Jean 12, 20-33 – La gloire de Dieu

 

Pasteur Bernard Mourou

Une demande est formulée par des pèlerins de culture grecque : Nous voudrions voir Jésus.

Ces pèlerins sont soit d’anciens païens convertis au judaïsme, soit des juifs de la diaspora et adressée à Philippe.

Au moment où ils expriment cette demande, Jésus n’est pas avec ses disciples, en tous cas pas avec Philippe ni André. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas par hasard s’ils s’adressent à Philippe et pas à un autre disciple, car Philippe est lui aussi de culture grecque, comme le nom qu’il porte d’ailleurs.

Comme ils n’habitent pas le pays d’Israël et qu’ils sont venus de loin pour fêter la Pâque dans le Temple de Jérusalem, ils veulent profiter de l’occasion pour se faire leur propre opinion sur celui dont tout le monde parle.

Ils n’attendent pas un miracle ou une guérison. Ils n’attendent pas non plus une réponse à une question théologique. En fait ils n’ont pas de question, mais juste une demande simple, concrète et facile à satisfaire : voir Jésus. Il suffit donc que Jésus se montre à eux.

Pourtant, Jésus n’accède pas à leur demande. Et dans la suite du récit notre Evangéliste laisse ces pèlerins complètement de côté, il n’est plus du tout question d’eux.

Au lieu de se présenter à eux pour qu’ils le voient, tout simplement, Jésus ne prend même pas la peine de les rencontrer et leur adresse un discours par disciples interposés.

Il s’agit en fait de propos quelque peu énigmatiques, avec cette image tirée du monde agricole, cette image du grain de blé qui doit mourir avant de porter du fruit.

L’idée que Jésus développe, c’est que la graine doit être préalablement ensevelie dans la terre avant de devenir une plante toute différente.

Cette graine contient en elle la vie : lorsqu’elle tombera en terre, elle pourra donner du blé. Elle est minuscule, mais son principe interne recèle un énorme potentiel : toute graine est programmée pour produire une plante, celle-là produira le blé qui servira à fabriquer le pain.

Il n’est pas sûr que son auditoire comprenne ce qu’il veut dire par là. Cette image de la graine nous vise seulement à montrer que nous ne pouvons pas saisir ce qui relève de l’au-delà. Jamais les évangiles ne décrivent l’au-delà, ils se contentent d’affirmer que la vie triomphera.

Jésus est sans doute le seul à comprendre ce qu’il dit, et au fur et à mesure qu’il parle, il ressent une grande émotion. Son désarroi vient des paroles qu’il s’entend prononcer : Que vais-je dire ? Père sauve-moi de cette heure ? Puis il se ressaisit : Mais non, c’est pour cela que je suis venu à cette heure-ci. Père glorifie ton nom ! 

Son revirement nous donne la clef de ce texte et de tout l’évangile. Cette clef, c’est la croix, qui va faire basculer l’histoire de l’humanité. A ce moment de l’histoire, Jésus a compris qu’il devra mourir, mais il sait aussi que, contre toute attente, sa mort donnera la vie.

Car cette croix n’est pas le lieu de l’échec, mais la manifestation de la gloire divine, et c’est là tout le paradoxe. Les évangiles ne présentent pas la croix comme un abaissement, mais comme une élévation à la gloire, en ce sens qu’elle va donner à l’humanité la révélation du salut.

Et ceux qui sont là comprennent bien l’importance de ces paroles. Certains croient entendre une voix divine venue du ciel – C’est un ange qui a parlé –, et d’autres le tonnerre. C’est peut-être les deux à la fois, car tout est une affaire de relecture et d’interprétation.

Finalement, ce que ces gens entendent les divise : une manière pour notre Evangéliste de montrer que la présence divine, source de contradiction, se manifeste vraiment ici et qu’elle vient donner du poids aux propos un peu obscurs de Jésus.

Dès lors, les disciples sont invités à partager le sort de la graine et, comme leur Maître, à vivre l’abaissement, mais un abaissement assorti d’une promesse de la gloire divine.

La graine a son propre principe interne, qui est un principe de vie. Il en va de même pour Jésus, parce qu’il est lui-même la vie. Il peut donc faire sienne la prophétie contenue dans le livre de Zacharie : Voici un homme dont le nom est « Germe » ; de lui, quelque chose va germer, car il reconstruira le Temple du Seigneur.

Louis Jouvet disait, en forgeant un néologisme, que toute vie est efforcement conscient et acharné. C’est ainsi que Jésus a toujours agi : avec efforcement conscient et acharné. Il est ainsi allé jusqu’au bout de son principe interne, jusqu’au bout de son principe de vie. Avec cette même cohérence, il a su mourir à ce qui n’était pas la vie pour laisser toute sa place à la vie, et il a été ainsi transmuté, transfiguré, glorifié.

Pour les disciples, le chemin qui leur permettra d’accéder à cette gloire divine consistera à renoncer à leur volonté de réussir à tout prix, et à devenir les serviteurs des autres, en tenant compte du fait qu’ils pourront être rejetés comme leur Maître.

La force de vie qui animait Jésus nous anime aujourd’hui. Nous partageons avec lui le même principe divin, le même principe de vie. Cette force de vie nous habite, et si nous lui demeurons fidèles avec constance, avec cet efforcement conscient et acharné, elle ne restera pas sans effets.

Alors, comme Jésus a été glorifié, nous serons nous aussi glorifiés. Si nous mourons à ce qui n’est pas la vie, alors, comme lui, nous laisserons toute sa place à la vie qui est en nous et, comme l’apôtre Paul l’écrit aux chrétiens de Corinthiens, nous serons alors transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande, par l’action du seigneur qui est Esprit.

Finalement, dans ce récit Jésus répond bien à la demande de ces pèlerins de culture grecque, mais il n’y répond pas comme les gens s’y attendaient. Il se donne à voir, mais il se donne à voir comme un Messie crucifié, avant de se révéler comme un Messie glorieux.

Amen

 

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