Deutéronome 4, 26-34

Dimanche dernier, c’était la Pentecôte. A Manosque nous avons lu le livre des Actes : le don du Saint-Esprit sur les disciples rassemblés, les langues de feu qui viennent se poser sur eux, une parole enfin libérée, un miracle de communication.

Le texte du Deutéronome, aujourd’hui, mentionne lui aussi des mêmes éléments : il mentionne un feu et il mentionne une parole.

Le feu, tout d’abord. Le feu évoque quelque chose de menaçant, d’effrayant. Ce feu n’a rien à voir avec celui du buisson ardent, qui a laissé le buisson intact devant Moïse. Non, le feu dont il est question ici n’est pas un feu bienveillant, ce n’est pas un feu qui réchauffe : c’est un feu qui est menaçant, inquiétant, un feu qui peut dévorer tout ce qui se présente à lui.

Mais ce feu est aussi la manifestation de Dieu. Ce feu met l’accent sur le caractère mystérieux, incompréhensible, insaisissable de Dieu. C’est le Dieu obscur, qui nous échappe. Et ce feu est lié à la terre. Ce feu est la manifestation de Dieu sur la terre. C’est le texte qui nous le dit : Sur la terre, il t’a fait voir son grand feu.

Quant au second élément du texte, la voix, il nous est dit qu’elle ne vient pas de la terre, mais du ciel.

Il y a donc deux éléments dans ce texte : un élément lié à la terre, le feu, et un élément lié au ciel, la voix de Dieu

Cette parole vient du ciel. Cette parole vient de Dieu. Et pourtant le peuple d’Israël l’a entendue au milieu du feu, nous dit le texte : […] la voix d’un dieu parlant du milieu du feu. La voix de Dieu est venue du ciel sur la terre. Et elle est venue à travers le feu. Le peuple d’Israël a entendu la voix de Dieu parlant du milieu du feu. Cette voix est l’élément divin dans un phénomène physique et terrestre. Cette voix empêche que la manifestation de Dieu soit enfermée, emprisonnée, dans un phénomène purement matériel. Cette voix, c’est la parole que Dieu ne cesse de prononcer.

Exposé à ce feu dévorant, le peuple aurait dû mourir. Mais non : il est resté en vie. Et il est resté en vie justement parce qu’il n’a pas été seulement confronté au feu divin, mais aussi à cette parole venue de Dieu. C’est parce que les Israélites ont entendu la voix de Dieu du milieu du feu qu’ils sont restés en vie.

Or au départ, cette voix n’était pas audible par le peuple : il a fallu que quelqu’un s’interpose entre eux et Dieu. Il a fallu que Moïse vienne tenir son rôle d’intermédiaire, comme un écran protecteur. Vous vous souvenez : Moïse pouvait parler à Dieu comme à un ami. C’est ce que nous dit le livre de l’Exode : Le Seigneur parlait à Moïse, face à face, comme on parle d’homme à homme. Et que lui dit-il, Dieu ? Il lui dit : Le Seigneur, le Seigneur, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté, qui reste fidèle à des milliers de générations, qui supporte la faute, la révolte et le péché […]. Moïse a entendu la voix de Dieu sur le Sinaï, puis il l’a transmise aux Israélites.

Moïse a toujours intercédé auprès de Dieu en faveur des Israélites. C’est grâce à lui qu’ils sont restés en vie. C’est grâce à lui qu’ils ont été en mesure d’entendre cette voix. Et grâce à cette voix, ils ont vu toutes ces épreuves, tous ces signes, tous ces prodiges, tous ces combats, toutes ces grandes terreurs, sous un jour nouveau. Oui, ils ont vu les événements de leur propre histoire sous un jour nouveau. Grâce à cette voix, ils étaient en mesure de relire les événements qu’ils avaient vécus. Grâce à cette voix, ils ont pu comprendre leur histoire comme une histoire vécue sous le regard de Dieu. Comme une histoire vécue avec Dieu. Oui, la voix de Dieu est cet élément qui nous permet de lire les événements que nous vivons.

Sur le Sinaï, il y avait des éclairs et un bruit semblable au son d’un cor très puissant. Le peuple tremblait et devait rester en bas de la montagne. Le Sinaï était comme la fumée d’une fournaise, puis il se mit à y avoir un violent tremblement de terre. Ce n’est pas par hasard si la vie de Moïse a inspiré le cinéma : elle n’est haute en couleurs. Nous avons tous à l’esprit le film Les dix commandements. Cette révélation de Dieu au Sinaï est impressionnante et inquiétante à la fois. Et c’est lorsque le son du cor s’amplifie encore que Moïse se met à s’entretenir avec Dieu. Et alors Dieu lui répond. Mais il ne lui répond pas par une voix directement intelligible : il lui répond par le fracas du tonnerre.

Moïse était là comme un filtre pour interpréter, pour décoder, pour décrypter tous ces événements qui paraissaient effrayants. Parce qu’à la différence du peuple, Moïse avait une véritable connaissance de Dieu. Moïse ne se méprenait pas sur Dieu. Moïse ne se faisait pas une fausse image de Dieu. Moïse n’a jamais fait de Dieu une idole. Quant au peuple – et parmi lui même les prêtres -, c’est à eux que Dieu leur fait dire de ne pas se précipiter vers la montagne, pour qu’ils n’encourent pas le risque d’être frappés par lui.

Et c’est ce que nous redit l’épître aux Hébreux avec d’autres mots : Vous ne vous êtes pas approchés d’une réalité palpable, feu qui s’est consumé, obscurité, ténèbres, ouragan, son de trompette […], mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de la ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, et des myriades d’anges en réunion de fête, et de l’assemblée des premiers-nés, dont les noms sont inscrits dans les cieux, et de Dieu, le juge de tous, et des esprits des justes parvenus à l’accomplissement, et de Jésus, médiateur d’une alliance neuve, et du sang de l’aspersion qui parle mieux encore que celui d’Abel. Toutes choses qui ne sont pas effrayantes mais qui au contraire rassurent.

Désormais, ce ne sont plus les forces telluriques, mais c’est un monde harmonieux, pacifique et serein, dont il est maintenant question : non plus le relief chaotique du Sinaï, mais la montagne de Sion, qui rappelle la présence de Dieu dans le Temple ; non plus ces lieux désertiques, mais la Jérusalem céleste. Non plus le spectacle terrifiant de la nature, mais des anges de Dieu en fête ; non plus un peuple éloigné de Dieu, mais l’assemblée des justes ; non plus l’ancienne, mais la nouvelle alliance, fondée sur la grâce.

Car cette voix, cette parole, c’est bien la parole de la grâce. Elle est venue au peuple grâce à Moïse. Cette parole est venue aussi à nous, par Jésus-Christ. Elle a fait de nous des fils, comme le dit Paul dans l’épître aux Galates.

Nous le voyons, la grâce n’est pas venue s’ajouter après-coup, avec le nouveau Testament. Elle était déjà présente dans le Premier Testament, sous l’ancienne alliance. Elle était là alors que le peuple n’avait pas encore reçu les tables de la Loi. La grâce était déjà là, et elle a juste été manifestée, elle a juste été rendue publique, par Jésus-Christ. Comme Moïse, Jésus-Christ est venu vers nous en médiateur. Ce rôle de médiateur, il l’a porté à son plein accomplissement.

Et c’est cette même parole de la grâce qui aujourd’hui nous permet de relire les événements de nos vies, parfois menaçants, c’est cette même parole de la grâce qui aujourd’hui nous permet de relire les événements de nos vies dans la sérénité, sous le regard de Dieu.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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