Matthieu 5, 38-48 – Moi je vous dis

 

Pasteur Bernard Mourou

Notre passage d’aujourd’hui est un court extrait provenant d’un ensemble qui couvre trois chapitres et que nous appelons le « Sermon sur la montagne ».

Jésus s’est émancipé de Jean-Baptiste, dont il était le disciple. Celui qui est considéré comme le dernier prophète de l’Ancienne alliance prônait un retour à la Loi. Ici Jésus va plus loin que lui. Il ne dit pas seulement Vous avez appris qu’il a été dit, il continue en ajoutant : mais moi je vous dis. Ce faisant, il va jusqu’au bout de la Loi, sans éluder tout ce que cela implique.

Tout au long de ce long discours propre à Matthieu, Jésus s’adresse à ses disciples. Il fait appel à leur connaissance des Ecritures et de la Loi, car il leur dit à cinq reprises : Vous avez appris qu’il a été dit.

Le passage retenu pour ce dimanche contient deux de ces cinq occurrences. Elles sont assorties de deux exemples concrets.

Si nous comprenons le propos de Jésus dans ce court passage, nous pénétrerons le principe qui anime tout le Sermon sur la montagne.

Œil pour œil, dent pour dent : cette expression qui nous est devenue familière se réfère au livre du Lévitique. Un passage similaire mais plus exhaustif figure aussi dans le livre de l’Exode : Tu paieras vie pour vie, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. C’est ce qu’on appelle communément la loi du talion.

Il ne faut pas y voir de la cruauté, mais au contraire une protection du coupable dans une époque sans pitié : la Loi empêche que la punition soit plus forte que le préjudice, comme cela peut arriver quand on donne libre cours à ses sentiments de vengeance.

La Loi allait donc dans le bon sens. Cela étant, Jésus va encore plus loin, il la dépasse.

Pour ce faire, il donne à ses disciples trois exemples concrets, pour qu’ils puissent adéquatement se représenter les choses :

  • le premier exemple, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre, a été souvent tourné en ridicule ;
  • le deuxième, si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau, est aussi radical que le premier, parce que la tunique à cette époque était ce que l’on portait sous le manteau, dans ces conditions donner sa tunique revient à se retrouver complètement nu ;
  • le troisième, si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui, reprend une pratique de l’armée, qui pouvait pour un temps réquisitionner quelqu’un quand elle le jugeait bon.

Ces trois exemples nous font comprendre concrètement ce que signifie ce dépassement de la Loi que propose Jésus.

Dans tous ces exemples, celui qui subit un préjudice ou une frustration propose de lui-même d’aller plus loin. En cela, il montre sa liberté et sa supériorité sur l’auteur de sa contrariété. En effet, dès lors qu’il décide par lui-même, il n’est plus le jouet des circonstances, il devient le maître du jeu, il quitte son statut de victime et prend de la hauteur par rapport à la situation.

Passons maintenant au second point.

Il est un peu différent du premier car ici nous n’avons pas affaire à une citation rigoureuse. Jésus dit à ses disciples : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Or seule la première partie de la phrase est une citation des Ecritures. Elle vient elle aussi du Lévitique. Quant à l’injonction Tu haïras ton ennemi, on ne la trouve nulle part dans la Bible hébraïque.

Cela étant, de nombreux récits des Ecritures pouvaient être interprétés de cette manière. On peut penser que Jésus, en bon communicateur, transcrit ici, en la reformulant, la pensée de ses contemporains. Il résume la pensée générale pour mieux montrer son caractère insensé.

Pour aller plus loin, Jésus invite ses disciples à se détacher de leurs affects. Ce détachement leur permettra de ne plus haïr leurs ennemis, mais de les aimer, de la même manière que son Père ne modèle pas son attitude sur le comportement des êtres humains, en ne traitant pas différemment les méchants et les bons, en montrant en quelque sorte une égalité d’humeur, pour employer une formulation humaine. C’est un fait et nous pouvons le constater tous les jours : la nature dispense ses bienfaits à tous.

La Loi était bonne et Jésus a un discours qui l’est encore plus.

La Loi permettait un fonctionnement de la société le plus harmonieux possible. Le Sermon sur la montagne, quant à lui, va plus loin : il nous exhorte à être parfait comme Dieu lui-même.

Est-ce possible ?

C’est là qu’il est bon de discerner le principe fondamental qui anime le Sermon sur la montagne.

Car il y a une clef. Elle se trouve à la fin de notre passage : Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Dans le même ordre d’idées, cinq chapitres plus loin dans ce même évangile, Jésus dira : Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement !

Tout est là. En convoquant la question de la récompense et du mérite, Jésus rappelle à ses disciples que l’économie de l’Evangile, c’est la gratuité. Elle signifie qu’il n’y a pas de contrepartie de notre part. Pour reprendre l’expression consacrée des Réformateurs, c’est le principe de la grâce seule, Sola Gratia.

Amen

 

 

 

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