Ecoute, Israël ! – Deutéronome 6, 2-6

On a dit que l’homme était un animal religieux. Les rites religieux remontent très loin dans le temps. Ce mois de novembre nous le rappelle : ces rites, ce sont d’abord les rites funéraires. Ce qui caractérise très vite l’espèce humaine, c’est ce besoin qu’elle a d’enterrer ses morts. Les rites funéraires sont les balbutiements de la religion.

 

Et dans sa relation à ce qui le dépasse, le premier réflexe de l’homme est de faire quelque chose pour mettre de son côté les forces qui lui échappent. Son premier réflexe est d’entrer dans un marchandage, dans un donnant-donnant. Lorsque l’homme a vu des divinités derrière les forces cosmiques, il a continué à se rassurer de cette manière.

Les Ecritures ne passent pas sous silence cette tendance caractéristique de l’humanité, mais pour la dénoncer comme un odieux trafic. Et ça a été la grande redécouverte de la Réforme que de remettre au centre de la vie chrétienne le salut par la grâce seule, sans le secours des œuvres.

La dénonciation de ce marchandage entre l’homme et Dieu trouve son origine dans notre texte. Ce passage du Deutéronome exprime la quintessence de la Loi : la Loi, qui renvoie bien entendu aux Dix commandements, mais aussi plus largement à l’ensemble des commandements – En tout, les Juifs en comptent 613. Ce texte n’est rien d’autre qu’un rappel, un rappel pour que le peuple ne tombe pas dans une obéissance tatillonne et sans intelligence, un rappel pour qu’il ne perde pas de vue l’essentiel : ce qui donne son sens à cette Loi, ce qui fait l’esprit de cette Loi.

Et dans ce rappel, les manuscrits hébreux mettent en évidence un verset : ce verset, c’est : Ecoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est le Seigneur un. C’est la traduction de la TOB. Mais on pourrait traduire aussi : Ecoute, Israël, Le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un. Pour faire ressortir ce verset, les manuscrits hébreux écrivent la première et la dernière lettre avec des lettres plus grosses. C’est un peu comme si nous, en français, nous écrivions une phrase en lettres capitales.

Ce verset, c’est le shema Israël. Les Juifs, aujourd’hui encore, le répètent chaque jour, au début et à la fin de la journée. Ainsi, chaque Juif pratiquant, tout au long de sa vie, est accompagné par ce leitmotiv : Ecoute, Israël, Le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un. Sa vie entière en est imprégnée. Il vaut donc la peine de nous arrêter dessus.

Ecoute, Israël, Le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un. Ce verset dit deux choses :

– Il dit d’abord que Dieu parle, que Dieu nous parle.

– Mais il dit aussi que Dieu n’est pas partagé, que Dieu n’est pas divisé en lui-même, puisqu’il n’est pas plusieurs, mais un seul. Et si Dieu est unifié, ce qu’il dit est donc cohérent et intelligible.

Dans sa relation à Dieu, l’homme n’est finalement appelé qu’à faire une seule chose : à écouter ce Dieu qui prend l’initiative de lui parler. Car c’est bien Dieu qui prend l’initiative de parler à l’homme.

Mais comment Dieu nous parle-t-il ? Qu’est-ce que cette Parole de Dieu ?

Cette Parole, le Nouveau Testament nous dit qu’elle est d’abord par une personne : Jésus-Christ, la Parole incarnée de Dieu. Le christianisme n’est pas une religion du Livre, comme on l’entend parfois, mais la religion de la Parole. C’est donc avant tout par la vie et l’œuvre de Jésus-Christ que la Parole de Dieu s’offre à nous.

Nous le voyons bien, nous n’avons pas là un rapport de donnant-donnant entre l’homme et Dieu. Ici, l’homme n’est pas invité à pratiquer tel ou tel rite religieux. Il lui est simplement demandé de se trouver face à Dieu. Coram Deo, pour employer l’expression de Luther. C’est une invitation à nous mettre dans une attitude d’écoute, de réceptivité, d’accueil. Il n’y a rien ici dont l’homme pourrait se prévaloir pour s’assurer les faveurs divines.

