Genèse 2, 28-24 – Au commencement était le langage

 

Pasteur Bernard Mourou

Cette année, notre paroisse a pris comme sujet de réflexion le thème de la diversité.

Cette question de la diversité sous-tend toute la Bible. Elle apparaît dès les premières pages de la Genèse, dans le récit de la création.

En fait, il faudrait plutôt parler des récits de la création, car il y a deux récits qui se suivent et qui ne disent pas tout à fait la même chose, ce qui, soulignons-le au passage, nous interdit d’emblée toute lecture univoque, littéraliste, de la Bible.

Mais les deux récits de la création ont un point commun : ils insistent tous les deux sur le rôle de la parole, du langage. Le premier récit met en scène un Dieu qui crée l’univers par sa parole, et le second montre l’être humain qui donne un nom à ce qui l’entoure.

C’est par le langage que Dieu crée l’univers, et c’est par le langage que l’être humain, qui est à l’image de Dieu, est appelé à devenir créateur à son tour.  Notre texte d’aujourd’hui est tiré de ce second récit.

Dans ce texte, nous voyons que l’être humain a pour première vocation de répertorier tout ce qui constitue son environnement.

Son environnement, ce sont les êtres vivants que Dieu a créés avant lui. L’être humain donne un nom à chaque animal.

Sa tâche consiste en quelque sorte à créer le premier répertoire, le premier dictionnaire.

En procédant ainsi, l’être humain permet aux animaux qui vivent autour de lui d’exister pour lui, dans le monde intelligible.

Nous vivons dans le monde de l’image, et nous pouvons être tentés de nous en contenter. Cependant l’univers n’a pas de signification si nous le limitons à ce que nous voyons. Les images ont toujours besoin d’être éclairées par des mots. Elles ne prennent leur sens que grâce au langage.

Le langage organise notre environnement de manière intelligible. Il lui donne une cohérence. Il ne s’agit pas de posséder la vérité, mais de maîtriser un langage qui puisse rendre compte avec précision du réel et lui donner du sens.

L’être humain trouve un nom pour désigner de manière précise chaque animal. Il fait ainsi entrer le langage dans son rapport aux êtres.

Cela, les animaux en sont incapables. L’être humain, qui a désormais accès au registre symbolique, en ressent une frustration.

L’être humain franchit là une étape capitale, car cette appropriation du langage va lui permettre de prendre de la distance : désormais il ne sera plus une créature androgyne, mais une créature sexuellement différenciée : l’homme va trouver dans la femme son vis-à-vis, son alter ego.

Pour Christian Bobin, nommer ce qu’on aime, c’est l’aimer encore mieux. Il est donc tout naturel que dans notre récit la femme apparaisse au moment où naît langage.

Dans ce même ordre d’idées, il existe en Catalogne une très belle coutume, qui veut qu’au moins une fois dans l’année, les hommes offrent des roses aux femmes et en retour reçoivent d’elles un livre.

Dès lors, pour avoir un véritable interlocuteur, l’homme doit trouver face à lui un être qui aura lui aussi cette même faculté. Ce sera la femme.

La femme est à la fois semblable à l’homme, et en même temps différente. Elle est cet être de langage qui empêchera l’homme de s’enfermer sur lui-même en devenant son vis-à-vis. Entre les deux, un dialogue va pouvoir s’engager.

Dans son roman 1984, publié au lendemain de la Seconde guerre mondiale, George Orwell imagine la société future. Il montre le rôle que pourrait jouer la langue dans la création d’une société nouvelle. C’est la « novlangue » : une langue créée tout exprès pour modeler les esprits.

En Allemagne, sous le régime nazi, Victor Klemperer notait tous mots forgés pour transformer la société. De ces mots nouveaux, il avait fait un dictionnaire qu’il avait intitulé La langue du Troisième Reich.  

Et si nous cherchions bien, nous pourrions trouver aujourd’hui aussi de telles expressions nouvelles qui finissent par modifier les mentalités.

Agir sur la langue a des conséquences, car elle est le gage de notre liberté. C’est pourquoi il convient de ne pas la négliger, mais d’en prendre soin, car c’est elle qui nous donne notre vision du monde, c’est elle qui filtre ce que nous percevons de notre environnement. Si notre langue est pauvre, alors notre perception du monde sera pauvre elle aussi, nous manquerons les subtilités qu’il est à même de nous offrir.

Dans l’histoire, les protestants ont montré leur attachement à leur langue. C’est elle qui leur donnait accès à la Bible. C’est pourquoi les Réformateurs ont fondé des écoles pour que les enfants puissent apprendre à lire et à écrire.

Les premiers versets de la Genèse attirent notre attention sur l’importance du langage pour le fonctionnement harmonieux de toute société, dont le couple constitue la plus petite cellule.

La langue nous donne notre identité. Elle nous a été donnée. Nous sommes redevables aux générations qui nous ont précédés et qui nous ont transmis notre langue. Grâce à elle, nous pouvons mieux vivre avec nous-mêmes et avec les autres. Ce bien si précieux, nous avons le devoir de protéger.

Amen

 

 

 

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