Actes 2, 1-11 – Un événement de communication

Dans le judaïsme, la Pentecôte était une des trois fêtes annuelles qui exigeaient de venir au temple de Jérusalem. On peut donc imaginer beaucoup de gens venus d’un peu partout. Il y a du mouvement à Jérusalem, cela ne fait aucun doute. Des foules entières de pèlerins viennent pour cette fête.

Et dans ce mouvement, comme par contraste, les premiers disciples de Jésus restent entre eux et ne bougent pas de l’endroit où ils sont. Depuis la mort de leur maître, ils sont dans la crainte. Ils vivent repliés sur leur petit groupe. Une centaine Un nombre négligeable en comparaison de tous les pèlerins qui affluent à Jérusalem.

Et puis il n’y a pas que la foule des pèlerins qui contraste avec le repli des apôtres : il y a ce vent violent qui se met à souffler, un vent soudain, inattendu. Le propre du vent, c’est d’être sans cesse en mouvement. Et puis ce vent est suivi par un autre élément toujours en mouvement : le feu. Comme le vent, les flammes ne restent pas en place. Le vent et le feu : deux éléments volatiles, imprévisibles.

Aujourd’hui, quand une marque lance un nouveau produit, les publicitaires créent un événement, une opération de communication, un grand spectacle pour marquer les imaginations. Ici, c’est un peu un spectacle de ce genre dont se sert Luc pour présenter la venue du Saint-Esprit.

Luc ne nous décrit pas une expérience mystique, un moment d’intimité avec Dieu, mais quelque chose qui vise à marquer les imaginations. Comme pour mettre cette première Pentecôte après la Passion sur le même plan que l’épisode de Moïse sur le Sinaï, lorsqu’il a reçu les tables de la Loi. Vous vous rappelez, lorsque Moïse a reçu les tables de la Loi, il y avait des éclairs et du tonnerre. D’ailleurs, dans le judaïsme tardif, les rabbins avançaient l’idée que les tables de la Loi avaient été données à la période de l’année où l’on fêtait la Pentecôte.

Luc nous fait comprendre que la fête de la Pentecôte, cette année-là, dépasse de beaucoup le simple pèlerinage traditionnel : c’est un nouveau Sinaï, un nouveau fondement, un nouveau commencement pour le peuple de Dieu. Dieu lui avait donné sa Loi pour lui apprendre à vivre dans son alliance. Désormais, il renouvelle cette alliance en donnant son propre Esprit, son Esprit Saint. Alors, pour l’occasion, Luc frappe un grand coup. Comme un bon publicitaire qui fait une opération de communication. Ici, la naissance de l’Eglise n’est pas une affaire privée, une expérience intimiste : elle requiert une visibilité.

La vocation de l’Eglise n’a jamais été de devenir un club fermé. La visibilité de l’Eglise dans la société est vitale. La visibilité de l’Eglise est la garantie d’une vie cultuelle ouverte à tous. Si la vie chrétienne a besoin du face à face avec Dieu, elle a aussi besoin d’une vie cultuelle régulière. L’un ne va pas sans l’autre.

Ce vent et ce feu de la Pentecôte relèvent de l’extraordinaire. Ils rappellent un phénomène physique courant. Ils rappellent la foudre qui tombe sur une maison : il y a le vent de l’orage, et puis des boules de feu qui se propagent dans la pièce. Mais si nous regardons le texte d’un peu plus près, nous voyons que ce phénomène garde un côté profondément mystérieux.

Le vent tout d’abord. Ce n’est pas un vent comme un autre. Même dans les pires tempêtes, même dans les tornades et les typhons, le vent souffle toujours horizontalement, le vent va toujours de droite à gauche ou de gauche à droite. Personne n’a jamais constaté qu’un vent pouvait souffler depuis le haut vers le bas. Ce vent de la Pentecôte est donc un vent bien particulier. Ce vent de la Pentecôte relie les choses d’en haut et les choses d’en bas, les choses de Dieu et les choses de la terre. Sans relation verticale, sans relation de Dieu vers l’homme, pas de relation horizontale, pas de relation des hommes entre eux ; sans relation à Dieu, pas de véritable relation aux autres.

