Jean 1, 29-34 – Voir juste et parler juste

Dans la société qui est la nôtre, nous sommes parfois gagnés par le pessimisme ambiant, et ce pessimisme modifie aussi la façon dont nous voyons nos Eglises. Nous trouvons qu’elles s’étiolent. Mais il n’y a aucune fatalité à cela, et le texte d’aujourd’hui peut contribuer à donner une vitalité nouvelle à notre vie d’Eglise.

Seulement, vous vous demandez peut-être comment.

A première vue, ce n’est pas évident. Ce texte parle d’une rencontre, une rencontre  capitale : celle de Jean-Baptiste et de Jésus, deux hommes de la même famille, deux hommes qui avaient presque le même âge, à quelques mois près.

Cette rencontre est capitale parce que Jean-Baptiste, en véritable prophète, se pose d’emblée en témoin, un témoin qui fait preuve d’une clairvoyance étonnante lorsqu’il dit : Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. Bien sûr, il faut garder à l’esprit que cet Evangile a été écrit longtemps après les événements, mais ce qui compte, c’est ce que l’Evangéliste a voulu nous dire.

Jean-Baptiste reconnaît qui est vraiment Jésus et ce qu’il va apporter de nouveau. Jean-Baptiste, c’est à la fois un regard qui reconnaît Jésus et une voix qui appelle. Jean-Baptiste voit juste et il parle juste. Jean-Baptiste est un simple témoin, mais par le fait qu’il voit juste et qu’il parle juste, il est un témoin qui porte le témoignage à son point de perfection.

Or, vous vous souvenez, nous sommes appelés à être une Eglise de témoins. Nous ne sommes pas tous appelés à assurer des cultes ou à devenir pasteurs, mais nous sommes tous appelés à être des témoins de Jésus-Christ. Donc Jean-Baptiste a ici quelque chose à nous dire, justement dans la mesure où il voit juste et où il parle juste.

Alors, que voit-il et que dit-il ? Eh bien, deux choses :

  • Il dit d’abord que Jésus est l’agneau, c’est-à-dire qu’il met en relation Jésus et les prêtres de Jérusalem, il met en relation Jésus et la vie cultuelle juive.
  • Et puis il dit que Jésus enlève le péché, c’est-à-dire non pas qu’il l’expie, mais qu’il le supprime purement et simplement.

Dans la vie cultuelle juive, les prêtres qui assuraient leur service au Temple de Jérusalem avaient une fonction essentielle : chaque fois que le péché venait rompre l’harmonie entre les humains et Dieu, les prêtres remettaient de l’ordre et de l’harmonie en suivant le rituel prévu dans la Torah. Le rôle des prêtres étaient de remettre de l’ordre dans le chaos.

Une grande part de ce rituel consistait à offrir des sacrifices d’animaux dans le Temple de Jérusalem. Jean-Baptiste parle de l’agneau. L’agneau était un animal sacrificiel parmi d’autres. Mais ici, l’agneau symbolise toutes les différentes espèces d’animaux qui étaient offerts en sacrifice. Parce que l’agneau, c’était un agneau qui était offert chaque matin et chaque soir dans le Temple, en holocauste perpétuel ; c’était aussi un agneau qui avait officialisé le sacrifice initial en Egypte, pour sauver les premiers-nés des Hébreux, l’événement inaugural commémoré chaque année par le fête de la Pâque. Jean-Baptiste a compris que l’agneau pourrait être en quelque sorte l’archétype de l’animal sacrificiel, l’animal qui représenterait tous les autres.

Mais si Jésus est l’agneau de Dieu comme le dit Jean-Baptiste, cela signifie que ces sacrifices au temple sont terminés, et que l’humanité est entrée dans un nouveau temps, dans une nouvelle ère. Jean-Baptiste présente Jésus comme l’unique agneau qui enlève le péché, qui l’emporte loin, qui débarrasse l’humanité du péché, et qui donc va pouvoir durablement mettre fin au chaos et rétablir l’harmonie perdue.

Comment celui qui ne se distingue pas de n’importe quel autre homme va-t-il pouvoir rétablir cette harmonie primordiale ?

En fait, Jésus ne se distingue pas des autres hommes, sauf sur un point : il ne connaît pas le péché, c’est-à-dire qu’il ne connaît pas la séparation d’avec son Père céleste, et qu’il est donc à la fois pleinement homme et pleinement Dieu. Et s’il est Dieu, il préexiste à la création du monde. Avant moi il était, voilà ce que dit de lui Jean-Baptiste.

Jésus ne connaît pas le péché. C’est pourquoi il n’est pas le continuateur de Jean-Baptiste. Jean-Baptiste baptisait dans l’eau, Jésus baptisera dans l’Esprit saint ; le baptême de Jean-Baptiste est un rituel purement humain, qui atteste la volonté de se repentir, c’est-à-dire de reconnaître que l’on est pécheur, est une création divine qui permet l’entrée dans le Royaume de Dieu.

Voilà le témoignage de Jean-Baptiste. Et c’est aussi notre témoignage à nous chrétiens. Bien qu’appartenant à l’ancienne alliance, bien qu’étant le dernier et le plus grand des prophètes, Jean-Baptiste nous donne un exemple de témoignage, un exemple dont nous pouvons nous inspirer pour être cette Eglise de témoins.

Alors que nous dit-il sur le témoignage ?

D’abord vous avez remarqué que Jean-Baptiste ne dit pas : « Faites ceci ou faites cela ». Témoigner, ce n’est pas dire aux gens ce qu’ils devraient faire ou ne pas faire. Dire ce que les gens devraient faire ou ne pas faire relève de la morale, et la bonne nouvelle de l’Evangile n’est pas une nouvelle règle morale qui viendrait s’ajouter aux précédentes. Jean-Baptiste se contente de montrer, de révéler qui est Jésus. C’est cela, témoigner : faire découvrir Jésus-Christ.

Et puis, il est intéressant de voir comment Jean-Baptiste parle de Jésus : il choisit l’image de l’agneau. En choisissant cette image de l’agneau, il se rapproche de ceux à qui il s’adresse, il s’adapte à son public, à ses contemporains juifs, parce qu’il utilise une image qui leur parle, une image qui leur est familière : celle de la vie cultuelle juive. L’image de l’agneau récapitule celle de tous les animaux offerts en sacrifice. Cela signifie que Jean-Baptiste connaît leur culture. Témoigner, c’est adapter ce que nous connaissons de Jésus à ceux qui sont autour de nous : nos voisins, nos collègues. Cela suppose que nous connaissions leur culture et leur manière de s’exprimer, pour que notre langage soit accessible et compris par tous. Témoigner, ce n’est pas reproduire les mêmes paroles que Jean-Baptiste : dire aujourd’hui que Jésus est l’agneau de Dieu ne peut parler qu’à des chrétiens convaincus qui connaissent les références bibliques.

Témoigner, c’est parler juste. Mais pour parler juste, il faut aussi voir juste. Et pour cela, nous n’avons qu’une question à nous poser : qui est Jésus pour nous ? Est-il celui qui rend inutile tout sacrifice, que ce soit les sacrifices d’animaux dans le Temple de Jérusalem, ou les sacrifices que les hommes d’aujourd’hui, nos voisins, nos collègues, seraient tentés de faire pour s’octroyer les faveurs divines. Si nous voyons juste, notre parole sera libératrice et nous pourrons témoigner de Jésus-Christ à nos voisins, à nos collègues.

Amen.

Bernard Mourou

 

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