Ephésiens 2, 4-10 – Le salut

Les épîtres forment avec les Evangiles la plus grande partie du Nouveau Testament. Ce sont des lettres. Elles sont adressées la plupart du temps à des communautés chrétiennes locales et parfois à des particuliers.

L’épître aux Ephésiens est une lettre destinée à une communauté chrétienne locale, mais nous avons sans doute affaire à une lettre circulaire, donc à une lettre à destination de plusieurs localités, parc e que le nom d’Ephèse ne figure pas dans tous les manuscrits. Cette lettre a probablement été écrite pour différentes communautés chrétiennes de la province d’Asie, qui correspond à la Turquie actuelle.

Nous savons donc peu de choses sur le contexte qui a présidé à sa rédaction. Mais ce n’est pas très important : ce qui nous intéresse, c’est ce qu’elle peut nous dire aujourd’hui. Dans ces lettres circulaires, on abordait des sujets généraux, comme celui qui nous occupe ce matin : la question du salut.

Le style de cette épître est particulier, il se caractérise par des phrases très longues, ce qui ne facilite pas la compréhension. Elle n’a sans doute pas été écrite par l’apôtre Paul, comme on l’a longtemps cru, mais par un de ses disciples. Un tel procédé était fréquent à l’époque : on mettait un texte sous l’égide d’un personnage de renom.

Dans le passage que nous avons lu, il est question de vie et de mort, de lumière et de ténèbres, de jugement et de salut. Oui, le salut, c’est bien le thème de ce passage, il nous en brosse un tableau détaillé.

Cette question du salut a toujours été au centre de l’annonce évangélique. Au cours de l’histoire, l’Eglise catholique s’en est servie pour en faire un instrument de crainte, en brandissant devant les fidèles la menace du Jugement dernier et de la damnation éternelle. C’est dans ce contexte, avec une grande acuité, que la question du salut s’est posée à Martin Luther ; sa réponse a été la Réforme. Au XIXe siècle, le mouvement du « réveil » dans les Eglises protestantes a fait resurgir la crainte du châtiment divin.

C’est un peu comme si cette nécessité de devoir être sauvé était inhérente à la condition humaine. Et aujourd’hui, si les questions du Jugement divin n’occupent plus le devant de la scène, cela ne signifie pas que pour autant que nous en avons fini avec la question du salut, mais qu’elle a simplement pris une autre forme.

Alors, qu’est-ce que cette question du salut signifie pour nous aujourd’hui ? Dans la vie courante, on dira par exemple qu’une personne est sauvée de la noyade si quelqu’un est capable de la sortir de l’eau et de la ramener sur la terre ferme. On est toujours sauvé d’une situation périlleuse qui peut entraîner la mort. Mais aujourd’hui, nos contemporains n’ont plus peur des peines éternelles, et la question de Dieu ne s’impose plus à tous.

Alors quel est ce salut dont nous parlons ? Et quelle conception du salut une société sans Dieu peut-elle avoir ? Nous ne sommes plus dans le contexte du Nouveau Testament où la nécessité de la loi morale voulue par Dieu s’imposait à la majorité de la population.

De quoi avons-nous besoin d’être sauvés aujourd’hui ? de la maladie ? des problèmes familiaux ou professionnels ? des problèmes écologiques ? du fléau du fondamentalisme ? Et puis sauvé par qui, si la question de Dieu n’est plus évidente pour tous ? L’être humain peut-il se sauver lui-même ?

Nous voyons que la question du salut ne va plus de soi aujourd’hui. Nos contemporains sont en fait moins préoccupés par leur salut dans le monde à venir que par leur bien-être en ce monde. Si nos contemporains s’intéressent encore à Dieu, c’est souvent seulement dans la mesure où il se manifeste dans ce monde et dans leurs vies. Et comme nous sommes forcément influencés par la société dans laquelle nous vivons, nous aussi, nous sommes influencés par cette manière de voir.

Déjà en 1976, le philosophe Martin Heidegger déclarait dans un entretien : Seul un Dieu peut encore nous sauver. Oui, seul un Dieu peut nous sauver. C’est ce que Luther appelait le salut extra nos, c’est-à-dire un salut qui ne vient pas de nous, un salut qui est extérieur à nous. Et si le salut est extérieur à nous, il ne peut être que le fruit de la grâce divine.

Notre expérience nous montre que, croyants ou non croyants, nous sommes tous confrontés aux mêmes problèmes, nos circonstances de vie ne sont pas différentes. Alors, quel avantage y a-t-il à croire en l’Evangile.

Revenons à notre passage ; il nous promet une chose : il nous promet l’assurance de vivre avec le Christ : Il nous a fait revivre avec le Christ. Le texte est clair et il ne nous laisse pas entendre que Dieu viendrait combler nos besoins, nos désirs et nos manques, même s’il n’est pas exclu qu’il le fasse.

Le texte ne nous parle que d’une chose : il ne nous parle que de notre union avec Jésus-Christ, c’est ainsi que traduit la version en français courant la préposition dans : nous sommes dans le Christ.

Dès lors, le chrétien n’est plus un être autonome, il est un être en communion, en communion avec le Christ et en communion avec les autres. Et c’est bien le sens de la sainte Cène que nous allons prendre tout à l’heure. Nous allons communier avec le Christ et les uns avec les autres.

C’est pour cela aussi que le croyant a un autre rapport au temps : s’il est en communion avec le Christ, il est déjà ressuscité avec lui, parce que pour lui le temps n’existe plus non plus. Vous avez remarqué que l’auteur de cette lettre n’utilise ni le futur, ni le présent, mais le passé : Dieu nous a fait revivre, vous avez été sauvés, il nous a ramenés de la mort. C’est fait. Ce n’est pas encore une réalité sensible, mais c’est une réalité perceptible par la foi.

Le salut dont parle l’épître aux Ephésiens est efficace car il ne vient pas de nous. C’est le salut extra nos dont parlait Martin Luther. L’être humain n’est pas en mesure de se sauver lui-même, il ne peut pas être l’auteur de son salut, pas plus que la personne qui se noie n’est à même de se ramener elle-même sur la rive.

Finalement, en nous mettant dans la présence du Christ, Dieu nous sauve avant tout de nous-mêmes. Et ce salut est déjà effectif, même si nous n’en voyons pas toutes les conséquences aujourd’hui : comme l’apôtre Paul lui-même le rappelle dans son épître aux Romains : c’est en espérance que nous sommes sauvés. Que cette espérance d’un salut parfait nous accompagne chaque jour de notre vie.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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