Des balles verbales

Prédication du dimanche 19 juin 2016

Matthieu 5, 21 à 26

Jean 3, 18

Ephésiens 4, 29

 

L’année dernière, une communauté dont notre Eglise se souciait peu occupait la première place dans nos discussions. Lors du débat synodal sur la bénédiction des couples, l’Eglise découvrait la communauté LGBT, ses revendications, ses souffrances, ses espoirs. La semaine dernière à Orlando, cette communauté a été frappée par la violence meurtrière et, circonstance aggravante, elle a été frappée dans un club gay, c’est à dire « chez elle ». Et aujourd’hui, je veux croire que tous, quelles que soient nos convictions, quelles qu’aient été nos positions dans ces débats, nous sommes dans l’horreur et dans la sidération, nous pleurons sur ces hommes et ces femmes assassinés.

Ces derniers temps, à propos de l’état d’urgence et des manifestations autour de la COP21 puis de la loi du travail, la question des violences policières et de la haine anti-flic a été soulevée. Nous n’en avons pas discuté en Eglise mais chacun d’entre nous y a été confronté, a eu son opinion. Et, lundi dernier, un couple de policiers étaient assassinés chez eux.

 

La concomitance de ces assassinats m’a rapidement évoqué ce passage du sermon sur la montagne, à cause justement des débats dont les cibles avaient été le sujet juste avant, et parce que les contempteurs de ces deux communautés sont rarement les meme, et que tous sont confrontés ainsi à la concrétisation de leur propre violence verbale. En effet, quand Jésus affirme qu’insulter son frère est passible du tribunal, il nous rappelle que nos mots tuent. Dès lors, comment pourrions-nous nous indigner de la violence des terroristes sans nous interroger sur nos propres violences verbales. Or nos débats ont été émaillés d’insultes aussi blessantes que des rafales de fusil automatiques, de jugements aussi tranchants que des lames de sabres, de comparaisons aussi toxiques que du gaz sarin.

Oui, comment ne pas nous demander si Jean Baptiste et Jessica, si Stanley Amanda, Oscar, Rodolfo, Antonio, Darryl, Angel, Juan, Luis, Daniel, Cory, Tevin, Deonka, Simon, Leroy, Mercedez, Peter, Juan, Paul, Frank, Miguel, Javier, Jason, Eddie, Anthony, Christopher, Alejandro, Brenda, Gilberto, Kimberly, Akyra, Luis, Geraldo, Eric, Joel, Jean, Enrique, Jean, Xavier, Christopher, Yilmary, Edward, Shane, Martin, Jonathan, Juan, Luis, Franky, Jimmy, Luis et Jerald n’ont pas été victimes de nos mots avant de tomber sous les balles et la lame ?

Policiers, homosexuels, on pourrait allonger à l’envie la liste de ces groupes victimes de nos violences verbales, juifs, musulmans, patrons, chômeurs, politiques, étrangers, évangéliques, catholiques, réacs, modernistes… la question n’est pas de savoir si certaines cibles sont plus justifiées que d’autres, dans le sermon sur la montagne, Jésus ne se préoccupe de savoir si notre frère est vraiment un imbécile ou un insensé, ni de connaitre les motivations de nos insultes, il nous renvoie à notre propre violence. Or, il y a une autre donnée évangélique : si nous voulons que la violence s’arrête, il nous faut commencer par l’arrêter en nous-même…

Avant de voir dans celui ou celle que nous avons en face de nous un pédé, un flic, un youpin, un bicot, un nègre, un babtou, un évangélo ou un catho, il serait temps que nous voyions avant tout un frère ou une sœur.

 

Il y a quand même deux objections :

D’abord, parfois, même contre nos frères et nos sœurs, on est en colère, et sous le coup de la colère, les mots partent vite. C’est vrai. Mais si je reçois sérieusement le sermon sur la montagne, faire de la colère une circonstance atténuante pour la violence verbale est à peu près aussi bien fondé que faire de l’appât du gain une circonstance atténuante du vol…

Oui, mais la colère ça ne se décide pas, en tout cas, pas toujours…  Et ce n’est pas bon de la rentrer, parfois la violence verbale est un bon moyen de canaliser cette colère justement pour qu’elle n’explose pas en violence physique. C’est vrai aussi. Mais nous avons quelqu’un à qui nous pouvons exprimer toute notre colère et l’exprimer dans toute sa violence, ce quelqu’un c’est Dieu lui-même. La Bible nous donne ces psaumes de colère et de violence comme autant de témoignage que Dieu, contrairement à mon frère et à ma sœur peut recevoir ma colère et m’en décharger. Nos insultes, nos vœux de morts, nos « je l’avais bien dit », et si on les gardait pour Dieu. Oui, je sais ça ne se fait pas, ce n’est pas correct de présenter les pires aspects de nous-meme à Dieu… Mais alors, ce qui me fait trop honte pour que le présente à Dieu comment puis-je l’imposer à mon frère ou à ma sœur ?

 

Ensuite, l’amour ne signifie pas qu’on soit d’accord avec tout ou qu’on laisse tout faire.

Non l’amour n’empêche pas le désaccord et la discussion, seulement l’amour pousse à veiller à ne pas blesser la soeur ou le frère avec qui on est en discussion, l’amour pousse à éviter les généralités. Il nous arrive à tous d’etre victimes de ces mots qui blessent, de ces généralités qui enferment et nous en savons la violence alors, meme dans nos désacords, l’amour ne devrait-il pas nous empecher de commettre à notre tour cette violence ? Ce que je ne supporte pas d’entendre, vais-je l’infliger à ceux que je prétend aimer ?

Mais quand meme, Jésus lui-même a eu parfois des mots très durs contre les pharisiens, voire contre ses propres disciples. C’est vrai. Mais il est plus vrai encore que Jésus a aimé ses disciples et meme les pharisiens au point de donner sa vie pour eux. Alors, quand nos actes diront notre amour à ce point, quand l’amour nous conduira à donner notre vie pour les autres, nous pourrons nous permettre la meme violence verbale que Jésus… En attendant…

En effet, lorsque Jean nous invite à aimer non seulement en paroles mais en acte, je pense qu’il nous rappelle que les paroles d’amour sont plus faciles que les gestes d’amour. Si nous sommes incapables d’aimer en paroles, ou au moins en absence de paroles de violence, comment pourrions nous etre capables d’aimer en actes ?

Frères et soeurs, je sais qu’il est difficile de nous voir placés ainsi devant notre propre violence, difficile de nous voir mis au meme rang que les terroristes et les meurtriers et pourtant, si Jésus nous oblige à nous regarder ainsi nous meme, c’est bien pour que nos coeurs changent vraiment, c’est pour que nous nous tournions vers Dieu en le suppliant d’arracher de nos coeurs tout germe de violence. Alors, quand nous condamnons la violence du monde, quand nous supplions Dieu de mettre un terme à cette violence, ayons la lucidité de lui demander aussi de nous guérir de nos propres violences.

Amen

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