Matthieu 4, 12-23 – Continuité et rupture

 

Pasteur Bernard Mourou

Jésus s’est fait baptiser par Jean. Il est devenu son disciple. Et voici que l’impensable survient : Jean est arrêté et emprisonné.

Il ne fait aucun doute que Jésus, comme les autres disciples de Jean, s’en trouve profondément affecté. Il vit là sa première déconvenue.

C’est dans ce contexte plutôt sombre il faut bien le dire, que Jésus commence son propre ministère. Nous voyons que d’un mal peut sortir un bien.

Mais Jésus ne cherche pas les difficultés pour autant. Il aurait pu rester dans cette Judée hostile, mais non : il retourne dans sa Galilée.

En allant en Galilée, Jésus se démarque du judaïsme officiel. Dans cette région éloignée de Jérusalem vivent des populations mélangées qui pratiquent une religion abâtardie.

Il ne va toutefois pas à Nazareth, le village qui l’a vu grandir, mais à trente kilomètres de là, au Nord-Est, sur le lac de Tibériade, dans le village de Capharnaüm.

Une des raisons de ce choix est certainement l’emplacement favorable de cette localité. C’est un lieu de passage, plus propice aux rencontres.

On voit déjà là une première ouverture à l’universel, qui trouvera plus tard son plein accomplissement avec l’annonce de l’Evangile faite aux païens.

C’est la pêche qui est la principale ressource de toutes ces bourgades situées au bord du lac. Les premiers disciples de Jésus exercent tout naturellement cette activité, qui à l’époque était plus lucrative que l’agriculture.

Ce sont Pierre, André, Jacques et Jean, des gens ordinaires, ni religieux ni mécréants, ni intellectuels ni incultes, ni riches ni pauvres.

En fait, les quatre premiers disciples de Jésus ne se différencient pas vraiment des autres habitants. Ce qui va les distinguer, c’est l’appel qu’il leur adresse et auquel ils vont répondre sans délai. Ils laissent en effet leur activité quotidienne sans état d’âme pour le suivre.

Dans un premier temps, Jésus reste fidèle au message extrêmement simple de Jean-Baptiste : Convertissez-vous. 

Pourtant son ministère va se révéler rapidement très différent.

Car Jésus opère quatre ruptures avec Jean-Baptiste.

  • D’abord, au lieu d’attendre que les gens viennent à lui pour témoigner de leur repentance, il prend l’initiative d’aller appeler ses disciples ; c’est aussi une rupture avec le judaïsme traditionnel, où c’était le disciple qui choisissait son maître ; mais cela correspond à la réalité spirituelle : notre foi ne dépend pas de nous, de ce que nous décidons, c’est le Christ qui nous a d’abord appelés dans notre quotidien comme il l’a fait avec Pierre, André, Jacques et Jean ;
  • Ensuite – deuxième rupture – alors que Jean-Baptiste occupe un lieu fixe : les rives du Jourdain, Jésus se déplace ;
  • puis – troisième rupture – Jésus enseigne au lieu de se contenter d’exhorter ; il le fait avant tout dans les synagogues, ces lieux d’étude que l’on trouvait dans chaque localité où il y avait plus de dix hommes pratiquants ; par-là, il montre que la repentance n’est pas suffisante car elle doit être suivie d’un accompagnement spirituel et théologique ;
  • et enfin – quatrième rupture – il guérit les malades qui viennent à lui ; il montre ainsi que l’être humain est un tout et qu’on ne peut pas séparer le spirituel du physique.

Donc, si Jésus commence par dire comme Jean-Baptiste Convertissez-vous, très vite il se démarque de lui en procédant lui-même au choix de ses disciples, en se déplaçant dans le pays, en dispensant un enseignement et en opérant des guérisons.

Il s’inscrit dans une filiation, celle de Jean-Baptiste, et en même temps il fait une œuvre radicalement nouvelle. Jésus est à la fois dans la continuité et dans la rupture, de même qu’un artiste commence par copier ceux qu’il admire avant de développer son style propre.

Ce qui a été vrai pour Jésus l’est aussi pour nous. On ne se fait pas tout seul. Ceux qui le prétendent sont soit des ingrats soit des imposteurs. Le concept américain de « self-made man » ne correspond à rien.

Nous avons tous besoin des autres pour devenir nous-mêmes et exprimer notre individualité, cette petite note que nous sommes les seuls à pouvoir jouer.

Dans la crise de nos sociétés, qui n’épargne pas nos Eglises, il y a certainement des choses à changer. Mais avant cela, il faudrait d’abord que nous nous montrions capables de prendre en considération ceux qui nous ont précédés et l’héritage qu’il nous ont transmis.

Et alors la seule attitude possible sera la reconnaissance pour tout ce que nous avons reçu des générations précédentes.

Une fois que nous aurons pris conscience de tout ce qui nous a été transmis, nous pourrons nous approprier à notre manière cet héritage. C’est la condition pour être en mesure de poursuivre l’aventure, car on ne construit pas sur du vide.

Amen

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