Texte de Christian séance du 22 octobre 21

BàBR 2021-2022

LIVRE DES ACTES /ACTES 2/42-47 et 4/32-37 6. COMMUN – COMMUNAUTE

Intermède Pour prolonger nos réflexions entamées autour des Premières communautés (5e rencontre)

  1. Petit historique

Les premières communautés chrétiennes (principalement judéo-chrétiennes), ce faisant les débuts de l’Eglise, sont nombreuses à vivre effectivement en communauté, même si ce n’est peut-être pas toujours de manière aussi idéale que décrite par Luc dans son Livre des Actes (Cf. à ce sujet notre précédente rencontre).

Ces mises en commun, ces partages fraternels qui rendent éminemment témoignage d’un amour (du prochain) dont Jésus s’est fait le chantre, ressort aussi, il est important de le souligner, des pratiques, du mode de vie, de l’habitus des Juifs qui, aussi différents et dispersés (Diaspora) soient-ils se considèrent comme un seul peuple, le regroupement des (12) tribus, le rassemblement de toutes les familles que composent les descendant.e.s d’Abraham, Isaac et Jacob : chacune et chacun membres du HÂM (de l’hébreu elles, ils, eux, multitude), con-voqué.e.s par la Parole, amené.e.s à être ensemble (du verbe grec synagein qui a donné synagogue).

Si Jésus prend en compte chaque individu, s’intéresse à chacune et chacun en tant que personne propre, il ne perd jamais de vue, tant dans ses enseignements (Sermon sur la Montagne, Notre Père) que dans ses actions (Appel des 12 disciples, Multiplication des pains et poissons), la dimension collective et l’importance d’en rappeler les vertus. En particulier pour les individus traversant des circonstances difficiles accompagnement, aide, appui, attention, partage, réconfort, soutien. Ou de façon générale, pour nos sociétés trop souvent éclatées, fracturées, pour le moins mal agencées : acceptation des différences, accueil, respect, réconciliation, vivre ensemble.

  1. Question de vocabulaire… et déthique !

Dans notre langue le vous est le pluriel du tu, le ils-elles le pluriel du il-elle, mais le nous n’est pas véritablement ou en tous les cas pas seulement le pluriel du je. Il est par exemple l’indicateur du locuteur seul, non associé à d’autres personnes dans l’emploi dit de modestie comme dans celui de majesté, ou alors, plus tardivement, associé ou non à d’autres personnes, pour souligner l’affection, l’intérêt, la sympathie (Cf; Littré et Robert).

Le poète René Char, a cette belle formule dans Fenêtres dormantes et porte sur le toit

11 en faut un, il en faut deux, il en faut. Nul ne cède assez dubiquité pour être seul son contemporain souverain.

A laquelle le philosophe Paul Ricoeur fait écho dans Soi-même comme un autre

lAutre nest pas seulement la contrepartie du Même, mais (il) appartient à la constitution intime de son sens.

Et développe de façon imagée lors d’une conférence (La « figure » dans « LEtoile de la Rédemptions donnée en 1987 en hommage au philosophe et théologien juif Franz Rosenzweig C’est avec la Rédemption seulement que le soi a son Autre… Après le commencement figure de la Création, et lâme figure de la Révélation, des figures dun nouveau type suivent : des figures communautaires ; le Royaume en est son comble.

Une histoire, poursuit-il, est ainsi ouverte en avant dun nous et pour un nous… Ainsi progresse la grammaire des pronoms : du « II » de la Création et du récit, au « Je-Tu » de la Révélation et du dialogue, au « Nous » de la Rédemption et du Royaume… Nous sommes entrés dans le régime de la Croissance… (de) la constellation : multiplicité des prochains, naissance dune histoire, vection de cette histoire vers le royaume­croissance (donc dans linachevé, le devenir, précise-t-il par ailleurs). Ce sont là les nouvelles figures après le duel, le multiple, le nous tous. Nous sommes en pleine éthique.

  1. LEglise comme utopie

Vingt ans auparavant, en 1967, le même Paul Ricoeur donnait une conférence sous le titre : Sens et fonction dune communauté ecclésiale, d’où a été tiré en 2016 un essai : Plaidoyer pour lutopie ecclésiale qui retiendra l’intérêt de celles et ceux qui voient dans l’Eglise – malheureusement beaucoup moins dans les églises – un signe concret de l’amour de Jésus christ (en lui nous sommes réconciliés et unis), et un témoignage concret de l’amour d’autrui, jusqu’à ses ennemis (nous sommes con-voqués à montrer la fraternité).

J’en cite des bribes :… Les raisons positives dadhérer (à une communauté) lemportent de beaucoup… (Parce que) je ne crois pas que le sujet de la foi puisse être un individu, le sujet de la foi nest pas « je » mais « nous »… La parole ne suscite l’homme que si elle continue dêtre transmise. C’est pourquoi la prédication ne peut être entendue quà plusieurs… Même si je parle maintenant au-dedans dune communauté chrétienne, je parle pour tous, et je voudrais tenir un langage qui soit compréhensible par tous… Ceux qui ne sont pas des experts en humanité ne survivront pas, et c’est notre capacité dêtre cela, de dire quelque chose qui soit, dans cette disette de sens (qui est la nôtre aujourd’hui), porteur de sens. Ce qui veut dire que la fonction dune communauté ecclésiale… sera de maintenir cette tension entre une vie intérieure, qui la maintient comme communauté, et une vie extérieure qui l’expose à tous les yeux. Voilà qui rejoint et explicite tout en le disant autrement ce que nous disions dernièrement au sujet de l’Eglise modèle réduit, ou appartement témoin, ou micro laboratoire d’humanité, ou encore auberge espagnole – chacun choisira son image – d’un universalisme non de conquête (centripète) mais de partage (centrifuge).

 

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