BàBâR : les textes de Christian

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Du Deutéronome à 1 et 2 Rois / Suite 2

TEXTE 3

Texte du 16 octobre 2020

                Quelles peuvent bien être les raisons les plus profondes des écrits deutéronomiques et des livres autour desquels il s’articulent (de la Genèse à 2 Rois) ?

                Non pas les raisons culturelles, historiques, les événements, les faits et gestes, les pensées et les croyances, les us et les coutumes, les influences politiques et religieuses, toutes ces choses qui motivent et contextualisent la fondation d’un peuple et explicitent les péripéties de son installation et de son institution, raisons que l’on met généralement en avant lorsque l’on aborde ce genre de sujet.

                Mais des raisons plus profondes, moins académiques, moins formelles. Autrement dit quels en sont  les ressorts existentiels, psychologiques, je dirai tripales,charnels, intimes : comment et pourquoi la vie d’un peuple se met à palpiter comme cela, d’une telle manière en tous les cas que l’on ne peut en parler que de façon compliquée, non parce qu’elle manquerait d’évidence et de vraie motivation mais parce que cela viendrait de si profond – ou de si haut – et que cela dispenserait tant de richesses que l’on ne peut en être que tout remué, hésitant, bégayeurs, contradictoires…

                Des raisons plus profondes donc, qu’il nous faut pourtant chercher encore dessous – dessus – dedans les textes et leurs étrangetés, leurs sinuosités, les questions qu’ils nous posent, aussi cette impression que tout en ressemblant – même de loin – à ce que nous vivons aujourd’hui, il s’agit néanmoins de tout autre chose, de plus grand, de plus riche, de plus beau… pour y découvrir ne serait-ce qu’un tout petit peu plus, un tout petit peu mieux non pas ce qu’est Dieu en soi – il n’y a rien d’essentiel à connaître son essence – mais ce qui anime Dieu devant nous,  ce que fait le Dieu – de ces textes là – avec nous, pour nous comme pour tous et toutes. (1)

    1. Premier niveau :

                L’extrême diversité et complexité de cet ensemble de livres, aux genres et thèmes si différents,  dont la cohérence pourtant réelle est traversée de tant d’écarts et d’oppositions, se comprend si l’on se souvient constamment qu’il s’agit rien moins que conter la création d’un peuple ! De lui donner des fondations solides et de une perspective historique plausible.

                Il s’agit donc bien de (la) création à proprement parlé, la création de ce peuple se fondant sur la Création elle-même (Genèse) et  s’ouvrant sur une histoire légendaire (à partir de l’Exode) avant que de devenir plus triviale (livres historiques). Il est compréhensible dès lors que, connaissant le degré d’investissement de ce Dieu (et à ce premier niveau déjà  cela nous révèle quelque chose de lui, de ce qu’il est et fait) et l’importance des attentes et exigences de ce peuple, il y ait autant  d’approches, de points de vue, de confrontations, et aussi de contradictions.

    1. Deuxième niveau :

                Creusons davantage et nous voyons l’extrême fragilité et précarité de ce tout petit peuple, que l’on dirait fait de bric et de broc, venant de divers horizons, traditions, religions, avec sa difficulté à émerger, à naître et à exister dans des milieux souvent hostiles, mais arrivant tout de même à se reconnaître et à se composer, à se constituer au travers d’un même Dieu (El) ou de mêmes Dieux (Elohim), d’un même corpus de croyances et d’usages pourtant disparates, fragilité et précarité dont il faut là encore constamment se souvenir.

                Parce qu’elle nous révèle, en creux ou contrecoup, que le Dieu biblique est conditionné moins par la grandeur spectaculaire du peuple auquel il pourrait être allié (Alliance) et avec lequel il passerait contrat (Loi) – c’est quand même autre chose d’être le dieu des Egyptiens, des Babyloniens, des Ninivites ou des Perses – que par la qualité des relations établies et entretenues serait-ce avec un tout petit peuple avec qui ces relations ne vont pas toujours de soi, mais qui ont au moins le mérite de témoigner – en creux ou contrecoup – de la véracité de son engagement, de sa faveur et de sa fidélité.     

    1. Troisième niveau :

                Mais creusons encore davantage et voyons ce qui se cache et qui pourrait se dévoiler au tréfonds de cet ensemble de livres et, comme nous l’avons relevé la semaine dernière, les nuances et divergences qui se glissent jusqu’à l’intérieur d’un même courant d’idées (deutéronomiste par exemple), mais aussi, de façon plus générale la multiplicité des genres, des styles littéraires comme des modes d’interventions divines, puis des réactions ou prises de positions humaines, et puis encore cette façon aussi de reprendre, de retravailler et de donner plusieurs sources à ce qui s’est passé, à ce qui a été déjà pensé, toutes choses qui distinguent cet ensemble de livres (2) de tant d’autres métarécits (mythes, légendes, épopées, histoires des origines) également très riches mais souvent plus directs, plus évidents peut-être, en tous les cas plus « concentrés » tels le Sutra du Lotus (zen) ou Le Coran…

                Et découvrons ensemble la raison profonde, la raison « première » qui est sans doute de « penser Dieu comme pansant » (3), de rendre compte autant que possible de l’attention et du souci du Dieu – de ces livres – pour les siens et pour les autres, le Dieu qui prend soin (ce que veut dire Raphaël) des siens et des autres, le Dieu pour qui la création, la libération, les miracles, la transfiguration… et la résurrection sont synonymes – non de sa puissance et de sa gloire pour soi, mais de guérison des petits, des souffrants, de tous et toutes en vérité !  

