Actes 1, 15-26 – Décision humaine ou divine

Nous nous trouvons entre la Passion et la Pentecôte. Il s’est passé beaucoup de choses : Jésus est mort, il est réapparu à ses disciples ressuscité, il est monté au ciel, et maintenant les apôtres sont en attente du Saint-Esprit, qui n’a pas encore été donné. Tous ces événements n’ont pas eu lieu simultanément, on se trouve dans un entre-deux : un temps quelque peu indécis entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance, un temps captivant, à la fois déstabilisant et passionnant, comme tous les temps de préparation qui ouvrent sur quelque chose de nouveau. C’est une période de flottement : l’Eglise n’est pas encore en place, mais son avènement est imminent.

Et au cœur de cette période mouvante dans laquelle tous les repères changent, Luc fait un rappel. Il rappelle à ses lecteurs un événement funeste : la trahison de Judas et son suicide. Luc n’en a pas parlé dans son Evangile, il a attendu la seconde partie de son ouvrage pour le faire, la seconde partie de son ouvrage qui est le livre des Actes – comme on sait, au départ l’Evangile de le livre des Actes ne formaient qu’un seul et même ouvrage. Et maintenant qu’il entreprend de nous parler de ces choses, Luc ne épargne aucun détail pénible. Pour souligner toute l’horreur de ce mal, il nous montre un Judas ouvert par le milieu, avec toutes les entrailles sorties. C’est une manière de nous faire entrevoir l’entendue de ce mal, un mal qui touche avant tout le cœur de l’Eglise à venir : les apôtres ne sont plus douze, mais onze. Le mal était au sein même des apôtres. Par le biais de Judas, le mal a attaqué le cœur même de ce qui devait devenir l’Eglise. Un équilibre a été rompu. Maintenant, on n’est plus dans la plénitude divine signifiée par ce nombre douze, on est dans autre chose, dans quelque chose d’un peu bancal, dans quelque chose d’incomplet, d’avorté, d’imparfait.

Pierre comprend cela le premier. Alors, il se lève. Il se lève pour tenter de réparer ce désordre. Et il fait une proposition à la centaine de disciples qui l’entoure : il faut remplacer l’apôtre qui s’est montré défaillant. Fidèle à l’héritage reçu, Pierre éprouve la nécessité de reconstituer le noyau de l’Eglise à venir. Dans l’Ancienne Alliance, la loi et le culte permettaient de réparer la vie chaque fois que le chaos et les forces du mal faisaient irruption dans la vie du peuple. Pierre fait de même. Il n’hésite pas à intervenir dans le choix des apôtres, que Jésus avait été le seul à choisir. Alors il fait un discours à la centaine de disciples réunie là, un discours qui est le premier d’un ensemble de huit discours qui prennent place dans le livres des Actes.

Que penser de l’initiative de Pierre ? Qui est-il pour s’immiscer dans l’œuvre de Dieu ? Qui est-il pour retoucher l’œuvre de Dieu ? On connaît son tempérament : Pierre est un impulsif, pour le meilleur comme pour le pire. Certains ont vu dans sa décision de reconstituer le groupe des apôtres un acte n’ayant pas été inspiré par Dieu, un acte relevant de sa propre initiative. Le doute est permis. Ceux qui voient dans cette initiative une action humaine invoquent quatre arguments :

  • ils disent que la Pentecôte n’a pas encore eu lieu et donc que le Saint-Esprit n’était pas encore à l’œuvre, et que par conséquent il ne peut pas encore éclairer l’action des disciples ;
  • ils soulignent que Matthias n’a pas eu un rôle majeur par la suite : et en effet on ne parle plus de lui après cet épisode ;
  • ils considèrent l’apôtre Paul comme le douzième apôtre, ayant été directement choisi par Dieu, après coup ; 
  • enfin, il est évident qu’il y a des moyens plus adaptés qu’un tirage au sort pour désigner un responsable de ce qui deviendra l’Eglise.

Pourtant, plusieurs choses devraient nous nous faire réfléchir : dans le passage qui précède celui que nous avons lu, Luc évoque les onze apôtres et il nous dit qu’ils étaient tous, unanimes, assidus à la prière. Ils sont donc dans de bonnes dispositions.

