8 septembre 2019 – Simplement par amour – Luc 14, v. 25-33 – J. Alexandre

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Texte biblique (Traduction œcuménique de la Bible)

Luc 14, v. 25-33
25 Une foule de gens faisait route avec Jésus. Il se retourna et dit à tous :
26 « Celui qui vient à moi doit me faire passer avant son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre personne. Sinon, il ne peut pas être mon disciple.
27 Celui qui ne porte pas sa croix pour me suivre ne peut pas être mon disciple.
28 Si l’un de vous veut construire une tour, il s’assied d’abord pour calculer la dépense et voir s’il a assez d’argent pour achever le travail.
29 Autrement, s’il pose les fondations sans être en mesure d’achever la tour, tous ceux qui verront cela se mettront à rire de lui
30 en disant : “En voilà un qui a commencé de construire mais qui a été incapable d’achever le travail !”
31 De même, si un roi veut partir en guerre contre un autre roi, il s’assied d’abord pour examiner s’il peut, avec 10 000 soldats, affronter son adversaire qui marche contre lui avec 20 000 soldats.
32 S’il ne le peut pas, il envoie des messagers à l’autre roi, pendant qu’il est encore loin, pour lui demander ses conditions de paix.
33 Ainsi donc, ajouta Jésus, aucun de vous ne peut être mon disciple s’il ne renonce pas à tout ce qu’il possède.

Prédication – Simplement par amour

« Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, son épouse et ses enfants, ses frères et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. » Quelle phrase étonnante ! Et choquante…
Bien sûr, il faut se souvenir de la circonstance dans laquelle Jésus prononce ces paroles : il est en marche vers Jérusalem pour y être trahi, condamné, subir le martyre et mourir. Alors il prévient : « Vous voulez me suivre ? demande-t-il à cette foule qui l’accompagne, eh bien sachez quel sera le prix à payer ! Il vous faudra haïr les vôtres… »

Cependant, peut-on se dire, même dans une telle circonstance, pourquoi ne doit-on pas aimer ceux que l’on est pourtant censé aimer ? Ne peut-on pas, justement, mourir pour l’amour des siens ? Alors on butte sur cette parole, elle scandalise.

Toutefois, je ferai une première remarque : au lieu de les haïr, expression dont le sens est très fort, on peut comprendre aussi, en passant par l’araméen, la langue de Jésus, qu’il s’agit, de façon un peu moins directe, de les rejeter. Ce n’est pas une question de sentiments, mais de comportement.

Mais surtout, seconde remarque, il faut voir que, comme souvent dans les Écritures, il faut aller au bout de l’histoire pour comprendre ce qui semblait incompréhensible et inacceptable. C’est pourquoi j’aime cette sentence de l’Ecclésiaste : « Le bon d’une parole est dans sa fin ».
Elle est éclairante, cette remarque, parce qu’elle parle de la visée d’une parole, du but vers lequel elle conduit l’auditeur. Or ici, le mot de la fin parle de renoncement à toute possession : « Celui de vous qui ne renonce pas à toute possession ne peut pas être mon disciple… »

Ce n’était donc pas les gens que l’on aime qu’il fallait haïr, ou repousser, mais la manière que l’on avait de les aimer. Ce qui vous était dit, c’était de ne pas aimer ce qui est pour vous une possession, ni surtout ceux qui sont pour vous une possession. Un bien. Père, mère, épouse, enfants, frères et sœurs vus comme des propriétés…

Ce dont il s’agit, c’est de ne pas aimer la possession de cela ou de ceux-là. C’est alors à soi en tant que possesseur que l’on va renoncer. Les gens, même ceux que vous aimez, surtout ceux que vous aimez, ne sont pas à vous.

Plus encore : tant que vous tenez à eux de cette manière possessive, comme s’ils vous appartenaient, ils vous empêchent d’avancer. Il faut aimer, il ne faut pas s’attacher, du moins au sens de s’accrocher. Les autres sont eux-mêmes, avant d’être liés à vous. Tant que vous n’avez pas accepté cela, vous ne pouvez pas avancer vous-même sur le chemin qui vous est présenté. Cela est vrai en toute circonstance. Cela donne à chacun toute sa dignité, sa responsabilité. À ceux que vous aimez, mais aussi à vous, qui vous libérez ainsi d’une fausse responsabilité.

