Bible Ensemble pour préparer la séance

Pour préparer la séance

Chinese depiction of Jesus and the rich man (Mark 10) – 1879, Beijing, China

Le jeune homme riche (Mc.10,17-27)

Pour Elian Cuvillier (L’évangile de Marc), Jésus indique au jeune homme ce qui lui manque encore : vendre tout ce qu’il possède, le donner aux pauvres et ensuite se mettre à sa suite. Il faut entendre cette exigence comme un changement non pas d’abord quantitatif mais qualitatif… Jusqu’ici, la logique de la Loi dans laquelle il avait été enseigné était une logique du raisonnable ; elle lui assurait une réussite sociale et financière, tout en lui permettant d’accomplir les ordonnances légales nécessaires : amour de Dieu et du prochain. Jusqu’ici, s’articulaient pour lui la vie devant le Dieu du commandement et la vie dans le monde. La Loi de Moïse lui assurait un équilibre stable entre ces deux pôles, dont chacun était assumé dans sa logique propre. Le prix à payer était une insatisfaction existentielle : la « vie éternelle » relève en effet d’une autre logique. Jésus brise l’équilibre fragile et insatisfaisant sur lequel l’homme a construit son existence : recevoir la vie en « héritage », c’est abandonner les « héritages » financiers, religieux et identitaires, au profit de la logique de la suivance du Christ, qui est sans contrepartie financière et en rupture avec les pratiques religieuses traditionnelles. C’est accepter de perdre sa vie dans ce monde pour la sauver dans le Règne à venir… C’est découvrir que sa vie [et donc le sens de sa vie] ne peut plus être construite sur un avoir matériel ou sur une tradition religieuse mais sur l’unique relation au Christ.

Le jeune homme riche avait réussi à trouver un équilibre dans sa vie, entre les différentes lois qu’il s’est données à lui-même pour entretenir cet équilibre. Sa vie tourne sans forcément besoin d’un sens quelconque, encore moins l’hypothèse d’un Dieu que lui dicterait un dogme ou une religion d’autorité. Il arrive à tout faire pour que cela tienne. Mais voilà que, sans doute à la suite d’un événement existentiel dans sa vie (deuil, perte, désespoir, désillusion), une brèche s’est ouverte et la question du sens s’est posée à lui : que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle ? L’Idée de la vie éternelle surgit chez Kant comme postulat permettant à l’humain d’espérer pouvoir dépasser les limites qui le rendent incapables d’accomplir dans ce monde le bien que lui oblige le devoir moral. Cette notion lui permet d’unifier et d’orienter ses actes en leur donnant un sens.

Il est vrai que, « si c’est seulement pour la vie dans ce monde que nous faisons confiance en Christ, nous sommes plus misérables que tous les hommes », comme le dit l’apôtre Paul (1Cor.15,16). En effet, pour trouver un équilibre de la vie dans ce monde, les non croyants arrivent parfois à faire mieux que les croyants, étant désembarrassés de l’hypothèse Dieu et des exigences que cette hypothèse demande. En revanche, un amour inconditionnel et gratuit qui nous précède, comme celui d’un Dieu Amour éternel par exemple, peut servir de fondement de notre être (cf. Paul Tillich Le courage d’être) et nous donner le courage de construire un sens, trouver une raison qui unifie l’ensemble des multiples facettes de notre existence.

Le sens de la vie, la raison d’être ou la finalité de l’existence est donc à construire ou à chercher, tandis que la grâce inconditionnelle de Dieu nous donne le courage de mener cette entreprise. L’humain peut vivre sans ressentir le besoin d’un tel sens (le stade esthétique de Søren Kierkegaard). Il peut aussi essayer de construire un sens sans besoin d’un amour inconditionnel (le stade éthique). Il peut encore le faire à l’aide des exigences d’un Dieu Juge qui sanctionne ceux qui n’y arrivent pas (le jeune homme riche ou le stade du religieux A). En revanche, ceux qui misent sur la grâce inconditionnelle (de l’Ultime, du fondement de l’être, du Dieu au-dessus de Dieu, de l’Eternel, du Dieu Père…) sont délivrés de la culpabilité de ne pas y arriver et peuvent pratiquer une religion morale (antireligieuse) : la foi les rend libres, seigneurs de toute chose ; mais ils choisissent librement de se mettre au service de tous, donnant le meilleur d’eux-mêmes, essayant d’être responsables en toute chose, se sachant pardonnés à l’avance même s’ils n’y arrivent pas.