Nous voyons que Pierre s’appuie sur les Ecritures : il cite deux Psaumes : le Psaume 69 et le Psaume 109, deux Psaumes qui s’en prennent aux persécuteurs du juste.

Par ce recours à l’Ecriture, Pierre tente de trouver du sens à l’incompréhensible, il tente de montrer que la défection de Judas entre dans le plan de Dieu. Sur le plan de la piété, son attitude est irréprochable ; et puis nous voyons que Pierre cherche à comprendre le sens de ce qu’il a vécu avec Jésus et à se situer dans cette histoire. Il a une juste compréhension des choses, une vision éclairée de ce qu’il a vécu : il est capable de relire l’histoire, il parvient à une vision d’ensemble qui lui permet de comprendre le rôle des apôtres.

Et la preuve que Pierre comprend ces choses, c’est qu’il est maintenant capable de donner une définition de ce qu’est un apôtre : un apôtre doit avoir été témoin de la totalité du ministère de Jésus, c’est-à-dire qu’il doit avoir été avec lui depuis le moment où il a été baptisé par Jean, jusqu’au moment où il a été vu ressuscité.

Selon cette définition, les apôtres ne peuvent pas avoir de successeurs, et donc Paul ne peut pas être considéré comme un apôtre au même titre que les Douze ; enfin, Pierre a une attitude de foi remarquable : alors que Jésus est mort et que tout semble finit, il montre qu’il ne s’en tient pas aux apparences. Sinon quelle nécessité y aurait-il à désigner le successeur de Judas ?

En fait, Pierre pressent que l’aventure ne s’arrête pas avec la mort de Jésus, et c’est tout à son honneur ; bien sûr, il y a ce tirage au sort, qui nous paraît complètement inapproprié. Mais c’est oublier que le tirage au sort était une pratique courante dans l’Ancien Testament. Pour connaître la volonté de Dieu, le grand-prêtre disposait de l’ourim et du toummim. On pense que l’ourim et le toummim étaient des objets placés dans son vêtement. En procédant à un tirage au sort, les apôtres se veulent fidèles à une tradition. Il ne faut donc pas voir ce tirage au sort comme un moyen douteux de choisir un responsable pour la future Eglise, mais comme une volonté de rester fidèle à une tradition.

Le tirage qu sort dont il est question ici sera le dernier, on n’utilisera plus jamais ce moyen pour connaître la volonté de Dieu. Cela situe notre passage encore sous l’Ancienne alliance. quant au rôle de Mathias dans la suite, il est vrai qu’on a plus entendu parler de lui, mais on n’a pas non plus entendu parler de Barthélémy, ou de Simon le zélote.

Depuis le début des Evangiles, il y a eu des apôtres de premier plan comme Pierre, Jacques et Jean, il y en a eu d’autres dont on a moins parlé, et il y en a eu dont on n’a pas parlé du tout. Pourtant tous ont été considérés comme apôtres.En fait, dans cette désignation d’un autre apôtre pour remplacer Judas, on observe une collaboration entre les hommes det Dieu : les hommes, parce que la décision est prise selon le jugement des hommes ; Dieu parce que l’on on procède à un tirage au sort qui lui laisse en définitive le dernier mot.

Aujourd’hui, l’Eglise n’a plus recours au tirage au sort pour ses décisions. Néanmoins, ce texte nous rappelle une vérité toujours actuelle : les décisions de l’Eglise ne font pas intervenir que des hommes, elles ne font pas intervenir non plus que Dieu, mais elles sont le fruit d’une étroite collaboration entre les hommes et Dieu. Pour prendre une bonne décision, il faut toujours de la confiance, et parfois même de la hardiesse.

Ce texte est là pour nous encourager dans ce sens. Dieu nous fait confiance. Il veut que nous soyons des collaborateurs et non des automates. Alors, en toutes choses sachons à la fois nous appuyer sur Dieu, à qui rien n’échappe, car il connaît toutes choses, mais aussi sur nos propres capacités de jugement et de discernement, qui nous ont aussi été données par Dieu.

Amen.

Bernard Mourou

 

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