Esaïe 63, 16-64, 7 – Si seulement tu déchirais le ciel !

Aujourd’hui dans notre temple, vous avez remarqué, la couleur liturgique changé : derrière moi, ce n’est plus le vert du temps ordinaire qui prédomine, mais c’est le violet, le violet : la couleur de l’attente. Aujourd’hui, nous sommes passés du temps ordinaire au temps de Noël. Aujourd’hui, c’est le premier dimanche de l’Avent, et nous avons allumé la première bougie de cette couronne de l’Avent que Lina a confectionnée. Aujourd’hui, seulement quatre dimanches nous séparent de Noël.

Le premier dimanche de l’Avent marque le début de notre nouvelle année liturgique, parce que l’année liturgique ne commence pas le 1er janvier : elle commence aujourd’hui, en ce premier dimanche de l’Avent. Pour nous aujourd’hui, ce dimanche marque un nouveau commencement.

Notre liturgie commence par ce temps d’attente de l’Avent, parce que l’attente fait partie intégrante de la vie chrétienne. Oui, notre année liturgique commence par un temps d’attente. Avent veut dire avènement. Le texte du livre d’Esaïe qui nous est proposé pour ce premier dimanche de l’Avent nous met donc sur la voie de quelque chose qui advient, sur la voie d’un nouveau commencement.

En ce premier dimanche de l’Avent, le texte qui nous est proposé contient une image forte, une image qui frappe l’imagination : Si seulement tu déchirais le ciel !

En ce premier dimanche de l’Avent, c’est donc une prière qui retentit et qui ouvre notre année liturgique : Si seulement tu déchirais le ciel !

Car au moment où cette parole a été prononcée, pour le peuple de Dieu la situation n’était pas brillante : Ton peuple saint n’a pris possession du pays que pour peu de temps ; nos ennemis ont foulé ton sanctuaire. Nous sommes depuis toujours comme ceux que tu ne gouvernes pas, sur qui ton nom n’est pas proclamé… Un constat d’échec, un constat sans appel, le constat d’une réalité implacable : le peuple d’Israël s’était éloigné du Seigneur, il n’avait pas pu prendre durablement possession du pays et les ennemis avaient eu le dessus. Devant des défis insurmontables, les capacités humaines étaient insuffisantes. Et il y a cette belle image, cette image familière de ces jours d’automne : Nous sommes tous flétris comme des feuilles mortes, et nos fautes nous emportent comme le vent. Ces feuilles qui ne sont plus nourries par la sève de l’arbre, ces feuilles qui ne sont plus reliées à la vie, elles sont racornies et abandonnées aux caprices du vent…

Dans ce sombre tableau, est-ce que nous ne reconnaissons pas notre monde d’aujourd’hui ? Ce monde où tout change très vite, où tout s’efface, où rien ne laisse de traces. Les fondements nécessaires pour construire une société stable ont été méprisés, la source de la vie a été abandonnée. Comme les Israélites, beaucoup pourraient dire aujourd’hui qu’ils sont tous flétris comme des feuilles mortes, et que leurs fautes les emportent comme le vent. Dans ce contexte, qu’en est-il de nos Eglises ? Espérons qu’elles ne se détacheront jamais de la sève, de la source de la vie, et qu’elles seront autant d’abris au milieu de la tempête.

Dans ce contexte alarmant, n’avons-nous pas souvent l’impression que Dieu se tait, alors que nous aimerions le voir intervenir d’une manière fracassante ? Si seulement il déchirait le ciel ! Devant tous les défis, devant toutes les situations absurdes sur lesquelles nous n’avons aucune prise, nous aimerions tellement une intervention de Dieu, une intervention miraculeuse. Si seulement il déchirait le ciel ! Mais Dieu n’intervient pas : il continue de se taire. Oui, bien souvent, c’est au silence de Dieu que nous sommes confrontés, un silence qui nous interroge.

Ce silence nous interroge parce que le Dieu d’Israël est un Dieu de la Parole. C’est un Dieu qui parle. C’est un Dieu qui nous parle. C’est même sa caractéristique principale face aux dieux des peuples qui environnent Israël. Dieu parle de multiples manières. Dans le premier Testament, il lui arrive de parler à travers les prophètes, ces porte-parole de Dieu.

