Hébreux 2, 9-11 – Jésus-Christ et les anges

Au fil des siècles, les anges ont fait l’objet de nombreuses investigations, et aussi de nombreuses spéculations. Les anges ne sont pas présents seulement dans la tradition chrétienne, on les trouve dans les trois religions monothéistes : dans le judaïsme et dans l’islam.

Mais aujourd’hui, il faut bien reconnaître que les anges sont surtout en vogue dans les milieux ésotériques. Et chez nous ils sont très rarement l’objet des prédications.

Si les anges donnent lieu à toutes sortes de spéculations, c’est parce que les Ecritures en parlent de manière lacunaire : elles donnent des noms à certains et pas à d’autres. Elles évoquent des hiérarchies parmi les anges, sans fournir plus de détails, sans être exhaustives. Elles laissent donc la place aux spéculations de tous ordres.

Pour une fois, aujourd’hui, nous aborderons donc la question des anges, parce que ce texte de l’épître aux hébreux les rend incontournables. Il en est en effet question dans notre passage, de même que de Jésus-Christ et des hommes.

Ce texte mélange ainsi le monde visible et le monde invisible, et pour nous c’est un peu déroutant, il faut bien le dire. Nous pouvons affirmer des choses sur ce qui est visible, mais que pouvons-nous affirmer sur ce qui est invisible ?

Ce que nous savons, c’est que le rôle de tout être créé, qu’il soit visible ou invisible, doit être relativisé, justement parce que toute créature se distingue fondamentalement de Dieu. Dieu est supérieur à toutes les créatures d’une manière absolue.

Les Ecritures présentent les anges comme des créatures, au même titre que les hommes. D’ailleurs, le mot utilisé pour les anges désigne d’abord tout messager, quel qu’il soit. Il s’agit parfois un simple homme, et la frontière entre les deux est très imprécise.

Le rôle des anges est donc d’abord d’être des messagers. En tant que messagers, les anges sont là pour préserver la transcendance de Dieu. Par leur entremise, Dieu n’a pas à agir directement. Il garde ainsi une distance qui rehausse son autorité, un peu comme les émissaires envoyés par un roi permettent au roi de garder de la hauteur et de rester au-dessus des contingences.

En bons messagers, les anges font le lien entre le monde visible et le monde invisible. C’est la raison essentielle de leur présence dans les trois religions monothéistes. Mais étant donné que les anges sont des créatures, leur rôle doit donc être relativisé.

A côté de leur rôle de messagers, les anges sont aussi des spectateurs de la vie des hommes. Rien n’est censé leur échapper. Ils appartiennent à ce monde invisible qui peut pénétrer l’opacité de notre réalité visible. Dans ce monde invisible, les anges se meuvent hors de toutes contraintes : ils ne sont limités par rien, ni par l’espace ni par le temps.

Il y a un film qui montre très bien cela, c’est un film qui est sorti il y a un peu plus de vingt d’ans maintenant : le film de Wim Wenders Les ailes du désir. Ici il y en a certainement qui l’ont vu. Ils se rappelleront les vues aériennes de Berlin. Ils se souviendront aussi des anges, qui sont les personnages principaux.

Vouloir représenter le monde angélique au cinéma est une gageure, mais Wim Wenders y est parvenu sans tomber dans le ridicule. Son film a reçu le prix de la mise en scène à Cannes. Je vous encourage tous à voir ou à revoir ce film : il fait réfléchir sur les questions spirituelles, il fait partie de ces films qui nous font voir le monde autrement.

Dans ce film, les anges peuvent tout voir, tout faire. Cette absence de limites semble a priori un avantage exceptionnel. Mais paradoxalement, cette absence de limites produit aussi chez eux une profonde insatisfaction, une profonde frustration : à cause de cette absence de limites, les anges sont obligés de rester à distance de tout, au contraire des hommes, qui éprouvent la réalité charnelle de l’existence. Car ces anges peuvent absolument tout faire, sauf une chose : Ils ne peuvent pas changer la réalité. Là-dessus leur impuissance est totale, et c’est ce qui provoque leur frustration.

C’est ce qui fait dire à l’un des anges : Parfois, je suis las de mon éternelle existence d’esprit. J’aimerais ne plus éternellement survoler, j’aimerais sentir en moi un poids qui abolisse l’illimité et m’attache à la terre. Pouvoir à chaque pas, à chaque coup de vent, dire « Maintenant », et « Maintenant », et « Maintenant », et non plus « Depuis toujours » et « A jamais ».

Dans le film de Wim Wenders, la seule entorse par rapport aux textes bibliques est que les anges choisissent de quitter leur condition d’anges. Mais ce subterfuge dans le film n’est pas sans intérêt : il fait entrevoir une réalité qui concerne Jésus-Christ.

De même que la blessure de Jacob à la hanche marque la vérité de son existence, la confrontation aux bonheurs et aux malheurs de l’existence va mettre ces anges en présence de la vraie vie. Ils ne vont plus trouver le bonheur dans le calme d’une vie éloignée des tracas et des soucis du quotidien, mais dans les tourbillons de l’existence humaine.

Finalement, quand on y regarde de plus près, les aspirations de ces anges sont en opposition totale avec les aspirations des hommes. Qui d’entre nous n’aimerait pas être épargné par les malheurs et les tracas de cette vie ? Oui, les aspirations de ces anges sont à l’opposé des aspirations humaines, et cela nous rappelle que Dieu lui aussi semble avoir des aspirations à l’opposé des aspirations humaines.

Le théologien Urs von Balthazar a écrit que dans le Christ, Dieu a voulu se révéler au monde d’une manière insurpassable[1]. Par son incarnation, Jésus-Christ est devenu un descendant d’Adam, semblable à tous les hommes. Le but de l’épître aux Hébreux est de montrer que Jésus-Christ est le prêtre véritable. Or justement, un prêtre doit être de la même race que les croyants, sinon il n’est plus un prêtre. Jésus est devenu comme l’un de nous.

Aux hommes qui aspirent aux choses divines, à un au-delà paisible, à une élimination des chocs inhérents à l’existence temporelle, Dieu répond par son dépouillement dans l’Incarnation. Quand on y réfléchit, il se passe quelque chose de très curieux : le désir de l’homme et celui de Dieu se croisent et se rencontrent (Dans le film de Wim Wenders, c’est le désir des anges qui croise le désir des hommes, mais l’idée est la même).

Bien plus que par des messagers humains ou célestes, c’est par notre salut en Jésus-Christ que le mystère de Dieu nous est révélé. Ni les anges ni aucune autre créature ne peut le remplacer dans ce rôle de médiateur entre Dieu et les hommes. Le seul médiateur, c’est Jésus-Christ. Lui seul nous conduit qui nous conduit vers le Père.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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