______________

(1) Pour nous y encourager en quelque sorte, je citerai ce passage de Modes de pensé (Vrin 2004, p.104-105) du philosophe britannique Alfred North Whitehead que je vous lisais la semaine dernière :

Nous avons besoin de comprendre comment l’unité de l’univers exige sa multiplicité.

Nous avons besoin de comprendre comment l’infini exige le fini.

Nous avons besoin de comprendre comment chaque existence immédiatement présente exige son passé… et exige son futur, facteur essentiel  de sa propre existence.

Nous avons aussi besoin de comprendre comment un simple état de fait refuse d’être dépouillé de sa pertinence vis-à-vis de potentialités au-delà de sa propre actualité de réalisation.

      Dans cet esprit là mais sous une toute autre forme, ce poème/prière d’Achik Pacha (derviche de Khorrassan, 1272-1333)

Viens, ô coeur, parle-nous de l’âme et de l’amour

De cette visible source de mystère, parle-nous.

Ferme tes yeux, tiens ta langue, efface-toi

Ne dis rien, n’entends rien, de ta contemplation parle-nous.

Tu as été aimé, tu as été créé dans cet univers

Quel est celui qui aime, de lui parle-nous.

Par amour ils ont fait l’homme, qui fut poussière

Du savoir qui le refait terre, parle-nous.

Trouve ton Maître et meurs avant que de mourir

Avance, ô Achik, de ce sens parle-nous.                                              

(2) A l’enseigne de toute la Bible au demeurant.

(3) Je tire cette formule du titre du beau livre (chez Les Liens qui Libèrent éditeur, 2 tomes 2018 et 2 2020) : Qu’appelle-t-on panser ? du philosophe Bernard Stiegler disparu récemment.

 

 TEXTE 2

Du Deutéronome à 1 et 2 Rois / Suite 1

Texte du 9 octobre 2020

                Pour les Juifs, David est à bien des égards l’idéal du roi, le pendant historique et patriotique d’un Moïse mythologique et  pérégrinant. Cependant, Salomon prétendument plus sage, plus pacifique, mais surtout parce qu’il est le bâtisseur du Temple, ressort aux yeux principalement des Deutéronomistes attachés aux modèles politico-religieux des Ninivites et plus encore des Perses dont les monarques étaient d’abord réputés pour êtres des  restaurateurs ou des bâtisseurs d’édifices religieux , comme l’idéal accompli du roi.

               

                1 Rois 8 est, dans cette perspective, le point d’orgue du règne de Salomon (les choses vont vite changer) et des conceptions politiques (centralisatrices) et religieuses  (ultra-monothéistes) des Deutéronomistes (en particulier tels qu’ils se révèlent dans le Deutéronome). Si l’on regarde d’un peu près ce chapitre, on remarquera en effet qu’il est rédigé moins comme un compte-rendu ou une relation de faits que comme une véritable liturgie, ce qui évidemment sied aux Deutéronomistes et à leurs « maîtres » mésopotamiens :

                – Dépose dans le Temple du Coffre de l’Alliance (8/1-13)

                – Consécration du Temple (8/14-21)

                – Prière solennelle de Salomon (8/22-53)

                – Assortie d’une exhortation (8/61), bénédiction du peuple (8/24-60)

                – Sacrifices offerts au Seigneurs et festivités (8/62-66)

               

                Mais, si les Deutéronomistes ont marqué de leur empreinte toute cette histoire (qu’elle soit mythique ou plus historique) que nous content ce grand ensemble de livres qui vont de la Genèse à 1-2 Rois, il y a bien des nuances sinon plus entre eux, et au coeur même de chacun d’entre eux. Pas seulement parce qu’ils se rapportent à des sujets fort différents, qui ceci dit sont souvent comparés et rapprochés (Exode-Exil par exemple), mais parce qu’ils ne sont pas toujours d’accords sur un même sujet.

               

                Ainsi, au coeur même de ce chapitre 8 aux accents éminemment deutéronomiste, trouve-t-on des dissonances délibérées qui témoignent des différences et des tensions qui ont existé entre les différents protagonistes, et  qui rappellent que 1-2 Rois (à l’instar des autres livre de ce bel ensemble) ont leur propre rationalité. Toujours est-il, nous allons le voir, que d’autres conceptions, politiques et religieuses, souvent des plus intéressantes, s’y font  ouvertement entendre.

                Les versets 27 et suivants qui affirment que Dieu n’habite point le Temple, quoiqu’il le signe de son nom et s’y investit, ni la terre, ni non plus le ciel (et le « ciel du ciel », l’univers), ce qui signifie sans doute qu’il est plus grand (d’une autre essence, d’une autre qualité), qu’il est partout, qu’il concerne l’ensemble de ce qui est, et au-delà, qu’il n’appartient à personne et n’est vraiment représenté par personne (ni politique ni religieux), ces versets donc témoignent qu’il est aussi bien avec toutes et tous, pour toutes et tous.