Beaucoup de textes prophétiques annoncent la venue d’un libérateur, d’un rédempteur. Un rédempteur, il en est question ici dans notre passage. Mais il n’y a pas que ça : il y a une autre annonce, une annonce novatrice. Cinq siècles avant la venue de Jésus-Christ, le prophète présente Dieu comme un père. C’est par cela que commence et que finit notre texte. Cette annonce que Dieu est un père encadre notre passage. Au début nous avons : C’est toi qui es notre Père. Et à la fin : Pourtant, Seigneur, tu es notre Père. Oui, bien avant que Jésus ouvre pour nous un chemin vers le Père, il y a déjà dans le premier Testament, cinq siècles avant Jésus-Christ, cette idée que la relation à Dieu est une relation filiale, une relation de père à fils.

Et dans cette relation, personne ne doit venir faire écran, pas même Abraham, le premier patriarche, pas même Jacob-Israël, qui a donné son nom au peuple de Dieu. Pourtant, Abraham et Israël pourraient tout à fait passer pour les pères de ce peuple. Eh bien non, cette relation n’autorise aucune médiation, aucun intermédiaire. La relation qui est proposée au peuple ne repose pas sur des hommes, mais sur Dieu lui-même.

Ce texte commence et finit par le fait que Dieu est un père. Pourtant, entre le début et la fin du texte quelque chose change.

Il y a d’abord ce petit mot pourtant à la fin de notre texte : Pourtant, Seigneur, tu es notre Père. Ce petit mot renvoie au constat qui a été fait, le constat de la triste réalité : la victoire des ennemis, le péché du peuple, le silence de Dieu. Si seulement il déchirait le ciel ! Les Israélites sont tous flétris comme des feuilles mortes, et leurs fautes les emportent comme le vent. Pourtant, malgré tout cela, malgré toutes ces difficultés, Dieu est un père pour son peuple. Oui, toutes les difficultés n’entament pas cette vérité essentielle que Dieu reste un père pour son peuple. Que Dieu soit un père pour son peuple n’empêche pas les difficultés, et donc les incompréhensions. Si Dieu est un père pour son peuple, alors pourquoi garde-t-il le silence ? Pourquoi n’intervient-il pas ? Si seulement il déchirait le ciel !

La réponse est peut-être dans le second élément, qui apparaît tout à la fin : Nous sommes l’argile, tu es notre potier : nous sommes tous l’œuvre de tes mains. Voilà ce qui vient nous rassurer, parce que dans les difficultés, il n’y a rien de pire que l’absurdité, rien de pire que l’absence de sens. Notre incapacité à comprendre les difficultés que nous traversons les rend bien plus pénibles à vivre. Mais si Dieu est l’artisan-potier qui forme son vase, si Dieu poursuit une œuvre, c’est que de ces difficultés que nous pouvons être amenés à rencontrer, va surgir quelque chose qui a un sens, une signification. Etre conscient de cela, c’est avoir l’assurance que toute situation de désarroi ne relève pas forcément de l’absurde. Etre conscient de cela donne du sens à notre attente.

Alors, dans les difficultés de nos vies, lorsque nous avons l’impression d’être flétris comme des feuilles mortes, et d’être emportés comme le vent, lorsque nous avons envie de supplier Dieu de déchirer le ciel, ce texte du Premier Testament nous donne une assurance : l’assurance que toutes les difficultés que nous pouvons rencontrer ne relèvent pas de l’absurde, l’assurance que les diverses épreuves qui peuvent nous assaillir à certains moments de nos vies, et que nous aimerions voir aussitôt balayées par une puissante intervention de Dieu, que ces diverses épreuves font partie d’un processus, un processus qui certes peut nous échapper, mais qui n’échappe pas à Dieu : comme l’artisan-potier qui travaille l’argile informe et malléable, Dieu sait quel vase il se propose de créer. Le temps que nous vivons aujourd’hui est un temps d’attente, où ce travail de création est commencé, mais pas encore achevé. Sachons donc vivre ce temps d’attente dans une confiance filiale envers notre créateur, une confiance qui donnera du sens à ce que nous vivons.

Amen.

Bernard Mourou

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