1 Corinthiens 7, 29-31 – Cela aussi passera

Que veut dire cette phrase de l’apôtre Paul : Le temps est écourté ? Et d’abord, qu’est-ce que le temps ? Nous en parlons dans nos conversations de tous les jours. Selon les circonstances, nous disons : Le temps passe. Le temps s’accélère. Le temps s’arrête. Quand tout va bien, nous avons le sentiment que le temps passe trop vite. Quand les difficultés nous assaillent, nous sommes pressés que le temps nous apporte une solution. Qu’est-ce donc que le temps, pour qu’il varie suivant les circonstances et les individus ? C’est la question que saint Augustin se posait déjà, autour de l’an 400. Saint Augustin a mis en évidence le caractère mystérieux du temps, sans la doute la question la plus difficile pour les philosophes, comme pour les théologiens. Voici ce qu’il en disait : Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille expliquer, je ne le sais plus.

Saint Augustin connaissait bien les Ecritures, et il était donc un familier des épîtres de Paul. Or, Paul est certainement le premier dans l’histoire des idées à avoir élaboré une conception pertinente du temps. Jusque là, les philosophes grecs avaient réfléchi à cette question difficile, mais sans le saisir dans tous ses aspects.

L’apôtre Paul aborde à plusieurs reprises la question du temps dans ses épîtres. Ici, dans sa première épître aux Corinthiens, il ne parle pas du temps dans le cadre d’un traité théologique. Ce n’est pas un traité théologique qu’il adresse aux Corinthiens, mais un écrit circonstanciel : dans les chapitres 7 et 8 de son épître, dont notre passage est tiré, l’apôtre Paul répond aux Corinthiens sur certaines questions concrètes qu’ils lui ont posées.

Les questions des Corinthiens concernent le mariage : Est-il souhaitable ou non de se marier ? Plus loin, elles porteront sur la question des viandes sacrifiées aux idoles : Pouvons-nous manger des viandes qui ont sacrifiées aux idoles ? Les questions des Corinthiens ne nous sont pas parvenues, elles ont été perdues, mais nous pouvons les reconstituer à travers les réponses de l’apôtre.

Mais la réponse de Paul est inattendue. Il ne donne pas une réponse claire aux questions des Corinthiens. Il ne leur dit pas : Vous devez choisir de faire ceci ou vous devez choisir de faire cela. Par exemple : Vous devez vous marier ou ne pas vous marier. Paul n’est pas un gourou, et il s’adresse à des croyants qui ont une capacité de réflexion. Non, en fait, la réponse de Paul se place sur un tout autre plan : il va saisir cette occasion pour dire aux Corinthiens des choses très profondes sur la question du temps. C’est en répondant sur les grands choix de vie que Paul va être amené à faire part aux Corinthiens de sa réflexion sur le temps : ses quelques lignes sont un condensé d’affirmations théologiques. Et en cela, ce court texte est un texte exigeant, un texte qui demande une certaine concentration.

L’apôtre Paul utilise sa réponse aux questions concrètes des Corinthiens pour leur faire comprendre que la venue de Jésus-Christ dans le monde fait changer radicalement toute notre compréhension du temps. Et que nous dit-il du temps ? Il nous dit que le temps est écourté. C’est la traduction de la TOB. Selon d’autres traductions, le temps est court, se fait court, est compacté. Le verbe que Paul emploie signifie aussi diminuer, raccourcir, abréger. On garde la même idée. Mais ce verbe peut aussi vouloir dire placer ensemble, rouler ensemble. Dans ce sens, il est utilisé comme terme technique dans la marine. Il signifie alors carguer les voiles, c’est-à-dire rabattre les voiles en les resserrant autour du mât. C’est ce que font les marins quand le vent tombe, ou quand il est contraire, ou quand le bateau rentre au port.

Vu sous l’angle de la foi, le temps appartient au monde créé. Pour nous croyants, le temps est donc comme replié sur lui-même, comme réduit à rien. Le temps est, au même titre que toute la création, appelé à disparaître, justement parce que le temps fait partie de ce qui a été créé. La figure de ce monde passe. Cette prise de conscience nous conduit à nous détacher du monde, à nous détacher de ce qui nous paraît positif comme de ce qui nous paraît négatif : les joies ou les pleurs ; les richesses, les profits de toutes sortes, ou leur privation. Dans cette perspective, les événements de la vie, qu’ils soient joyeux ou tristes, doivent être relativisés.

Cela conduit à un détachement salutaire. Pour celui qui est dans la joie, c’est le rappel de la fragilité humaine, parce qu’en ce monde, rien ne peut être considéré comme définitif. Et pour celui qui souffre c’est l’assurance d’une espérance : cela non plus n’est pas définitif.

Nous ne sommes pas appelé à mettre toute notre énergie dans ce monde qui passe et qui ne peut que nous décevoir, mais à en user avec tout le détachement nécessaire, pour garder nos forces et notre attention à Celui qui est hors du temps. Il s’agit d’éviter de donner une trop grande place à tout ce qui relève du créé, de la création, et le temps en fait partie. Comme l’univers visible, il est appelé à se dissiper, à disparaître.

Mais tous ces concepts sont difficiles à saisir, et nous avons besoin parfois de ne pas rester dans la théorie. Alors, pour illustrer ce que dit Paul d’une autre manière, et d’une façon plus légère, je vais vous raconter une histoire juive pleine d’humour. Elle restera peut-être plus dans vos mémoires que le texte un peu abstrait que nous avons lu.

Il y avait un homme qui avait cherché le secret du bonheur avec acharnement, sans jamais le trouver. Il voulait éviter les malheurs de la vie. Alors il s’était mis dans la tête de se faire faire un talisman, une bague qui lui porterait bonheur, une bague qui transformerait tout événement malheureux en événement heureux. Et puis il se disait qu’un tel objet était impossible à réaliser, que le bijoutier de sa rue n’était certainement pas capable de lui faire une telle bague. Mais cette idée ne le quittait pas. Alors un jour, il poussa la porte de sa boutique et il exposa sa demande au bijoutier : Je voudrais que vous me fassiez une bague qui transforme le malheur en bonheur. Etes-vous capable de faire un tel objet ? Le bijoutier leva la tête et, à sa grande surprise, il lui dit qu’il n’y avait aucun problème, qu’il était tout à fait en mesure de réaliser l’objet demandé, qu’il lui faudrait une semaine. La semaine suivante, l’homme retourna chez le bijoutier. Le bijoutier lui tendit la bague en or qu’il avait fabriquée. L’homme la prit dans ses doigts. Il la regarda attentivement. Dessus, il vit qu’il y avait une inscription écrite en hébreu rwbey hz Mg, gam ze ya’avor. Je ne sais pas si certains parmi vous connaissent l’hébreu et savent ce que gam ze ya’avor veut dire. Gam ze ya’avor veut dire : Cela aussi passera.

Oui, tout passera. Nos bonheurs passeront. Nos malheurs aussi passeront. Un jour, nous serons tous en présence des réalités ultimes. Que ceux qui se réjouissent soient comme s’ils ne se réjouissaient pas. Que ceux qui pleurent soient comme s’ils ne pleuraient pas. Cela aussi passera.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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