La création n’est pas à vendre !

«  La création n’est pas à vendre » : Jolie formule pour la une d’un journal, bel effet de plateau de télévision, excellente accroche publicitaire, magnifique slogan politique, mais formule a priori vide de sens. Qui pourrait vendre la création ? Qui pourrait, qui voudrait l’acheter ? Et pourtant, à y regarder de plus près, acheter n’est-ce pas vouloir posséder ? Et de tout temps, l’homme n’est-il pas mu par un désir insatiable de posséder ? De posséder un champ, une terre, un pays, un empire, le monde, l’univers, et enfin la création ? Tel le docteur Faust vendant son âme à Méphistophélès en échange de la jouissance des biens terrestres, il est prêt à tout sacrifier pour posséder l’inaccessible étoile.

Rousseau prétendait que le malheur des hommes commença le jour où l’un d’entre eux eut l’idée de planter une clôture et de déclarer : « Ici est ma terre ». Nos ancêtres étaient nomades. Ils vivaient de cueillette et de chasse et ne connaissaient pas la propriété. C’est le cas encore des populations nomades actuelles à qui nous refusons le droit de vivre. Parce que nous avons acheté la création ? Il convient bien sûr de dépasser ce « mythe du bon sauvage ». Rien ne prouve que ce soit la sédentarité qui est la cause de nos malheurs. Cette idée vient d’ailleurs contredire un autre mythe, celui porté par les chrétiens, du péché originel. Mais tout de même, cette avidité de posséder toujours plus et sans frein est, sans doute, la cause de bien de nos dérèglements. On essaya d’abord la force pour conquérir le monde. Souvenez-vous : Pharaon, Nabuchodonosor et la Babylone antique, le grand Cyrus et l’empire Perse, puis, Alexandre le Grand, le grec, César le romain, Charlemagne le franc, Gengis Khan le mongol, Charles Quint le romain germanique, Napoléon le français. La découverte du nouveau monde fut l’occasion d’anéantir les populations amérindiennes nomades, restées proches de la nature. Puis ce fut la colonisation de l’Afrique, de l’Inde et du sud-est asiatique.

 

Enfin, cette période d’expansionnisme par la force se termina en apocalypse, avec les deux derniers conflits mondiaux. Alors on se dit que ce qu’on n’obtenait pas par la force, on l’obtiendrait plus sournoisement par l’argent, avec les apparences de la légitimité. Aujourd’hui, tout se vend, tout s’achète, le droit de prospecter le sous-sol, la mer, les montagnes, les pôles, le droit de polluer, le droit de voir la mer, de mettre sa serviette sur la plage. On peut s’acheter un enfant, une mère porteuse, on peut s’offrir une île et un voyage dans l’espace. A quand la facture pour le droit de respirer ?

La science avec Darwin et les philosophes, dont notamment Spinoza puis Nietzsche, nous disent que toute espèce vivante est mue par une force ou une puissance de vie qui la pousserait à se développer au détriment des autres. C’est le fameux combat pour la vie. Mais l’homme est la seule espèce sur la terre douée d’une conscience élaborée. Cela lui donne peut-être la responsabilité de veiller à la création, à son équilibre et à l’harmonie du « vivre ensemble ».

Je suis propriétaire, comme certains d’entre vous sans doute. J’ai cédé, moi aussi, à la pulsion de posséder. J’ai acheté, certes, un petit terrain. Mais je sais qu’en réalité je n’en suis que le dépositaire provisoire et qu’il me faudra le préserver et le restituer, si possible, dans un meilleur état que je ne l’ai trouvé. Aussi, je dis avec Martin Luther : « Si l’on me disait que demain, je vais mourir, je planterais quand même un arbre aujourd’hui ». Peut-être est-ce une façon facile de me défausser ? Chacun appréciera.

Non, la création n’est pas à vendre, nous en sommes partie intégrante. Et on ne peut pas se vendre soi-même, cela s’appellerait de la prostitution. Alors jouissons gratuitement du sublime spectacle de l’univers, le temps qui nous est donné de vivre.  

 

Daniel Leclercq

 

 

Contact