Genèse 9, 8-115 – L’arc-en-ciel

Dès les premiers temps de l’Eglise, il s’est levé des gens pour dire que le Dieu de l’Ancien Alliance était différent de celui que nous révèle le Nouveau Testament à travers Jésus-Christ. Et aujourd’hui encore, certains émettent toujours cette idée que l’Ancien Testament parlerait d’un Dieu menaçant. D’un Dieu cruel. Qu’en est-il vraiment ? Ce texte de l’Ancien Testament, qui parle de la toute première alliance entre Dieu et l’homme, nous donne des éléments de réponse.

Avec ce récit de Noé, le texte biblique d’aujourd’hui nous présente un Dieu qui se sert de l’arc-en-ciel un peu comme si nous, nous nous faisions un nœud autour de notre doigt pour nous rappeler quelque chose que nous ne devons absolument pas oublier. Nous avons chacun nos méthodes pour ne pas oublier ce qui est important. Pour ma part j’ai toujours sur moi un petit carnet sur lequel je note les choses au moment où j’y pense. Dans cette histoire, Dieu fait exactement la même chose au moyen de l’arc-en-ciel. Il se sert de l’arc-en-ciel pour se rappeler une chose de la plus haute importance : rien moins que la première alliance contractée avec l’humanité, après le déluge, la promesse que plus jamais un déluge ne reviendra submerger la terre, une promesse de vie et d’espérance.

Les Ecritures sont écrites dans une langue concrète, dans une langue imagée. C’est le propre de la langue hébraïque que de recourir constamment aux images concrètes. Et de fait, toute alliance comporte un signe visible. Ce signe visible, ce souvenir, ce sera l’arc-en-ciel. L’arc-en-ciel n’est pas choisi au hasard : sa symbolique est riche de significations.

D’abord cette alliance qui utilise l’arc-en-ciel renvoie à la lumière. La lumière est ce qui nous permet de voir, de discerner ; elle s’oppose aux ténèbres. Dieu se place toujours du côté de la lumière. Mais cette lumière n’est pas celle qu’on voit tous les jours, c’est une lumière en habits de fête, une lumière diffractée, décomposée en une infinité de couleurs, parmi lesquelles, depuis Newton, nous en distinguons sept : le rouge, l’orange, le vert, le jaune, le bleu, l’indigo et le violet. Bien sûr, ces sept couleurs sont arbitraires ; dans d’autres cultures, l’arc-en-ciel comporte un nombre différent de couleurs. En réalité, un arc-en-ciel comporte bien plus de sept couleurs : dans l’arc-en-ciel sont présentes absolument toutes les nuances des couleurs.

L’arc-en-ciel nous montre la lumière dans toute sa diversité. La diversité est inscrite comme constitutive de cette première alliance. Et nous savons combien la diversité est vitale pour l’Eglise. Sans la diversité, l’Eglise s’appauvrit et se sclérose, comme s’appauvrit et se sclérose tout groupement humain qui serait tourné exclusivement sur lui-même et ne prendrait plus en compte l’altérité.

Ensuite cette alliance renvoie à l’infini. L’arc-en-ciel s’inscrit sur le ciel même, un espace sans limite, et il décrit un cercle, lui-même symbole de l’infini. Mais ce cercle n’est pas complet : ce n’est qu’un arc de cercle qui vient se poser sur la terre. L’arc-en-ciel, c’est l’infini qui vient rejoindre la terre, un infini qui n’est pas séparé de notre humanité, un infini qui vient nous rejoindre, comme le Christ nous a rejoints dans l’Incarnation.

Sans l’infini, la terre n’est plus reliée au ciel, sans l’infini, la terre ne sort pas de sa matérialité. La terre a besoin de l’arc-en-ciel. L’arc-en-ciel vient dans un ciel d’orage, après la pluie ; il marque le passage d’une averse à une éclaircie.

Et puis cette alliance renvoie à la constance. Vous vous êtes peut-être amusés, quand vous étiez enfants, à courir après un arc-en-ciel, pour tenter de passer sous cette arche multicolore, et alors vous constatiez qu’il se déplaçait en même temps que vous.

Un arc-en-ciel nous échappe toujours : on ne peut pas mettre la main dessus, le saisir, se l’approprier. Que l’on s’en rapproche ou que l’on s’en éloigne, l’arc-en-ciel nous apparaît toujours à la même distance, comme s’il bougeait dans le paysage et restait toujours à égale de distance de nous : reculant quand nous avançons et avançant quand nous reculons, comme s’il n’était pas dépendant de notre action.

Il donne l’image d’une parfaite stabilité. Et si l’arc-en-ciel recule quand nous avançons et avance quand nous reculons, c’est un signe qui nous fait aussi comprendre que l’alliance de Dieu dépend de lui seul et non de nos propres actions. Dieu garde sa fidélité envers nous d’abord parce qu’il est fidèle à lui-même.

Enfin, cette alliance n’est pas une entente entre des partenaires égaux : c’est une décision unilatérale. C’est Dieu qui l’a voulu ainsi, et lui seul. Le rôle de l’homme se réduit à ratifier cette alliance, à reconnaître cette offre, à accueillir la proposition qu’il lui fait.

Le mot hébreu que nous traduisons par arc-en-ciel signifie un arc de guerre. C’est le contexte qui oblige les traducteurs à employer le terme arc-en-ciel. Mais le texte hébreu parle seulement d’un arc. Il montre par là que Dieu a posé son arc de guerre, qu’il n’emploiera plus d’armes pour détruire l’homme et la terre. Dieu dépose les armes, non par faiblesse, mais par amour pour l’homme. C’est pour cette unique raison que Dieu renonce à se battre contre l’homme.

Nous voyons donc que ce texte de l’Ancien Testament ne nous montre pas un Dieu cruel et vengeur, mais un Dieu de lumière qui respecte la diversité, un Dieu dont la perfection infinie rejoint la finitude de notre humanité, un Dieu qui est fidèle à l’homme parce qu’il est fidèle à lui-même, un Dieu qui ne reste pas éloigné de l’homme, mais qui va au-devant de lui.

Mais alors, vous me direz peut-être : Dieu a promis de ne plus faire venir le déluge sur la terre, pourtant il y a dans les Ecritures des textes qui annoncent que la terre sera détruite. C’est vrai. Mais ces textes qui annoncent que la terre sera détruite annoncent aussi de nouveaux cieux et une nouvelle terre : nous le voyons, Dieu n’abandonne pas son projet.

Cette alliance vise non seulement l’homme, mais aussi les animaux, toute la Création. C’est un programme écologique avant l’heure. Et cette alliance ne concerne pas que Noé et les siens, mais aussi toutes les générations futures. Toutes les générations qui viendront après lui. C’est-à-dire nous et tous ceux qui viendront après nous.

Alors, non, il n’y a pas de rupture entre l’Ancien et le Nouveau Testament, mais au contraire une grande continuité. Ce texte de la Genèse parle déjà de Dieu tel qu’il nous a été révélé en Jésus-Christ. Oui, c’est bien le Dieu de la grâce dont nous parle cette première alliance concrétisée avec l’arc-en-ciel. C’est ce Dieu qui laisse l’homme libre et refuse les solutions radicales. Les eaux ne deviendront plus un déluge pour détruire : une merveilleuse promesse, mais une promesse exigeante, qui responsabilise l’homme.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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