pas qualifiés pour œuvrer dans l’Eglise. Quel que soit le regard que nous portons sur nous-mêmes et sur notre vie de foi, il faut savoir que ce ne sera jamais un alibi pour rester en retrait.

Amen

 

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