Jean 10, 1-10 – Une voix

Le métier de berger n’a jamais été facile. Et aujourd’hui, les bergers doivent faire face à un nouveau défi. La raison de leur inquiétude, c’est le loup, qui décime les troupeaux.

Oui, pour nous, l’ennemi du berger et de son troupeau, c’est le loup. Pourtant ce passage d’Evangile bien connu avec son image du bon berger ne dit rien du loup : il ne parle que de voleurs et de bandits, autrement dit, il ne désigne pas l’animal, mais l’être humain comme l’ennemi potentiel des brebis.

Et ce n’est pas le seul élément curieux de ce texte. Parce que lorsqu’on y regarde de plus près, les paroles de Jésus échappent à notre logique cartésienne. Il se présente d’abord comme le berger, puis comme la porte de l’enclos, et nous sommes un peu perdus. C’est comme s’il y avait une juxtaposition de textes, comme si plusieurs textes avaient été mis bout à bout.

Mais, malgré cela, il ressort quand même un message clair, sous la forme d’une opposition : d’un côté, la sollicitude du bon berger pour ses brebis, de l’autre, les ravages opérés par les voleurs de brebis. Il n’y a pas de nuance, pas de demi-mesure, pas de compromis.

Le public visé ici, ce sont les pharisiens. L’Evangéliste nous le dit à deux reprises. Jésus s’en prend une fois de plus à eux. Jésus était écouté, les pharisiens aussi, mais pas pour les mêmes raisons.

Mais comment Jésus était-il reconnu ? A ce que les gens voyaient de lui ? A son apparence ? Non. Jésus était reconnu à ses paroles. Comme les brebis reconnaissent la voix du berger, c’est en l’écoutant que les gens s’attachent à lui. C’est par l’écoute qu’on le reconnaît. Et par une écoute fréquente, habituelle.

Pour bien comprendre cela, il faut savoir qu’à l’époque, la nuit, les troupeaux de divers bergers étaient réunis dans un même enclos, et le matin, chaque berger venait récupérer son troupeau en appelant ses brebis pour qu’elles le suivent.

Les brebis n’étaient capables de reconnaître la voix de leur berger qu’au terme d’un long conditionnement. C’est pareil pour ceux qui préfèrent l’enseignement de Jésus à celui des pharisiens : avec le temps la voix de celui qui leur veut du bien leur est devenue familière.

Donc la seule chose qui fait la différence entre les deux, entre Jésus et les pharisiens, c’est une voix.

Pour être en sécurité, les brebis n’ont qu’une chose à faire : écouter, et bien écouter, pour savoir qui écouter. Elles doivent pouvoir reconnaître la voix de celui qui leur veut du bien. Tout ne se vaut pas : seul Jésus a le message de la grâce.

Oui, ici c’est la voix du berger qui est déterminante : nous avons encore un texte qui souligne le rôle que joue la parole. Et cette réalité est à prendre au sérieux : Jésus répète à deux reprises cette formule « Amen, amen », qu’il a l’habitude d’utiliser quand il veut insister sur l’importance de ce qu’il dit.

Quant aux pharisiens, ils sont clairement désignés comme des usurpateurs, ils sont assimilés aux voleurs de brebis qui passent par-dessus les barrières de l’enclos.

Dès lors, comment pourrait-on les écouter sans dommages, puisqu’eux-mêmes ne comprennent pas ce que Jésus veut dire. Ils sont incapables d’assurer le bien-être des brebis, pour la simple raison qu’ils sont incapables d’entendre la voix de Jésus. Ils ne comprennent pas, ils ne reconnaissent pas sa voix.

Et c’est là tout le drame, car par la ferveur dont ils font preuve, par leur zèle à vouloir retrouver la pureté des règles religieuses, ils passent pour l’élite religieuse. Ils jouissent donc d’un certain prestige aux yeux du peuple, de sorte qu’eux aussi sont susceptibles d’être écoutés et de fourvoyer beaucoup de gens.

Seul Jésus peut parler au nom de son Père. Ceux qui essaient de prendre sa place ne sont que des usurpateurs. Ils font écran entre ceux qui les écoutent et Dieu.

Dans l’Eglise, on peut conseiller et guider les autres, mais on ne peut jamais dire : « A travers moi, c’est Dieu qui vous parle », car cela reviendrait à nier la dignité de ceux à qui l’on s’adresse. Que nous soyons pasteur ou que nous ayons un autre ministère dans l’Eglise, nous sommes tous appelés à écouter et à reconnaître cette voix.

C’est en cela qui fait la différence entre l’Eglise et les sectes : dans l’Eglise, chacun peut se faire sa propre opinion et écouter sa conscience.

C’est d’ailleurs le principe même du protestantisme. Personne ne peut se mettre à la place de Dieu et dire à l’autre : « Tu dois faire ceci ou cela », parce que seul Dieu connaît le cœur de l’être humain. C’est à la brebis de reconnaître la voix de celui qui prendra soin d’elle.

Alors bien sûr, cette écoute ne peut pas se faire sans intermédiaires, mais en définitive, à travers ces médiations, ce n’est pas la voix d’un être humain qui se fait entendre, c’est la voix de Dieu lui-même.

Et on sait que Dieu peut parler de diverses manières, y compris à travers des personnes qui ne partagent pas notre foi. Dans la mesure où nous saurons reconnaître cette voix, nous ne serons plus dépendants d’un être humain, mais de Dieu lui-même. Jésus-Christ est le seul à ne pas faire écran entre l’être humain et son Père, et au contraire à rétablir la relation pour donner à l’être humain un statut filial.

Cette voix identifie les brebis, elle leur donne leur identité, et elle les conduit à une véritable liberté. Vous avez remarqué que dans notre texte les brebis ne restent pas enfermées dans l’enclos : elles en sortent librement.

Quant à nous : plus nous exercerons notre attention, plus nous affinerons notre écoute, plus nous saurons reconnaître cette voix qui nous veut du bien.

Si nous écoutons cette voix, nous vivrons à la fois en sécurité et en liberté, comme les brebis qui entrent et qui sortent de l’enclos sans crainte, parce que quelqu’un veille sur elles.

Amen 

Bernard Mourou

 

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