Le feu ensuite. Ce n’est pas un feu qui dévore toujours plus, tout ce qu’il trouve devant lui, de manière aveugle, aléatoire. Non, c’est un feu qui se partage en langues, un feu qui s’individualise. Luc emploie le mot « langue ». En grec comme en français, ce mot évoque ce qui nous permet de parler. L’unité que nous donne le Saint-Esprit n’est pas l’uniformité. L’unité de l’amour se trouve dans la diversité. Un même feu, mais un feu qui se partage en autant de langues qu’il y a d’individus.

Au contraire de la foudre, ce phénomène qui associe le vent et le feu, cet événement unique dans l’histoire de l’Eglise, se produit sans provoquer aucune destruction, sans provoquer aucun désordre. Le souffle de la tempête ou les flammes d’un incendie sont impossibles à maîtriser. Ce n’est pas le cas du vent et du feu de la Pentecôte. Ce vent et ce feu n’ont que des effets bénéfiques : il n’y a plus d’entraves à la communication entre des hommes qui pourtant viennent de tous les coins du monde connu et qui ne parlent pas la même langue. Des relations de nouveau saines entre les hommes, une compréhension mutuelle exempte de malentendus, les liens se retissent. Il en résulte une grande harmonie. En fait, la seule chose qui se trouve détruite, c’est le mur de l’incompréhension qui sépare trop souvent les hommes.

Car le Saint-Esprit nous aide à comprendre l’autre dans sa différence irréductible. Et nous savons que ce ne sont pas seulement les étrangers que nous avons du mal à comprendre. Comprenons-nous vraiment notre voisin ? Notre collègue de travail ? Nos frères et sœurs dans la foi ? Notre conjoint ? Nos enfants ? Parce que, même si avec eux nous parlons la même langue, nous donnons souvent aux mêmes mots des significations différentes. Nous avons nos propres grilles de lecture. Nous interprétons ce que l’autre nous dit, sans savoir si notre manière de décoder est toujours la bonne. Comment, dès lors, nous étonner si nos dialogues sont parfois des dialogues de sourds ?

Le Saint-Esprit, ce souffle de Dieu, va nous faire comprendre ce que l’autre veut dire en profondeur. Le Saint-Esprit est présent lorsque chacun exprime dans sa propre langue, c’est-à-dire à sa manière, l’amour de Dieu. Nous avons besoin des autres pour qu’ils nous parlent des facettes de Dieu que nous n’avons pas vues. Oui, nous avons besoin des autres, nous avons besoin de leurs différentes façons de voir. Elles nous évitent de nous enfermer en nous-mêmes.

Alors oui, il est bon que Luc salue cette venue du Saint-Esprit comme il se doit, non en évoquant une scène intimiste, mais en mettant en scène ce qui ressemble un véritable spectacle, à la hauteur de cet événement fondateur.

Et tout cela ne reste pas sans effets, tout cela produit quelque chose : quelques verset après notre passage, le texte nous dit que ce jour-là, trois mille personnes se joignent aux disciples et sont baptisées. Les disciples sont passés de cent à trois mille. Et le mouvement ne s’arrêtera plus : depuis ce jour, l’Eglise n’a cessé de croître de par le monde. Il s’en est passé des choses dans l’histoire de l’Eglise depuis ce moment où une centaine de disciples restaient ensemble sans oser bouger du lieu où ils étaient. Par le Saint-Esprit qui la conduit, à l’image du vent et du feu, l’Eglise est sans cesse en mouvement. Aujourd’hui, ce ne sont plus trois mille disciples de par le monde, mais des foules innombrables.

Et en ce dimanche de Pentecôte, deux mille ans plus tard, Sandra, par son baptême, entre dans cette grande chaîne de témoins qui la relie à l’Eglise universelle. L’Esprit Saint l’aidera, et aidera chacun d’entre nous, à vivre sa vie chrétienne et à entretenir des relations harmonieuses avec les autres.

Amen.

Bernard Mourou

 

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