Et si nous nous tournons vers Dieu par Jésus-Christ, nous ne resterons pas dans un face à face enfermant, mais nous serons conduits à nous tourner vers l’extérieur. C’est ce que dit Jésus dans ce texte de l’Evangile : lorsque le scribe l’interroge sur le premier de tous les commandements, il lui rappelle cette injonction capitale : Ecoute, Israël, Le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et il la fait suivre d’une autre injonction : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Oui, le face à face avec Dieu nous fait entrer dans une relation qui ne nous enferme pas dans une relation duelle, mais qui au contraire nous ouvre vers les autres, nos frères.

Débarrassé par Jésus-Christ de toute mauvaise conscience susceptible d’entraver notre relation, nous sommes alors totalement réceptifs à la Parole de Dieu pour nous. Cette Parole de Dieu, nous la découvrons dans les Ecritures ; nous la découvrons dans les sacrements ; nous la découvrons dans la beauté de la nature et la beauté des arts. Oui, la personne et l’œuvre de Jésus-Christ est la garantie d’une véritable rencontre entre Dieu et l’homme.

Mais cette rencontre n’est pas une expérience de tout repos pour nous, dans la mesure où elle nous remet à notre juste place devant Dieu. Cette rencontre nous fait exister, mais elle n’est pas facile car elle nous confronte à nos manques et à nos insuffisances. C’est pourquoi cette Parole de Dieu pour nous, nous la trouvons tout particulièrement chaque fois que nous sommes confrontés à une remise en question. Ainsi, écouter Dieu nous conduit à écouter l’autre, quel qu’il soit, l’autre qui un jour pourra être Parole de Dieu pour nous ; écouter Dieu nous conduit aussi à nous rendre attentifs aux circonstances de nos vies, bref, à tout ce qui peut nous remettre en question, à tout ce qui peut nous faire évoluer, à tout ce qui peut nous faire avancer sur notre chemin de foi.

Mais cette rencontre, même si elle est parfois difficile, elle n’est jamais désespérante : lorsque nous avons retrouvé notre juste place devant Dieu, nous prenons conscience qu’il n’est pas un juge impitoyable, mais un père aimant.

Et puis il y a une autre difficulté, peut-être encore plus déstabilisante : c’est que ce dialogue entre Dieu et l’homme est d’une nature particulière. Il n’est pas comme celui que nous pouvons avoir avec nos semblables, qui réagissent immédiatement à ce que nous disons. Dieu, lui, est hors du temps, et il s’adresse à un homme qui est dans le temps. La prière n’est donc pas une suite continue de questions-réponses, comme avec un vis-à-vis qui réagit dans l’instant. Il peut s’écouler du temps, il peut y avoir de longs silences entre les questions et les réponses. C’est, je crois, la grande difficulté dans toute vie de prière.

Mais ces silences ne doivent ni nous dérouter, ni nous décourager. Pour nous aider, les Ecritures mettent à notre disposition des textes pour la prière, pour que nous nous en inspirions : ce sont les Psaumes. Jacques Ellul disait que la prière est la rencontre sous forme du dialogue de la Parole de Dieu et de la parole humaine.

Le fait que Dieu prend l’initiative de nous parler ne signifie pas que l’homme reste passif, mais simplement qu’il entre dans un dialogue qui a été voulu par Dieu. C’est tout le sens de la prière. En fait, ce petit commandement, Ecoute, Israël, Le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un, nous donne la clef de tout : Et si tout n’était qu’une question de réceptivité, d’attention à l’essentiel par l’Esprit que Dieu a mis en nous ? Si tout ce qui nous était demandé, c’était simplement de vivre avec attention pour discerner ce qui fait l’essentiel de notre existence. Ou, pour parler comme saint Augustin, ce qui fait la vie de notre vie ?

Amen.

Bernard Mourou

 

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