                Mais alors que Deutéronome 26/15 se prolonge en 16-19 : le Seigneur a fait promettre (à son peuple) qu’il est son bien propre… qu’il place haut en honneur, en renom, en splendeur, bien au-dessus de toutes les nations,  les versets  27 et suivants de 1 Rois 8 se prolongent eux en 41-45 : De même pour l’étranger, celui qui n’est pas d’Israël, ton peuple, quand il viendra d’un pays lointain… tu accorderas à l’étranger tout ce pour quoi il t’a invoqué, afin que tous te connaissent… comme Israël ton peuple.

               

                Comme le souligne – exemple parmi bien d’autres – Josué 3-4 en particulier les versets 11-12 où l’arche de l’alliance devient l’arche du traité du Seigneur de toute la terre,  il semble que la rédaction monothéiste (et par conséquent que les convictions monothéistes) des livres historiques (Josué, Juges, Samuel, Rois) est sensiblement moins appuyée que dans le livre du Deutéronome, la clef de voûte du grand ensemble que nous décrivions la semaine dernière se rapprocherait plutôt des livres sacerdotaux, dont le livre du Lévitique, comme par ailleurs  les livres de Josué et  des Juges peuvent être comptés parmi les (petits) prophètes.

 TEXTE 1

Du Deutéronome à 1 et 2 Rois

Texte du 2 octobre 2020

                On ne peut aborder, me semble-t-il, les livres des Rois sans les replacer dans une perspective sensiblement plus large, sans les lier non seulement aux livres dits historiques (Josué, Juges, Samuel surtout), mais également aux livres du Pentateuque desquels ils seraient comme les pendants, et où le livre du Deutéronome, comme nous l’avions relevé lors d’une étude précédente, serait en quelque sorte une «clef de voûte» placée sur deux «piliers» :

– le premier étant les 4 premiers livres du Pentateuque (qui sont les métarécits, les Mythes fondateurs),

– le second : Josué, Juges, Samuel 1 et 2, Rois 1 et 2 (qui eux sont des récits historiques).

Le Deutéronome est une articulation, une transition, en montrant comment prend forme, s’incarne le projet de Dieu (décrit par les livres du Pentateuque) dans  l’histoire, le vivant (décrit par les livres « historiques »).

               

                Il vient ce faisant expliquer un changement de « politique religieuse » en démontrant qu’il n’y a pas opposition mais bien continuité dans l’oeuvre de Dieu entre les quarante années au désert souvent fantasmé comme le modèle même des relations avec Dieu, où le peuple était sensé s’abandonner complètement à Dieu, et l’installation dans la Terre Promise, et tous les besoins qui vont avec, jusqu’à celui de se donner une autorité humaine propre, les Juges, des Rois, et tout un système politique qui représentent une relative autonomie et même une prise de distance du peuple par rapport à son Dieu. D’où le besoin chez le Deutéronome de montre que non ! on est toujours dans la même logique.

                A savoir que Dieu continue d’être toujours aussi présent pour son peuple, ce que confirme le fait que la Loi donnée lors de l’Exode, le soit également lors de l’Exil ! Seulement, la Loi divine, au lieu d’être donnée directement par Dieu, doit désormais trouver un écho, une traduction au travers de la loi des hommes.

 

                Reprenant l’image de la «clef de voûte» et des deux «piliers», et la symétrie qui en ressort, on notera que les livres des Rois (il serait judicieux de commencer dès 1 Samuel 10 !) qui représenteraient en quelque sorte la base du second pilier, correspondent au livre de la Genèse (prolongé jusqu’à Exode 18) qui serait la base du premier pilier :

                Les Rois seraient donc un vrai « Commencement », à l’instar de la Création et des prémices patriarcales. Il s’agit là encore d’une installation, d’une intronisation. Non plus seulement de la Terre ou de l’humain en général, mais d’un pays, d’un peuple précisément, avec ses traditions et ses structures propres, auraient-elles passablement copié celles des nations environnantes fréquentées de l’Exode à l’Exil.

            Un « Commencement » certes, avec ses symboles : l’humble Arche est devenue un Temple richement orné, avec ses personnages charismatiques : Saül, David, Salomon… Mais également toute une suite d’aléas, de difficultés et même de déchirements et de destructions : Caïn et Abel > Saül et David, Déluge > divisions en deux Royaumes, déportations et prise de Jérusalem…

                Un « Commencement » qui n’est décisif donc, que dans la mesure où il invite à se tourner vers le Dieu des ‘Commencements », le Dieu gracieux, toujours disposé à offrir de nouvelles opportunités, de nouvelles chances (!) et à sauver cette humanité qui est sa raison d’être.

                Ce n’est que cette lecture plus large qui peut permettre de comprendre 1 et 2 Rois autrement que comme des documents, comme des Bonnes Nouvelles d’un Dieu fidèle à son amour !

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