Predication du 11 janvier 2015 – Liberte d’expression liberte de blasphème

Matthieu 5, 21-22 – Marc 3, 22 à 30 – Romains 2, 17 à 24

prédication d’Eric George le 11 janvier 2015 

J’avoue qu’il est trop tôt pour moi pour parler des évènements que nous avons traversés ces derniers jours. La liturgie, je l’espère, aura mis des mots sur nos peurs et nos questions, elle nous aura donné les paroles d’espérance dont nous avons besoin mais je ne voudrais pas galvauder ces mots par la prédication.
Alors peut-être comme une protection, je voudrais que nous réfléchissions avec la Bible a des notions dont on a beaucoup parlé ces temps-ci, celles de liberté d’expression et de blasphème.

 

Je ne suis pas le défenseur d’une totale liberté d’expression. D’abord parce qu’il y a des mots qui tuent. Jésus l’enseignait déjà et aujourd’hui toutes les victimes de quelque forme de harcèlement que ce soit le savent. Enfin parce que la liberté est, dans ce domaine comme dans d’autres, un droit du plus fort et que je ne crois pas beaucoup en notre capacité d’auto-régulation. Donc je ne suis pas le défenseur d’une totale liberté d’expression et je ne crois pas que toute protestante qu’elle soit, notre Eglise doive l’être.

J’ajouterai que je me méfie également de certaines nuances que l’on prétend avoir et qui brouillent considérablement les choses. Entendu tout récemment « mais là ça ressort de l’apologie du terrorisme et pas de la liberté d’expression », un autre dicton, plus ancien « le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit… Ne serait-il pas plus simple de rappeler simplement qu’il y a des opinions dont l’expression est délictueuse, que la liberté d’expression a des limites, qu’elle s’arrête à l’incitation à la haine ou à la violence, qu’elle s’arrête à l’insulte, bref, qu’il y a des expressions qui sont interdites…

Mais si la Bible nous rappelle qu’il y a des mots qui tuent, elle nous parle aussi d’une autre catégorie de mots : ces mots tellement graves qu’ils font mourir celui qui les prononce, ou plutôt des mots tellement graves que celui qui les prononce doit être mis à mort, ces mots, on les appelle « blasphèmes ».

Alors devons-nous ajouter le blasphème aux limites à la liberté d’expression ? Quelques réflexions sur un sujet qui me paraît plus complexe que celui de la liberté d’expression.

Tout d’abord, la Bible condamne manifestement le blasphème et Jésus lui-même disait que le blasphème contre l’esprit est de l’ordre de l’impardonnable (ce qui ne signifie pas passible de mort).

Pourtant, une fois cette condamnation rappelée, il faut bien dire que  le blasphème est rarement défini : la Bible nous dit qu’un tel a blasphémé mais à part dans un cas célèbre, on ne nous dit pas en quoi a consisté le blasphème. Et même cet impardonnable blasphème contre l’Esprit Saint, je ne suis pas très sûr de savoir de quoi il s’agit. D’après le contexte, j’aurais tendance à penser qu’il s’agit d’attribuer au Satan les œuvres de Dieu, je suis à peu près certain en tout cas, qu’il ne s’agit pas d’un mot ou d’un dessin. Tout ce que je sais du blasphème, c’est qu’il s’agit d’une insulte à Dieu. Pour autant, le blasphème ne peut pas être mis au rang de l’insulte. En effet, dans la condamnation de l’insulte, je vois un souci de protection des victimes, des faibles. Mais j’avoue avoir une trop haute opinion de mon Dieu, être trop peu blasphémateur pour penser que mon Dieu peut être blessé par un mot ou un dessin. Je ne me sens pas le devoir de protéger Dieu, et si vraiment mon Dieu est si fragile que les mots le blessent, alors, bien avant les caricaturistes, ce sont les théologiens qu’il faut interdire…

Ah mais se moquer de Dieu, c’est insulter les croyants ! Peut-être. Mais alors que je ne me pose pas comme un défenseur de l’honneur de Dieu quand je lutte contre le blasphème mais bien comme le défenseur de mon honneur, de ma susceptibilité ! Et puis, je m’interroge : s’il est interdit de se moquer des convictions religieuses de tout un chacun, pourquoi serait-il permis de se moquer de ses convictions politiques, ou de ses goûts sportifs ou musicaux ?

Je disais que le blasphème est rarement défini dans la Bible… Il y a pourtant un cas célèbre où l’on sait pour quel blasphème précis, le blasphémateur a été mis à mort :

Et le souverain sacrificateur, prenant la parole, lui dit : Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu. Jésus lui répondit : Tu l’as dit. De plus, je vous le déclare, vous verrez désormais le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance de Dieu, et venant sur les nuées du ciel. Alors le souverain sacrificateur déchira ses vêtements, disant : Il a blasphémé ! Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Voici, vous venez d’entendre son blasphème. Que vous en semble ? Ils répondirent : Il mérite la mort.

