Matthieu 4, 1-11 – Jésus face à la tentation

 

Pasteur Bernard Mourou

En ce premier dimanche de Carême, notre texte d’évangile nous emmène tout naturellement dans le désert.

Ce lieu du dénuement nous renvoie à la fois à nous-mêmes et à Dieu. Mais il n’a pas que des effets positifs : il favorise aussi toutes les tentations imaginables.

Ici à Digne, nous ne sommes pas à proprement parler dans un désert géographique, mais nous savons bien qu’aujourd’hui les campagnes et les petites villes deviennent de plus en plus des déserts spirituels. Alors en ce premier dimanche de Carême, soyons positifs et voyons cela comme un avantage.

L’évangéliste nous dit que Jésus va dans le désert et qu’il y reste assez longtemps : quarante jours. Quarante est un nombre symbolique. Il évoque un temps d’attente et d’épreuve. Les Israélites étaient restés quarante années dans le désert avant de pouvoir entrer dans la terre promise.

Jésus va dans le désert juste après avoir été baptisé par Jean. Il vient de la région la plus verdoyante du pays, la Galilée, et il n’est pas familier de ces lieux inhospitaliers et arides de l’autre côté du Jourdain. Selon toute vraisemblance, il décide de s’y rendre parce que c’est le lieu où vivait Jean-Baptiste. C’est une façon d’adopter son mode de vie. On peut voir dans cette décision une manière d’être son disciple le plus parfaitement possible.

Et là, dans ce lieu de dénuement, comme n’importe quel être humain, Jésus est confronté à la tentation.

Jésus n’a pas encore de disciples et il est seul dans ce désert. Aucun témoin n’a donc assisté à la scène. Seul lui-même a pu raconter son expérience aux apôtres, plus tard. Nous n’avons aucune idée de la manière dont cette transmission a pu se faire.

Nous sommes donc ici en présence d’une construction théologique.

Ainsi, ces trois tentations récapitulent toutes celles auxquelles l’être humain peut être confronté dans sa vie.

Reprenons-les :

La première tentation consiste à vouloir, pour remédier à la faim, transformer les pierres en pain. Elle touche la matérialité.

La deuxième tentation est d’un tout autre ordre. Contrairement à la première elle ne répond pas à une nécessité. Il ne s’agit pas de satisfaire un besoin, mais d’accomplir un acte gratuit dans le seul but de frapper les imaginations et de pouvoir ainsi mieux convaincre les foules.

La troisième tentation est peut-être celle qui a exigé le plus grand discernement, car elle concerne directement son ministère. Il s’agit, pour faire advenir le royaume de Dieu sur terre, de vouloir exercer le pouvoir politique. C’est dans le droit fil des Ecritures. En effet, de nombreux textes prophétiques annonçaient un descendant de David qui exercerait une gouvernance universelle.

Ce texte nous montre d’abord une certaine absence de stratégie chez l’adversaire, car ces trois tentations ne présentent aucune cohérence entre elles. Elles sont comme différents appâts qu’on lance pour voir lequel sera le bon. L’adversaire n’a pas d’objectif clair, si ce n’est de rompre la communion de Jésus avec son Père céleste.

A l’inverse, Jésus garde le cap. Sa cohérence, il la trouve grâce aux Ecritures. Il cite une petite portion de textes dans le livre du Deutéronome, les chapitres 6 à 8. Même s’il n’a pas eu l’initiative du combat, elles lui permettent de mener le jeu, au point que l’adversaire, dès la deuxième tentation, se met à l’imiter et à citer lui aussi les Ecritures.

Mais il les utilise de manière littérale, sans tenir compte du contexte.

C’est un fait, l’adversaire peut lui aussi faire parler les Ecritures. Cela doit nous rendre particulièrement vigilants, nous autres protestants, qui souvent ne gardons de la Réforme que le principe de Sola Scriptura, tant il est vrai que sans l’Esprit saint on peut faire dire n’importe quoi à la Bible.

Si nous concevons la tentation comme la transgression d’une règle morale, nous aurons du mal à voir ici des tentations. Car il est normal de satisfaire sa faim, de chercher à être plus convaincant ou de vouloir résoudre des problèmes de société par le biais de la politique.

Le problème de ces trois tentations se situe en fait sur un autre plan que celui des règles morales. Car si elles abordent chacune des questions très différentes, elles ont cependant un point commun : elles cherchent l’efficacité, le plus rapidement possible, et pour y parvenir, elles instrumentalisent le Dieu d’Israël, elles font finalement de lui une idole soumise aux désirs humains. Cela contrevient à la vocation du judaïsme. Incontestablement, c’est là que réside le problème de ces trois tentations.

Mais Jésus ne tombe pas dans le piège, et une fois qu’il a décliné les offres de l’adversaire, tout rentre dans l’ordre, comme vient le calme après la tempête : des anges s’approchent de lui et le servent.

Ce sont d’autres anges que l’adversaire.

Car il est lui aussi un ange. C’est d’ailleurs pourquoi il refuse toujours la réalité. Ainsi il propose à Jésus de transformer les pierres en pains comme un alchimiste qui chercherait à changer le plomb en or, ou encore il veut l’emmener sans transition du désert au Temple de Jérusalem pour nier la loi de la gravité, ou enfin il lui offre dans l’instant tous les royaumes de la terre, alors que l’action politique œuvre dans le temps.

Tout cela relève de la pensée magique. La foi, quant à elle, tient compte de la réalité.

Ce texte nous invite à un combat qui ne consistera pas à instrumentaliser Dieu, même avec des objectifs louables. Jésus nous montre comment garder le cap en maintenant notre unité intérieure grâce aux Ecritures, que nous lirons avec l’éclairage de l’Esprit saint.

Amen

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