Le sens de la vie pour les chercheurs spirituels

D’après les enquêtes du GERPSE (Groupe d’étude « recherche sur les pratiques spirituelles émergentes »), les chercheurs spirituels aspirent à « comprendre leur être profond, s’y relier » (71%) et « trouver un équilibre, trouver la paix, s’unifier » (70%).

  • La première renvoie à l’intime conviction que chacun est plus que ce qu’il réalise au moment présent. Profondeur est ici le mot clé : il existe un niveau de vérité de soi-même, souvent caché, toujours meilleur, dont la recherche personnelle et spirituelle permettrait de s’approcher.
  • La seconde renvoie à une représentation holiste de la personne, dont l’unité est le mot clé : face à une société qui empile les rôles remplis par chacun selon les moments ou selon les lieux, face à des conceptions qui cloisonnent les éléments constitutifs de la personne (le corps, l’esprit, etc.) les chercheurs spirituels pensent l’équilibre comme le fruit de la non-séparation.

J’entends parfois aujourd’hui que derrière les quêtes du sens se trouve une théologie naturelle immanentiste, sacralisant la nature, divinisant le moi, avec le risque de rejet de toute Parole extérieure et de toute transcendance. Il n’en est pas toujours ainsi.

Le récit de soi comme construction d’un sens de la vie

La question du sens, depuis Nietzsche, s’est posée à notre société. Chez Nietzsche, il n’y a pas de sens qui puisse unifier l’identité du sujet à travers ses diverses connaissances, émotions et volitions. Une telle identité n’est qu’une illusion substantialiste, selon lui.

Ricœur estime devoir compléter l’illusion substantialiste d’une identité unificatrice de nos multiples expériences dont Nietzsche parle. Pour cela, Ricœur propose de distinguer « l’identité au sens d’un même (mêmeté, idem) » et « l’identité comprise au sens d’un soi-même (ipse) ». Pour Ricœur, « la différence entre idem et ipse n’est autre que la différence entre une identité substantielle ou formelle et une identité narrative » (Temps et récit 3, Seuil 1981 p.442). Il s’agit ici d’une identité qui répond à la question : qui est l’auteur de telle action ?

Pour Henri Bois, comme pour Paul Ricœur, les croyances fournissent au sujet le langage qui lui permet de penser et de mettre des mots sur ce qu’il est en train de vivre, pendant l’expérience, et de mettre en récit ce qu’il a vécu, une fois que l’expérience est passée. Les croyances fournissent au sujet les mots pour se raconter. Le récit de soi permet au sujet de construire une identité narrative.

« L’autobiographie ou le récit de soi n’est pas le retour du réel passé, c’est la représentation de ce réel passé qui nous permet de nous réidentifier et de chercher la place sociale qui nous convient » aujourd’hui (Boris Cyrulnik). « C’est par l’activité de se raconter, de raconter son expérience, que le sujet se construit une identité qui l’inscrit dans un rapport à soi, au monde et aux autres. Avec la notion d’identité narrative, Ricœur propose une théorie narrative de l’identité personnelle. » (Orofiamma Informations sociales, vol. 145, no. 1, 2008)

L’ipséité, selon Ricœur, est « celle d’un soi instruit par les œuvres de la culture qu’il s’est appliquées à lui-même » (Ricœur Temps et récit 3, p.442). D’où l’importance des croyances et des convictions profondes, préalables au récit de soi constitutif de l’identité narrative.

Construire un sens de la vie, se donner à soi-même un sens actuel de sa propre vie, consiste donc à trouver des mots pour se raconter soi-même, pour unifier et orienter les multiples expériences et facettes de sa propre vie. Le sens ultime, lié à l’identité ultime sans cesse ressuscitée par la Parole de Dieu, est, lui, caché en Christ (Col.3,1-5), à l’abri des mites et des voleurs.

Le salut annoncé par les auteurs bibliques ne dépend pas de la réussite de cette entreprise, mais peut aider ceux qui se fient dans la grâce du Dieu qui offre le salut inconditionnel, à mener cette quête avec courage et détermination, et à construire un équilibre et une paix dans leur vivre ensemble.

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