Hébreux 11, 1-19 : La foi : l’accueil d’une parole

La foi est au cœur du christianisme, c’est une évidence pour chacun de nous. Et ce matin voici ce texte de l’épître aux hébreux, un texte qui nous dit justement ce qu’est véritablement la foi chrétienne. Et contrairement à d’autres passages des Ecritures, ce texte n’est pas trop déroutant pour nous, il est assez accessible, parce que, dans ce passage précis, l’auteur a une manière de penser et d’agencer ses idées qui est finalement proche de la nôtre.

Lorsque j’étais en Terminale, mon professeur de philosophie nous demandait, pour rédiger une dissertation, de procéder en deux temps : il nous demandait, dans un premier temps, d’avancer un argument, puis dans un second temps, de l’illustrer. Eh bien, c’est exactement ce que fait ici notre auteur : il affirme, et il montre ; il présente une définition théorique de la foi, et tout de suite après, il nous donne de la comprendre en recourant à une illustration, une illustration qui fait intervenir des personnages de l’ancienne Alliance. Le découpage de notre texte le fait s’arrêter après cinq personnages, mais dans l’épître, il y en a beaucoup plus : l’auteur convoque tous les personnages emblématiques de l’Ancien Testament, jusqu’au peuple juif lui-même.

Vous l’avez compris : il vaut la peine de se pencher sur ce texte. Je vous propose donc de voir ce que nous pouvons tirer d’abord de cette définition, et ensuite de son illustration.

Dans cette définition, la foi dont il est question n’est pas la foi au sens où nous l’entendons d’habitude dans nos milieux religieux ; la foi dont nous parle ce texte n’est pas la foi subjective, elle n’est pas la foi au sens de la confiance, elle n’est pas la foi au sens de la conviction personnelle ; bref, il ne s’agit pas ici de la foi dans son sens spirituel, tel que nous avons l’habitude de comprendre ce mot aujourd’hui, non, il s’agit de la foi vue de manière objective, c’est-à-dire de la foi qui n’est pas obligatoirement liée à une croyance religieuse.

Cette foi, c’est la foi dont tout le monde fait l’expérience dans la vie quotidienne, qu’il soit croyant ou non : cette foi, c’est celle du malade qui croit ce que lui dit le spécialiste ; cette foi, c’est celle du lecteur qui lit son journal et qui croit ce qu’écrit le journaliste ; cette foi, c’est l’accueil d’une parole en fonction de celui qui la prononce.

Le malade s’appuie sur les mots, sur les paroles d’un autre, de ce spécialiste à qui il fait confiance ; le lecteur du journal s’appuie sur les paroles d’un autre, de cet envoyé spécial qui couvre l’événement ; il ne met pas en doute les faits, il a l’assurance que c’est la réalité, parce que celui qui a parlé est fiable.

Voilà pour la définition. Passons maintenant à l’illustration.

Vous savez comme moi que l’apôtre Paul a abondamment parlé de la foi. Et pour montrer que le salut gratuit n’avait pas été inventé par le christianisme, mais qu’il prenait son origine dans la foi juive, il avait repris les Ecritures, et il était remonté jusqu’à Abraham, dont il avait fait le croyant par excellence : Abraham crut et devint ainsi le père d’un grand nombre de peuples, c’est l’épître aux Romains.

Quant à notre épître aux Hébreux, on a longtemps pensé qu’elle avait été écrite par Paul. Ce n’est plus ce que pensent les exégètes aujourd’hui. Nous avons donc affaire à un autre auteur, un auteur anonyme. Et dans sa démonstration, cet auteur anonyme va plus loin que Paul : il tente d’élargir le propos de Paul en remontant beaucoup plus loin que lui : non pas jusqu’à Abraham, mais Jusqu’à Abel. Abel est dans l’épître aux Hébreux le premier croyant. Puis il continue sa démonstration en montrant que tous les personnages importants de l’ancienne Alliance ont eu cette même démarche de foi.

Il aborde la question sous l’angle historique – peu importe si ces personnages s’apparentent à des figures mythiques, ce qui compte, c’est qu’ils s’inscrivent dans la chronologie des épisodes bibliques. Il aborde la question sous l’angle historique, ce qui lui évite de spéculer sur Dieu. Pour notre auteur, le Dieu des Ecritures est un Dieu qui agit dans l’histoire, à travers des hommes, de manière objective, indépendamment de l’idée que l’on s’en fait.

Nous sommes donc précédés par ces héros de la foi, dont le premier est Abel. Mais regardons de plus près : Abel lui-même est précédé ; il est précédé par une parole : il est précédé par la parole de Dieu. Et nous aussi, nous sommes précédés par cette parole de Dieu qui nous est adressée de la même manière. La foi n’existe que dans la mesure où elle est précédée par des mots, par des paroles. Ces paroles jouent le même rôle que les mots du spécialiste ou du journaliste sur celui qui se fie à leur compétence. Et ici, c’est Dieu qui parle : sa fiabilité ne fait aucun doute.

Notre auteur reprend donc tous les personnages bibliques qui ont compté et pour chacun d’eux, il met en évidence un point particulier : pour Abel, c’est la justice, c’est-à-dire le fait qu’il a été agréé par Dieu ; pour Hénoch, c’est le fait qu’il n’a pas vu la mort – vous vous souvenez qu’avec Elie, Hénoch est le seul personnage biblique dont il nous est dit qu’il est monté au ciel ; pour Noé, c’est que lui et sa famille ont été sauvés du déluge ; pour Abraham, c’est un héritage : l’héritage d’un pays ; pour Sara, c’est une descendance ; et nous pourrions continuer ainsi.

Oui mais voilà : tous ces personnages n’ont pas obtenu de manière tangible ce qu’ils attendaient. Et notre auteur ne le nie pas : il le reconnaît, quand il dit : Dans la foi, ils moururent tous, sans avoir obtenu la réalisation des promesses, mais après les avoir vues et saluées de loin et après s’être reconnus pour étrangers et voyageurs sur la terre.

En fait, tous ces personnages bibliques évoluent entre deux réalités : entre ce qui est déjà réalisé, ce qui est déjà là, et ce qui ne l’est pas encore. Ce qui est déjà là, c’est leur foi, c’est l’assurance de ce qui viendra tôt ou tard. Et nous aussi, comme ces personnages bibliques, nous sommes entre ce qui est déjà là et ce qui n’est pas encore là. Mais comme il en va avec le spécialiste ou le journaliste, il suffit que nous entendions une parole digne de confiance pour que nous ayons un aperçu de la réalité à venir.

Cela nous dit quelque chose d’important sur Dieu – et c’est une des rares choses que nous pouvons affirmer avec certitude : Dieu n’agit pas de manière tonitruante, Dieu n’agit pas de manière à ce que son action soit évidente pour tous. Non, Dieu n’agit pas de manière tonitruante : il agit par la parole, et il respecte ainsi la liberté de l’homme.

Enfin, une dernière remarque : Ce qui est promis à ces personnages, c’est la justification, la vie, le salut, un pays, une postérité. Dans toutes ces choses, il ne s’agit pas de désirs frivoles, mais de besoins essentiels. Nous sommes assurés de recevoir ce qui est essentiel pour nos vies. Le reste, ce sont des détails.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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