Matthieu 26 ; 63-66

Oui, tout en entendant l’interdiction du blasphème, nous devons nous rappeler que Jésus, le Christ a été condamné et mis à mort comme blasphémateur, pour avoir insulté Dieu. Et c’est vrai qu’aujourd’hui encore, affirmer que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu ou Dieu fait homme, c’est un blasphème au regard d’autres religions qui n’en sont pas moins des religions avec lesquelles nous sommes et devons être dans un dialogue fraternel. Pour autant, nous abstiendrions-nous d’affirmer, de confesser ce qui, pour elles, est un blasphème ?

 

Pourtant, les premiers chrétiens, les premiers auteurs chrétiens ont continué à condamner le blasphème. Mais, ils ont tout de même changé un peu d’orientation. Dans le Premier Testament, le blasphémateur est mis à mort . Lorsque Jésus condamne le blasphème contre l’Esprit Saint, d’une part il ouvre la possibilité d’autres blasphèmes et surtout il place les choses sur un plan spirituel.

Et puis Paul ouvre une autre perspective : il place les croyants devant leur propre responsabilité face au blasphème des non-croyants. « C’est à cause de vous, à cause de votre attitude, à cause de votre hypocrisie » que le nom de Dieu est blasphémé parmi les autres. Et c’est vrai, que bien souvent les caricatures, les moqueries à l’égard de notre religion pointent nos incohérences, nos hypocrisies, parfois aussi ce qui paraît fou aux yeux du monde. Et c’est vrai qu’elles sont d’autant plus mordantes, d’autant plus pertinentes que la religion visée est plus oppressive. Alors, je me dis que ce serait peut-être là une belle manière chrétienne de se positionner face au blasphème : vouloir l’éradiquer mais non par l’arsenal législatif mais bien par notre attitude, faire en sorte par nos comportements, par nos paroles que nul n’ait envie de tourner en dérision le Dieu qui nous pousse à être ce que nous sommes…

Et puis je tombe sur ces mots de Paul à Timothée : Tous ceux qui sont sous le joug de l’esclavage doivent considérer leurs maîtres comme dignes d’un entier respect, afin que le nom de Dieu et la doctrine ne soient pas blasphémés.  (I Tim. 6, 1) Et même si je comprends quelle peur d’être considéré comme de dangereux révolutionnaires pouvait traverser les chrétiens, même si je sais bien qu’occidental du XXe siècle, je n’ai pas le droit intellectuel de juger mes frères du premier siècle, je me dis quand même qu’une condamnation plus rapide de l’esclavage par les chrétiens aurait bien valu quelques blasphèmes contre le nom de Dieu et contre la doctrine…

 

Alors au final, que dire du blasphème ? Le condamner, le combattre, l’autoriser ? Voilà mon point de vue

L’innocent, comme le scélérat, Il (Dieu) l’anéantit. Quand un fléau jette soudain la mort, de la détresse des hommes intègres Il se gausse. Un pays a-t-il été livré aux scélérats, Il voile la face de ses juges ; si ce n’est Lui, qui est-ce donc ?   Job 9, 22-24

Ces propos de Job me paraissent finalement bien plus blasphématoires que les trois papas d’André Vingt-Trois. Et pourtant, Job a bien parlé.

Je crois que si des dessins ou des blagues pas toujours drôle, parfois choquant, voire de très mauvais goût, des dessins et des blagues qui nous vexent parfois ou simplement nous gênent comme on peut être gêné par la plaisanterie pas drôle d’un gros lourd, sont finalement un petit prix à payer pour cette liberté de parole sur Dieu que nous donne la Bible.

Alors, pour la préservation du plus petit, du plus faible, pour la possibilité de vivre ensemble, je pense que la liberté d’expression doit avoir des limites. Mais pour la liberté de croire et de penser, pour la possibilité du dialogue et de l’interpellation, je suis convaincu que le blasphème doit rester possible et que nous, chrétiens, devons défendre cette liberté, cette possibilité.

Frères et sœurs, notre Dieu n’a pas peur d’un crayon ou d’une blague, notre Dieu n’a pas peur du mauvais goût. Je crois même que notre Dieu ouvre la possibilité du rire. Notre Dieu est plus fort que la mort, plus fort que la haine. Et aujourd’hui comme demain qu’il nous rende plus forts que nos peurs, plus forts que nos rejets, plus forts que nos désirs de vengeance. Que demain, Il nous donne la possibilité de l’amour.

Amen

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