C’est la première chose que je voulais vous dire : pour avancer avec Jésus, il convient de se dépouiller de sa propre volonté de posséder. Voire de se posséder soi-même.

Vous voici donc alors sur votre propre chemin. Et dans le récit de la marche de Jésus vers la mort, ce chemin consiste à accepter, ou non, de monter jusque là à sa suite. Se départir de soi jusqu’à donner sa vie. Totalement. Voilà le programme : vous suivez Jésus, et par conséquent vous laissez aller les vôtres.

Socialement, tout de même, c’est un saut dans le vide ! Que sont devenus ces prochains pour celui qui suivait Jésus sur les routes de Galilée ou de Judée ? Que pensait l’épouse de Pierre, par exemple, de tout cela ?

Toute une conception de la société d’alors est remise en question, celle qui pensait qu’un être humain est totalement attaché à son groupe, dépendant de lui. Comme le chaînon indispensable d’une lignée, le partenaire obligé d’un contrat de dépendance mutuelle, d’un devoir de solidarité.

Ces sociétés traditionnelles sont terriblement exigeantes à l’égard de leurs membres. Ceux-ci sont liés, dépendants, certes, mais c’est justement cela qui fait leur existence, le sens de leur vie.

Et voilà qu’on vous demande de choisir une liberté de la relation, où chacun est ce qu’il est, librement, face à l’autre. Où les liens nés des histoires vécues ensemble, ce que les Écritures appellent souvent la chair, n’emprisonnent pas, n’obligent pas. Où, cas limite, tu peux donc partir, tout laisser…

Ce choix à faire était d’autant plus exigeant que Jésus s’adressait aux foules qui le suivaient. Or le terme de foule, dans les évangiles, désigne un agrégat de pauvres gens dépourvus d’espoir, des paumés à qui il ne reste souvent, dans la vie, que les quelques personnes à qui ils sont attachés et qui leur sont attachées.

Des foules perdues. Demandez à une personne qui, aujourd’hui, vit dans la rue, d’abandonner son chien afin d’obtenir un logement, et vous comprendrez, à son refus, ce que cela veut dire pour celui qui n’a rien et qui n’est rien, de se passer en plus des siens.

Cela m’amène à la deuxième chose que je voulais vous dire : on n’est pas obligé de s’infliger cela, de sortir de la famille, du clan, de la tribu, de la foule, on peut ne pas aimer le messie à ce point. Mais faire semblant, non, cela ne se peut, et c’est bien ce qu’il dit à ces foules enthousiastes qui le suivent, lui qui s’avance, ayant durci sa face, comme l’écrit Luc, vers le sacrifice qui l’attend.

Mais voici la troisième chose : tout cela me pose question. J’ai l’impression qu’au fond, il ne demande pas tant que cela à avoir de nombreux suiveurs, le Jésus de Luc. Qu’il ne croit pas trop cela possible. Ni souhaitable. C’est sans doute qu’au moment où ce récit est écrit, au temps où les chrétiens sont durement persécutés, il s’adresse à des gens, à des communautés qui se trouvent réellement devant ce choix : le retrait, voire le reniement, ou la croix.

Oui, j’ai l’impression qu’il préfère y aller tout seul, à ce moment-là, Jésus. Et pourquoi pas, après tout, car rien dans ses paroles ne semble indiquer que celui ou celle qui le suivrait jusqu’au bout y gagnerait quoi que ce soit, pas même son salut éternel. Seul jouerait pour eux le désir de le suivre. Simplement par amour.

Car une seule croix suffit, a suffi, on peut en être certain. Certain alors que rien ne soit à gagner, pour nous, que nous ne soyons pas alors dans le calcul. Et que le programme offert au croyant, à la croyante, soit l’amour de celui-là, le Fils qui se donne à tous sans rien leur demander. Et alors, jusqu’où allez-vous le suivre ?

À chacun de le dire pour soi. Sachant qu’il suffit de l’aimer selon la mesure qui nous est donnée. Il ne nous est demandé aucun sacrifice. Sauf, bien sûr, celui que l’on fera un jour ou l’autre sans y penser, juste pour ceux que l’on aime.

La question, pour nous, est de mener simplement notre vie, notre vie sauvée à grand prix, en communion avec Celui qui a tout donné.

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