Actes 1, 1-11 – Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ?

Cette année, la fête de l’Ascension a coïncidé avec la tenue du premier synode de l’Eglise unie de France. Je suis revenu hier de la journée de l’inauguration officielle. Mais il faut bien reconnaître que la plupart du temps la fête de l’Ascension est un peu négligée par rapport aux autres fêtes chrétiennes que sont Noël, Pâques ou Pentecôte. Et pourtant cette fête a toute son importance. C’est pourquoi j’ai choisi de lire aujourd’hui les textes de jeudi.

Dans le récit de l’Ascension, le livre des Actes met en scène deux anges. Ces deux anges rappellent étrangement les deux anges qui se tenaient près du tombeau vide ; eux aussi avaient des vêtements qui attiraient le regard : ils portaient des vêtements éblouissants. Ici les vêtements de ces anges sont blancs, mais l’idée est la même : le blanc est la couleur de la lumière ; dans l’Apocalypse, le blanc est aussi la couleur de Dieu, et il a gardé cette signification pour la liturgie : le blanc est la couleur réservé aux fêtes qui renvoient directement à Dieu.

Comme les anges qui se tenaient près du tombeau le matin de Pâques soulignaient le côté solennel de l’instant, de même les anges dans ce récit de l’Ascension donnent cette touche solennelle à cet événement. Il y a donc un parallèle entre la Résurrection et l’Ascension.

Pour l’Ascension, cette touche solennelle est encore accentuée par la présence de la nuée. Dans l’ancien Testament, la nuée était le signe de la présence divine. La nuée montrait Dieu et le cachait, tout à la fois. Les Juifs étaient habitués à un Dieu soit à la fois présent et absent, jusqu’au jour où le prophète Ezéchiel a vu la présence de Dieu quitter le Temple de Jérusalem.

Ces anges qui se tenaient près du tombeau vide avaient parlé, ils avaient dit aux femmes qui baissaient leur visage vers la terre : Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? Ici, ils parlent aussi, ils disent aux disciples : Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ?

Ces deux messages semblent contradictoires : les femmes sont invitées à ne plus regarder par terre et les disciples à ne plus regarder en l’air. Mais en fait il y a une convergence dans le propos des anges : dans les deux cas, ils sont là pour dire que Jésus n’est pas là où on l’attend, dans les deux cas ce que disent les anges est de l’ordre de la surprise.

Revenons maintenant à notre récit de l’Ascension. Cet événement garde tout son mystère. Nous n’avons pas affaire à un récit journalistique qui nous dirait comment tout cela s’est passé, et cela ne nous servirait à rien d’essayer de reconstituer les événements.

Ce qui est important, c’est que ce récit de l’Ascension s’adresse à notre imagination, en faisant référence au ciel. Même si nous savons bien que Dieu n’est pas dans le ciel, l’image du ciel reste tellement appropriée pour évoquer un Dieu insaisissable ; le ciel, c’est la seule chose ici-bas qui nous parle de l’infini ; et puis le ciel a aussi une dimension poétique qui convient bien pour évoquer le créateur de l’univers : souvenez-vous de la dernière fois où vous vous êtes allongés dans un pré pour regarder passer les nuages dans le ciel.

Et voilà maintenant que Jésus se retire, et que nos deux anges disent aux disciples de ne plus regarder le ciel, de ne plus rêver devant l’infini, de prendre acte que désormais Jésus ne sera plus présent à leurs côtés.

Mais s’ils leur disent cela, c’est pour les mettre en garde contre la tentation de s’en tenir à ce qu’ils ont connu, c’est pour les mettre en garde contre le danger d’une attitude figée. Car la vie est mouvement, et le Dieu auquel ils croient est le Dieu de la vie. Il n’y a rien de mal à regarder le ciel, sauf si cela conduit à s’enfermer dans la nostalgie du passé, dans la nostalgie de ces trois années qu’ils ont passées avec le Maître.

C’est pour cela qu’ici les disciples sont invités à tourner leurs regards vers la terre. Ici, tourner les regards vers la terre, c’est fuir une nostalgie stérile.

Car après l’Ascension on entre dans une autre forme de présence : désormais Jésus ne se donnera plus à connaître par les sens, ses disciples ne le verront plus avec leurs yeux, ils ne l’entendront plus avec leurs oreilles, ils ne le toucheront plus avec leurs mains ; désormais, Jésus se donnera à connaître dans leur intériorité. Et aujourd’hui, nous sommes encore dans ce temps-là, aujourd’hui la foi véritable se vit dans l’intériorité de chaque croyant.

Certains chrétiens pensent que les disciples ont eu, sur le plan spirituel, un privilège que personne n’a plus jamais eu après. Mais non : l’Evangile est plein de paradoxes, et c’est quand Jésus disparaît qu’une nouvelle période, encore plus bénéfique, est sur le point de commencer.

Mais déjà lorsqu’ils avaient Jésus avec eux, ce n’était pas par leurs sens que les disciples avaient perçu sa divinité : c’était par leur sensibilité spirituelle. Car même avant Pâques ils avaient déjà une perception spirituelle de Jésus, et c’est elle qui leur avait permis de reconnaître sa divinité. Certes, cette perception spirituelle ne leur était pas venue tout d’un coup : elle leur était venue progressivement, mais leurs sens ne leur avaient été d’aucune utilité dans cette affaire, de sorte que lorsque maintenant Jésus disparaît de leurs yeux, les disciples ne vivent pas cela comme une perte.

D’où cette question des anges : Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Leur question est une invitation à concentrer leur énergie à vivre ici et maintenant, dans les circonstances qui sont les leurs et qu’ils n’ont pas choisies, plutôt que de vouloir chercher à percer le mystère divin.

Alors ce nouveau temps qui commence revêt un sens positif. Car avant de les quitter, Jésus leur a rappelé qu’il leur enverrait le Saint-Esprit. Pour le moment, les disciples sont seuls : Jésus n’est plus avec eux, la période où il était avec eux a pris fin, et la nouvelle période n’a pas encore commencé : elle commencera à la Pentecôte, lorsque le Saint-Esprit leur sera donné. Entre l’Ascension et la Pentecôte, nous sommes dans un entre-deux indéterminé.

Mais les disciples ne devront pas à attendre bien longtemps pour recevoir le Saint-Esprit qui les aidera par une proximité encore plus grande. Nous pouvons donc affirmer que nous n’avons rien à envier aux disciples. Bien qu’invisible, Jésus est mystérieusement présent, et c’est vrai aussi pour nous aujourd’hui.

Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? Les anges invitent les disciples à prendre pleinement part à l’œuvre de Dieu. Désormais, tout va être dans leurs mains. Avec l’aide du Saint-Esprit, ils vont pouvoir œuvrer pour le Royaume de Dieu : une grande responsabilité, incompatible avec le fait de regarder le ciel avec nostalgie.

Et pour nous, entre Pâques et Pentecôte, la fête de l’Ascension nous rappelle la présence invisible de Jésus dans nos vies, une présence qui échappe à nos sens et qui pour cette raison surpasse tout autre forme de présence.

Amen.

Bernard Mourou

 

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